27e Dimanche T.O. 13/C
Peut-être êtes-vous de ceux qui, découragés
parfois, se disent : “Rien ne me
déçoit plus que d'entendre proclamer, à la messe, des textes auxquels je ne
comprends rien”. Et vous ajoutez : “Ne
pourrait-on pas nous épargner ces textes incompréhensibles et choisir des
passages plus porteurs ?”.
Eh bien ! Je ne voudrais pas que, ce matin,
vous leviez encore les yeux au ciel, découragés, devant l'évangile que je viens
de proclamer, quelque peu déroutant au premier abord.
D'abord, ce texte contient deux récits
qui n'ont apparemment pas grand chose à voir l'un avec l'autre. Mais l'un et
l'autre ont une signification immense. Ce sont deux paroles que le Christ nous
adresse aujourd'hui,
l'une pour nous “encourager”,
et l'autre pour nous mettre en garde.
La
première parole pour nous encourager !
Oui, c’est vrai, nous sommes parfois
découragés. Et nous allons répétant comme il est dit dans la première lecture :
"Combien de temps, Seigneur, vais-je
t'appeler au secours - et tu n'entends rien -, combien de temps vais-je crier
contre le violence - et tu restes là à regarder notre misère ? -".
Alors, nous disons facilement : Avoir la foi, qu'est-ce que ça change ?
À quoi ça sert de croire ? Les croyants ont-ils changé le monde depuis 2000 ans
? Cependant, au fond de nous-mêmes, comme les apôtres, nous disons : “Seigneur, augmente en nous la foi !”.
Et Jésus nous fait une
étrange réponse. C'est comme s'il disait, il ne faut pas parler de la foi en
termes de quantité mais de qualité.
De quelle foi voulez-vous parler ? Dans toutes les religions,
en effet, la foi peut se pervertir. Elle peut fabriquer des croyants ou des
fanatiques. L'actualité nous le rappelle tragiquement. Et au long de
l'histoire, les chrétiens eux-mêmes n'y ont pas échappé.
Alors, de quelle foi voulez-vous parler ?
Si c'est "la foi au Dieu Amour, vous
en auriez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que
voici : 'Déracine-toi, et va te planter dans la mer', il vous obéirait !".
Les images n'ont pas été choisies au
hasard. Graine de moutarde et grand arbre comme un sycomore par exemple.
La plus petite de toutes les graines et le plus majestueux des arbres.
L'opposition entre les deux est radicale ; mais il les faut tous les deux pour
dire la foi :
ce petit rien insaisissable dont les effets
sont sans mesure ;
ce petit rien comme une pincée de sel
invisible mais indispensable ;
ce petit rien comme un peu de levain qui
fait lever toute la pâte ;
ce petit rien comme une petite semence qui
peut devenir un grand arbre.
Mais avec "ce petit rien", c'est
un arbre qui ira se planter dans la mer !
C'est l'image la plus forte. L'arbre,
symbole de vie par excellence, et la mer, symbole de mort. Car il faut dire que
les Juifs, très peu marins, considéraient la mer comme le lieu des puissances
du mal. La foi au Dieu Amour peut donc faire surgir la vie jusque dans les
décors de mort !
Vous penserez peut-être : “C'est de la littérature. Donnez-nous des
noms de croyants qui ont fait surgir la vie dans les décors de mort !”.
N'en connaissez-vous pas de ces chrétiens qui savent creuser
un sillon, ouvrir une espérance là où tout le monde désespère ? Ils puisent
leur force dans la foi au Christ. C'est leur enracinement dans la prière
qui les a le plus souvent poussés à se lever pour changer la vie autour d'eux
et dans le monde.
L'histoire des chrétiens, l’histoire de
l’Eglise est pleine de ces grands témoins qui ont planté la vie jusque dans
les décors de mort.
