dimanche 30 décembre 2012

Sainte Famille /C

Quel étrange récit que celui de la disparition de Jésus et de son “recouvrement au Temple", comme on dit dans le Rosaire.

Etrange car personne ne s'attend à voir Jésus - dont St Luc dit qu'il grandissait en sagesse - se comporter de cette façon envers Marie et Joseph. Il s'agit pourtant de la première démarche personnelle et de la première parole de Notre Seigneur que l'Evangile rapporte ! Démarche et parole qui nous déconcertent. 

Et cependant si l'on y réfléchit, cet évènement apparaît exemplaire, en ce sens que l’avenir du Christ et aussi l'avenir de chacune de nos vies dans le Christ s’y trouvent annoncés. 

Il n’y a qu’à remarquer certains détails ; et de singuliers rapprochements se feront aussitôt :
- Trois jours : pendant trois jours Jésus n'est plus là et se laisse chercher ! Mais n'est-ce pas là ce délai qu'il fixera souvent quand il parlera de sa mort et de sa résurrection ? "Le Fils de l'homme - dira-t-il - doit être livré aux mains des hommes… et il ressuscitera le troisième jour". 
- Autre rapprochement : "Je dois être aux affaires de mon Père", répond-il à ses parents angoissés. Or ces mots : "Je dois" ou bien "Il faut“, nous n’avons aucune peine à les retrouver en d'autres dialogues. “Le Fils de l'homme doit souffrir beaucoup", déclare Jésus à ses apôtres. Et aux pèlerins d'Emmaüs : "Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ?”. 
- Enfin, autre élément de comparaison : si la réponse de Jésus laisse interloqués Marie et Joseph, de même, remarque St Luc souvent, les Apôtres "ne comprirent rien“, ils ne comprenaient rien à  l’enseignement et aux événements que Jésus leur annonçait (Lc 2.50).

Ainsi l'évangile d'aujourd'hui nous découvre l'avenir de Jésus. Le voici annoncé, symbolisé : disparition, puis recouvrement. Autrement dit : Pâque, passage de la mort à la vie, passage des ténèbres à l'aube éblouissante du troisième jour, passage nécessaire selon la plan de Dieu, mais bouleversant pour la raison et pour le cœur de ceux qui en sont les témoins… et pour nous encore. 

Et pourtant notre avenir, à nous aussi, peut se lire dans ce texte. Car cette Pâque nous est familière, tout disciple de Jésus étant invité à communier à la Passion de son Maître pour participer à sa Résurrection. 
Souvent il nous est dit qu'il n'est pas une peine, un effort, un geste de générosité qui ne puisse prendre cette orientation et cette valeur.  
Mais ce matin, je retiendrai cette forme précise de souffrance qu’éprouvèrent Marie et Joseph : perdre Jésus, le chercher alors dans une anxiété grandissante, en s'imaginant qu'on ne le retrouvera peut-être pas. N'est-ce point là, parfois, l’expérience du croyant, du chrétien, et même de la religieuse, du religieux : avoir la vision, par la foi, de la présence de Jésus, Dieu fait homme, Dieu en nous ; et faire ensuite l’expérience très amère de son absence alors même qu’on affirme vouloir le suivre et l’aimer ! 

Je ne fais pas, là, allusion, bien sûr, à une rupture consentie de notre part ! Un auteur spirituel a écrit : “Dieu ne nous quitte pas ; on le renvoie… ! ”. Je ne pense pas, ici, au mal où s’engage parfois la liberté humaine, au péché dont elle accepte les conséquences : perdre Dieu parce qu'on l'a renvoyé. 
Non !  Je pense à ces journées, à ces périodes de l'existence, où le Christ semble absent, absent de notre cœur, absent de notre esprit. De cette absence qui nous fait nous exclamer : “Je n’arrive plus à prier. Je n'ai plus de goût pour les choses de Dieu !”. Ou bien, “Toutes sortes de difficultés me submergent, et l'aide implorée ne vient pas !”. On dit cela… Ou encore : “Ma foi semble faiblir ; et je me sens comme dans un désert, une solitude. Je cherche à tâtons, je frappe à toutes les portes, comme Marie et Joseph qui firent le tour des amis et connaissances afin d’être rassurés… ! - Mon Dieu, où êtes-vous ?”

Ste Catherine de Sienne a posé cette question : “Mon Dieu, où étiez-vous ?” après qu'elle eut retrouvé cette présence du Seigneur. Elle s'était affrontée à des tentations obsédantes et, la paix revenue, elle se plaignait, elle aussi. - “J'étais dans ton cœur !”, répondit Jésus. 

