mercredi 26 décembre 2012

St Etienne et le Temple !


26 Décembre 12 C  
   
En considérant la passion du premier martyr de l’ère chrétienne, St Etienne, il faut se rappeler qu’à la mort du Christ “le voile du temple se déchira“ (Matthieu, Marc, Luc et la lettre aux Hébreux le rappellent, ce qui marque l’importance du fait !).
   
Et c’est à partir de ce fait que la foi chrétienne va s’exprimer, s’expliciter : Le vrai Grand Prêtre - le Christ - dont tous les prêtres de l'Ancienne Alliance n'étaient que la figure, est entré "une fois pour toutes" dans le véritable sanctuaire. Il est entré non plus dans un temple fait de main d'homme, mais dans la demeure de Dieu. Non plus avec le sang des boucs… mais avec son propre sang.
Ainsi, il a opéré une Rédemption radicale ! Non plus la purification simplement de quelques descendants d'Abraham selon la chair, mais la purification de toute l’humanité à travers le temps et l'espace. Il a purifié nos consciences des œuvres mortes pour faire de toute notre vie une Liturgie à la gloire de Dieu. (Cf. Héb. 9-10)
    
Et ce qui s'est passé "une fois pour toutes" lorsque le voile s'est déchiré, est rendu présent, de présence réelle, à travers le temps et l'espace par les Sacrements de la Nouvelle Alliance, et principalement par celui de l’Eucharistie :
"celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui !"

Aussi, on peut conclure légitimement que la Jérusalem de la terre, avec son temple, symbolisait et symbolise aujourd’hui encore une attente de la véritable Jérusalem qui descendra du ciel "parée comme une fiancée pour son époux", comme le décrit St Jean dans son Apocalypse. Et il précise : “De temple, je n'en vis point en elle ; c'est que le Seigneur, le Dieu Maître-de-tout, est son temple, ainsi que l'Agneau“ (Apoc. 21.22). Et l’apôtre de conclure : "Amen, viens, Seigneur Jésus ! Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec tous !“.

C’est vers cette Cité qu’ici-bas nous cheminons, vers cette Cité dont Dieu seul est “l’architecte et le fondateur“ (Heb 11.10). Le grand poète latin, Boèce (5ème s.), a une définition assez extraordinaire de ce qui nous attend :  “Interminabilis vitæ tota simul plena et perfecta possesio” ! - Une pleine et parfaite possession de la vie, sans aucune limite, d'un seul coup et toute entière .
Voilà ce à quoi nous sommes appelés !!! Le Christ et la Vierge Marie sont déjà parvenus à ce terme de l'aventure humaine. Nous marchons vers cette réalité.  On n'y croit pas assez !
   
C'est dans cette Foi, cette Espérance que réside la spiritualité fondamentale, celle du Baptême, celle du martyre dont témoigne St Etienne !
   
Nous marchons vers la Jérusalem céleste. Aussi, dès le début du christianisme, la Jérusalem de la terre et son temple sont complètement dévalués ! (1)
   
St Etienne est le premier témoin de cette dévaluation de Jérusalem ! A son procès, est-il dit, de faux témoins déclarèrent : "Cet individu ne cesse pas de tenir des propos contre ce saint Lieu et contre la Loi. Nous l'avons entendu dire que Jésus, ce Nazôréen, détruira ce Lieu-ci et changera les usages que Moïse nous a légués."

C’est l'attaque la plus violente contre le temple ! Etienne aurait prêché que le temple n'a plus de raison d'être.  A la mort de Jésus, la victime a été offerte, une fois pour toutes et pour toute l'humanité. Les sacrifices du temple sont désormais caducs et inutiles ! Voilà ce que dit Etienne, selon les témoins.
On dit que ce sont de faux témoins qui portèrent cette accusation ! Mais il est frappant de voir que, dans son plaidoyer,  Etienne lui-même affirme cette dévaluation du temple : Le Très-Haut n'habite pas dans des demeures faites de main d'homme, comme le dit le prophète : « Le ciel est mon trône et la terre l'escabeau de mes pieds : quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, et quel sera le lieu de mon repos ? » (Act. 7:48).
Autrement dit, les faux témoins avaient sûrement durci l’accusation, mais n'avaient pas fondamentalement déformé la pensée d'Etienne. Le temple de Jérusalem n’a plus de valeur ! Voilà l’affirmation qui valut à Etienne d’être le “protomartyr”, premier martyr !