Tout près de nous dans le temps. On connaît
les noms de Maximilien Kolbe, Édith Stein… ! Et il y a quelques années, les
sept moines de Tibhérine et, à leur suite, Pierre Claverie, évêque d'Oran,
assassiné ! Jusque dans l'enfer des camps de concentration ou dans l'horreur
d'un monde de violence, ils ont pris conscience qu'ils étaient responsables de
rendre Dieu présent dans cet univers de mort. De tels témoins sauvent le monde
!
On peut évoquer de tels saints, des
personnages d'exception ; mais que dire de tant d'hommes, de femmes
ignorés qui donnent leur vie jour après jour obscurément : des
mères de famille, des chercheurs au service de la vie… et tant d’autres. La
petite graine de moutarde vit en eux, à leur insu peut-être ; ils ne le
savent même pas, c'est Dieu qui l'a semée.
J'ai lu dans une revue cette superbe
allégorie. On raconte à Prague qu'un homme religieux fut, un jour, pris sous le
jet de pierres d'une troupe d'enfants et que les pierres, en l'atteignant, se
transformèrent en boutons de roses. Si cet homme de Dieu transformait les
pierres en boutons de roses, c'est qu'il aimait tellement les enfants qu'il ne
pouvait leur permettre de devenir les assassins d'un vieillard.
De la poésie, tout cela ? Oui, si vous
voulez. Un rêve ? Oui... Mais, je crois que c'est le rêve de Dieu !
C'est lui qui sème l'amour dans nos cœurs, un amour qui peut faire des
miracles. Ce petit rien insaisissable dont les effets sont sans mesure. Voilà
notre foi, cette foi que quelques jeunes enfants de la paroisse ont discernée
et exprimée avec le langage de leur âge. Ils vont être baptisés à l'issue de
cette Eucharistie. Serons-nous les encouragés par notre exemple de foi ?
C'était la première parole du Christ pour
nous encourager aujourd’hui en notre foi.
Voici
la deuxième pour nous mettre en garde.
Jésus racontait l'histoire des serviteurs,
on devrait dire des esclaves, auxquels le maître ne devait rien, selon la
pratique inhumaine de ce temps-là. Inutile de vous dire que Jésus n'a pas
raconté cette histoire pour légitimer les inégalités sociales, parfois
cruelles. C'était, comme dans toutes les paraboles, pour piquer l'attention de
ses disciples et leur dire clairement : “Quand
vous avez fait tout ce que Dieu vous demande, vous n'avez fait que votre
devoir, comme des serviteurs, voilà tout”.
Cette parole s'adresse à nous. Cessons
de nous enorgueillir de ce que nous faisons, de ce que nous faisons de
bien, des services que nous rendons. Cessons de soupeser notre utilité, nos
mérites.
Nous oublions que c'est Dieu qui nous a
donné d'être ce que nous sommes et de faire ce que nous faisons. Quand nous
disons que nous avons du talent, nous oublions que c'est Dieu qui nous l'a
confié. Nous n'en sommes pas les propriétaires. Nous ne sommes que des
intendants, dit-il par ailleurs. “Qu'as-tu
que tu n'aies reçu ?”, demandait St Paul
Voilà les deux paroles essentielles que le
Christ nous adresse aujourd'hui.
C'était l'objet du message de St Paul à son
cher disciple Timothée : "Fils
bien-aimé, je te rappelle que tu dois réveiller en toi le don de Dieu (la foi). Car ce n'est pas un esprit de peur que Dieu
nous a donné, mais un esprit de force, d'amour et de bon sens. N'aie pas honte
de rendre témoignage à Notre Seigneur" ... par les œuvres de la foi !
Oui, on les croyait étrangères l'une à
l'autre, ces deux paroles de Notre Seigneur. En fait, elles n'en font qu'une.
Si nous voulons déplacer les montagnes et déraciner les arbres, pour reprendre
les mots de la parabole, faire surgir la vie jusque dans les décors de mort, il
nous suffit d'être de bons et fidèles serviteurs, là où nous sommes, tout
simplement.
Ce "simplement" est difficile,
direz-vous ! Oui, mais avec la grâce de Dieu, ce
"simplement-difficile" peut être possible !
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