dimanche 9 décembre 2012

Jean-Baptiste !


2ème  Avent C 12-13 

Pourquoi parle-t-on de Jean-Baptiste dans le temps de l'Avent ? Isaïe répond : pour “préparer les chemins du Seigneur !”. Et si l’on demandait à des enfants : “Qu'est-ce que Jean-Baptiste prépare ?”, ils répondraient : “la venue de Jésus !”. - “Et qu'est-ce que la venue de Jésus ?”.  - “Mais, diraient-ils, c’est Noël, la naissance de Jésus !”. Sans doute quelques adultes présents préciseraient, en reprenant l’évangile d’aujourd’hui : “Pour Jean Baptiste, la venue de Jésus, ce n’est peut-être pas surtout Noël, mais la venue de Jésus au Jourdain pour se faire baptiser et annoncer le Règne de Dieu”.

Et voilà l’important ! La véritable venue du Christ pour St Luc, ce n'est pas tellement la Nativité, c'est l'irruption du Règne de Dieu parmi les hommes grâce au Christ, après son baptême par Jean-Baptiste. – D’ailleurs St Luc qui écrit à des destinataires païens, à des non Juifs, place la généalogie, l’origine de Jésus après son baptême qui marque le véritable commencement de la “Bonne Nouvelle” (Cf. Ch 3). Et il est bon de remarquer que pour Luc la généalogie de Jésus remonte jusqu’à Adam, jusqu’à l’homme que Dieu a créé et que Jésus vient délivrer de sa faute. Matthieu qui écrit pour des Juifs se contentera, lui, de remonter jusqu’à Abraham. Jean, au sommet de la pensée néo-testamentaire, reprendra les choses “au commencement“, en Dieu : “Au commencement était le Verbe… Tout fut par lui…“.

Certes, les esprits contestataires - il y en a toujours, et les plus ignorants souvent -, souligneront que St Luc nous raconte bien, dans les deux premiers chapitres de son évangile, l'origine cachée de Jésus, sa naissance, son enfance. Mais là, Luc se fait alors le confident de la mémoire de la Mère de Jésus. Pour lui, ce secret intime et familial qu’il ne pouvait finalement cacher, est comme un prologue à la manifestation publique du Christ. Il y a donc là comme un premier indice - important - pour comprendre la prédication de Jean-Baptiste qui peut ainsi se résumer : “Convertissez-vous !”. Si nous répondons que Jean-Baptiste ne fait qu'annoncer la naissance de Jésus, on annule complètement sa prédication austère ; on ne l'entend même pas (c’est plus accommodant). Parce qu’on se met déjà, en quelque sorte, à la place de la Vierge Marie.

Si nous fixons notre regard seulement sur la naissance de Jésus, nous prétendons finalement - inconsciemment - nous mettre dans ce secret intime, dans la mémoire de la Mère de Dieu ; nous prétendons accueillir le Christ comme une nativité. - Quelle présomption ! Car il faudrait pour cela que nous ayons en nous-mêmes cette puissance maternelle que l’Evangile et la Tradition attribuent à la Vierge Marie. Il faudrait qu’il nous soit dit : “Tu es béni et rempli de grâce”, et que nous soyons capables de répondre : “Qu'il me soit fait selon ta Parole”. Il faudrait que nous puissions entrer d'emblée, par une espèce de bond spirituel invraisemblable (et non actuel), au cœur de l'attitude de Marie, au cœur de l'attitude de toute l’Eglise qui doit devenir Corps du Christ glorifié. Mais cette Eglise est encore en marche ! Et sa marche ne peut être qu’une incessante conversion !

Si nous prétendons simplement attendre l’Enfant-Jésus, c'est affirmer ne pas avoir besoin de conversion. Nous ne sommes plus en marche… Et si nous ne sommes plus en marche, nous sommes comme figés… ; et tout devient figé. Et Noël devient peu à peu un mythe, un beau mythe spirituel certes, le mythe annuel et saisonnier de l'apparition de l'Enfant au solstice d'hiver. Mythe connu, ancien et durable. Du coup, Jean-Baptiste et sa prédication n'ont plus aucun sens. Il y a, là, imperceptiblement, toute une tentation d'annuler la prédication du Baptiste, et, du même coup, celle du Christ !