Sous la pensée d’Etienne et des premiers chrétiens, on retrouve cette vieille tradition, aux multiples facettes, qui revient, s’accentue et s’approfondit :
- L’homme ne peut pas “loger” Dieu ! Les prophètes l’avaient déjà affirmé face aux dérives de l’institution du temple !
- Cependant, Dieu peut très bien chercher un “lieu pour y faire habiter son Nom”. Les prophètes eux-mêmes le reconnaissaient, tout en refusant certaines dérives de cette localisation du Nom de Dieu : bénéfices commerciaux, considération exagérée d’une caste … etc…
- Par contre, que Dieu, de sa propre initiative, vienne “habiter”, “voisiner” avec les hommes, c’était une perspective à la fois nouvelle et ancienne !

Ancienne puisque dans le désert, il y avait la “Demeure” de Dieu, la “shékhinah”. La racine du mot signifiant “voisin”, c’était déjà reconnaître le “divin voisinage” : Dieu qui se faisait mitoyen de l’homme, établissant sa “Demeure” au milieu du peuple. C’était, si l’on peut dire, la Gloire divine “domestiquée” ! Mais une Gloire “domestiquée” non par l’homme, comme s’il pouvait être le “dompteur” de la Gloire divine, “sacrilège” par excellence ! Mais que la Gloire divine elle-même accepte de s’approcher de l’homme, de voisiner avec l’homme, cette pensée devenait non seulement concevable, mais de plus en plus évidente. Ainsi, la Gloire de Dieu pouvait apparaître plus humaine ! C’était, en quelque sorte, amplifier l’affirmation du livre des Proverbe qui fait dire à la “Parole de Dieu”, à la “Sagesse de Dieu” : “J’ai trouvé mes délices à être avec les enfants des hommes !” (Pr. 8.31).

Ce thème-là devient très chrétien ; il sera post-chrétien. Mais il était déjà  pré-chrétien, en ce sens qu’il était déjà inscrit dans la foi juive, dans les Ecritures ! Il sous-tend déjà un texte comme celui du prologue de S. Jean : "Et le Verbe s'est fait chair et il a demeuré parmi nous" ! - "Demeurer" : sous le verbe grec, on peut, deviner le terme hébreu : il a établi sa "shekhinah" parmi nous. Et l'idée que le Verbe habite parmi les hommes sera profondément présente dans l'évangile de S. Jean.

“Le Très-Haut n’habite pas des demeures faites de mains d’homme”, disait Etienne !
   
C’était, probablement, un fougueux, cet Etienne ! Avec plus d’habileté - mais le pouvait-il ? -, il aurait pu faire comprendre que le temple était au fond un archétype, un idéal, un pressentiment du dessein de Dieu de venir habiter parmi les hommes. Et les sacrifices offerts dans ce temple n’étaient que des présages, des signes annonciateurs du sacrifice pascal du Christ.
   
Certes, il n’aurait sans doute pas eu plus de succès ! Car ces présages, ces pressentiments avaient été institutionnalisés ! Et c’est souvent le drame ! Car l’institutionnalisation de la “Demeure de Dieu” n’est pas encore la “Demeure authentique” dont Dieu a l’initiative. L’institutionnalisation du “sacrifice” n’est pas encore le “Sacrifice authentique” dont Dieu seul a l’initiative. Le drame fut de transformer les promesses en institutions. Ce fut le danger dans l’Ancien Testament ; les prophètes en sont les témoins !
   
Mais ne nous moquons pas ! Ce danger est toujours actuel. Certes, pour nous, chrétiens, il ne s’agit plus de promesses, mais de germes du grand dessein d’Amour de Dieu pour l’homme. Ces germes du “salut éternel” pour l’homme nous sont bien donnés ! Deo gratias ! Nous fêtons cette réalité en ce temps de Noël ! Mais le danger, c’est de transformer ces germes en musées de semences. C’est grave parce que les germes ne sont pas faits pour être mis dans un musée ; et les semences ne sont pas faites pour être présentées sous verre.
Et affirmer cela risque parfois de conduire plus ou moins au même destin que celui d’Etienne ! Etre rejeté !

Aussi, est-il bon de nous confier en ce temps de Noël à St Etienne et de lui demander sa clairvoyante  ferveur de foi !

(1) [A ce sujet, je me permets de souligner un point historique important : Conscients de cette dévaluation du temple, du peu d’importance désormais de la Jérusalem de la terre, les chrétiens du début du 2ème siècle ne furent nullement ou peu solidaires de la dernière révolte juive en 132-135 avec Bar Kokhba. L’empereur Hadrien fit raser Jérusalem ; et les décombres recouvrirent le lieu du Saint-Sépulcre, ce qui le protégea jusqu’à l’époque de Constantin et de Ste Hélène ! Les Juifs reprochèrent vivement aux chrétiens (juifs) leur désintérêt en cette circonstance. Et ce fut le début d’un drame qui se poursuivit de siècle en siècle : la séparation profonde, l’incompréhension entre Juifs et Chrétiens !]

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