Voilà ce qu'il importe de retenir. Le Seigneur ne nous quitte pas. Il est là, invisible. Mais il agit parfois envers nous comme envers sa propre mère ! A Marie, il voulut rappeler l'œuvre pour laquelle il s'était incarné et qui réclamait son indépendance de Fils de Dieu.  
Nous, il veut nous empêcher de nous endormir dans le confort spirituel trop humain, obtenu par la force de notre propre volonté et en lequel on se complaît facilement. Notre foi, il la met à l'épreuve - non pas pour l'abattre comme peut faire un entourage hostile - mais pour la fortifier, la purifier, pour que s'accomplisse cette chose fantastique : retrouver le Seigneur après l'avoir réellement cherché, comme Marie et Joseph en quête de leur enfant. 

 Y a-t-il un seul converti parmi nous - et quel chrétien authentique n'est pas de quelque manière un converti ? - qui ne reconnaisse là son difficile chemin vers la joie d’un recouvrement, la joie de trouver vraiment le Seigneur ? 


Disant cela, n’oublions pas pour autant la fête que nous célébrons, celle de la Sainte Famille ! 
Retrouver dans le récit évangélique, si profondément humain, le symbole de la Pâque de chaque chrétien permet de rendre grâce pour le foyer de Nazareth, pour tout foyer chrétien. 
A Nazareth deux êtres se sont aimés “comme jamais deux époux ne s’aimeront”. Il faut écarter l'idée d'un pseudo-mariage entre Joseph et Marie, d'une sorte de rite légal de pure forme en vue seulement de la naissance virginale du Fils de Dieu fait homme. Non, Marie et Joseph s’aimèrent et l’on aurait grand profit à méditer les extraordinaires beautés de cet amour unique. 
Il ne faut pas perdre de vue le sens de ce premier foyer à qui Jésus apporta la richesse de l’Alliance avec Dieu dont toute alliance est, doit être le signe ! Pendant des siècles, c’est  en revenant constamment au mariage de Joseph et de Marie que la pensée chrétienne a précisé les principes du sacrement de mariage. St Augustin ne parlait de celui-ci que par référence à la Sainte Famille. Et Bossuet a des pages admirables sur cette union qui est, dit-il, “très véritable” parce que Marie et Joseph “se sont donnés l'un à l’autre” par amour. Et le pape Jean-Paul II a fortement repris cet exemple. 

Une phrase de St Luc éclaire ce mystère de la Sainte Famille : Marie “gardait toutes ces choses dans son cœur”. 
Le foyer de Nazareth a vécu une totale harmonie, et on peut songer à lui quand St Paul nous exhortait à nourrir “des sentiments de tendre compassion, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience”. Mais c'est la présence de Dieu, la présence de son amour, qui transfigurait tout dans la joie et l’émerveillement. 
Ils gardaient, les partageant certainement, tous les événements ; ils les méditaient en leur cœur. Ce qu'ils comprenaient, Marie et Joseph s’en pénétraient jusqu’au plus profond de leur être. Et ce qu’ils ne comprenaient pas, comme cette disparition de leur enfant, ils la gardaient en eux, pour que ces gestes et ces paroles qui les dépassaient, agissent sur leur cœur et l'élargissent en une dimension divine. 

Aussi, nous,religieux, religieuses, prions instamment pour tous les foyers chrétiens. J’ose moi-même faire cette prière : “Que s'épanouisse en vos familles l'idéal si précis que trace Saint Paul : laissez le Christ venir au sein de vos familles, le laisser vivre au milieu de vous et en vous.
De ce qui vous apparaît clair, heureux, fécond dans vos vies, sachez vous en émerveiller : il y en a tant qui ne le font pas ! 
Et ce que vous comprenez mal, et qui fait qu'il y a tant de foyers souffrants en ce temps où les liens d’amour semblent se distendre trop facilement, et, parfois, cette sorte de disparition de l’amour qui se cache comme Jésus au milieu des docteurs, tout cela gardez-le dans votre cœur, non pas pour y accumuler des causes d’amertume, mais pour permettre à la souffrance et aux énergies divines de tout transfigurer“. 

Sachons-le tous : l'amour, l'amour vécu selon Dieu, ne nous abandonne jamais. Alors laissons Dieu tout purifier, comme il purifie la foi de ceux qui le cherchent. Et le troisième jour, dans l'amour de Jésus, Dieu fait homme, tout ressuscitera.

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