Il y a un indice permanent de cette tentation dans la manière dont l'Occident chrétien a placé l'origine de sa chronologie, dans la manière dont nous comptons les années. Nous disons : “Nous sommes en 2012…”, 2012 après la naissance de Jésus. Ce calcul a été fait au 6ème siècle de notre ère par un certain moine, Denis le Petit.

Mais, avant, comment comptait-on le temps ? On comptait le temps comme St Luc le fait. Il compte le temps selon plusieurs chronologies, celle de l'histoire civile de Rome : “l’an 15 de l’empereur Tibère”. Et puis, celle de l'histoire du peuple d'Israël : Hérode régnait, les grands prêtres étant Anne et Caïphe.

Quand nous plaçons l'origine du temps à la naissance de Jésus, il y a cette tentation de nous placer en cette position immaculée et maternelle de la Vierge Marie. Et du même coup, nous affirmons que notre temps n’est pas le temps où la conversion est encore une nécessité pour tous et chacun ! C’est, d'une certaine façon, annuler le temps et masquer notre condition de pécheurs. C’est nous mettre tous à la place de celle que l'Église a reconnue comme l'Immaculée - que nous avons fêtée hier - ! Certes, l’Immaculée nous est bien proposée comme notre propre figure, mais à la fin des temps, comme le dit l’Apocalypse : “Je vis descendre du ciel l'Épouse parée pour son époux”. L’Epouse, c'est la figure de l'Église. C'est aussi la figure mariale. C'est la nôtre, mais à la fin des temps. Nous sommes en marche, en attente ! Attente qui exige conversion.

Et s'il y a cette espèce de subtilité pour nous défaire de cette attente, c'est qu'au fond il nous parait plus amusant, heureux et simple, d'attendre l'Enfant-Jésus - le “petit Jésus” -, ce qui est inoffensif parce que l'Enfant-Jésus est silence : il ne dit rien. Nous préférons peut-être ainsi faire semblant d'attendre l'Enfant-Jésus pour éviter le présent de notre vie où, aujourd'hui, retentit l'appel du Baptiste, et l'appel du Christ lors de son baptême !

Et pourtant, nous avons, nous, à entendre cette Parole de Dieu qui saisit tout homme dans le désert de sa vie : “dans le désert, préparez le chemin… !” Certes, le texte du prophète Baruch (1ère lecture), et le psaume-graduel de la liturgie romaine (125ème) peuvent nous toucher, nous émouvoir, par la joie lyrique qu’ils dégagent : “Quitte ta robe de tristesse !” - “Merveille que fit pour nous le Seigneur !”. Ces phrases résonnent en nous comme un peu de répit et de paix apportés à l'homme qui souhaite tant réconfort, amour et justice ! Toutes choses que l’on imagine comme dans un rêve !

Mais chacun sait que la vie n'est pas un rêve, qu'il est dangereux de rêver !

Aussi Jean Baptiste nous réveille de ce rêve, en criant qu’il nous faut faire le même chemin qui a suscité cette joie, cette paix ! Ce chemin, c'est celui de la fidélité qui cherche à recevoir de Dieu seul la présence de Dieu, de Dieu seul la sainteté et l'amour. Et pour cela, il nous faut sans cesse nous convertir, comme le Baptiste nous y invite, pour accueillir le Règne de Dieu…

Prions la Vierge Marie. Entrons en son vrai mystère : “Les commencements, a écrit Jean Guitton à propos de Marie, sont toujours riches de signification, contenant déjà en germes ce qui va se développer par la suite… C’est en effet un des caractères de la conduite de Dieu sur l’histoire que de ramasser en de certains êtres privilégiés (comme Marie), ce qui doit, par la suite, se développer longuement, se déployer et s’expliciter. Ainsi, l’homme inquiet, asservi à l’écoulement du temps, peut jouir de ce qui n’est pas encore” mais qui arrivera !

… De ce qui n’est pas encore pleinement et qui demande conversion : “Convertissez-vous…”, nous dit Jean-Baptiste ! Afin de paraître debout, dirait St Paul, “au jour de la venue du Christ Jésus !".

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