dimanche 11 septembre 2011

Le Pardon !

24e Dimanche du T.O. 11/A

77 fois 7 fois ! C'est de la folie ! 77 fois 7 fois !

Alors que la vengeance se pratique normalement à un niveau très élevé, Jésus dit : Pardonnez 77 fois 7 fois ! Lameck, descendant de Caïn, déclinait comme des articles d'un code universel : "J'ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C'est que Caïn est vengé sept fois. Mais Lameck, 77 fois 7 fois !" (Gen 4.24). C'était la vengeance déchaînée, aveugle, sans mesure.
Et Jésus dit, lui : pardonnez 77 fois 7 fois !

Certes, la loi du talion avait freiné la méchanceté. Il s'agissait d'égalité : "Dent pour dent, œil pour œil" ! (Ex 21.24). Pas plus ! C'était déjà un progrès ! Mais Jésus dit, lui : pardonnez 77 fois 7 fois !

Au temps de Jésus, certains rabbins conseillaient de pardonner jusqu'à trois fois. Pierre qui savait la magnanimité de Jésus lui demande s'il faut aller jusqu'à 7 fois. La réponse donne le vertige : 77 fois 7 fois ! Le chiffre de perfection (7) multiplié jusqu'à l'infini… Jésus n'est-il pas en train de rêver, au lieu d'aider les hommes à progresser modestement au milieu des conflits qui les déchirent ?

77 fois 7 fois ! C'est un délire ! Oui ! Le délire de l'amour, l'escalade non plus de la haine, mais de l'amour. Et l'amour ne se mesure jamais ; il va bien au-delà de 77 fois 7 fois ! Ainsi Jésus laisse voir jusqu'où va son ambition sur l'homme : il demande d'aimer les ennemis pour "être les fils du Père qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons" (Mth 5.45). Il veut nous emporter dans la contagion de ce Dieu qui est toujours dans l’attitude du “Père de l’enfant prodigue“, qui veut bousculer les instincts, les atavismes, les rigidités, les étroitesses pour faire une humanité de fils et de frères ! Si Dieu cessait de pardonner une seule seconde, je crois que notre terre volerait en éclats. Nous n’aurons pas trop de notre vie entière pour le remercier d’avoir remplacé la vengeance par la grâce, le pardon, l’amour…

77 fois 7 fois ! La formule n'est pas l'hyperbole d'un sage : Jésus exprimait ce qu'il vivait. Dans les villages et les villes, il distribuait le pardon : "Tes péchés te sont remis" (Lc 5.23). Scandale : alors qu'il existait des rites de purification au temple, Jésus pardonnait les péchés dans la rue, sur le tas, sans aube ni confessionnal ! Et ses ennemis ne manqueront pas de lui reprocher de se faire l'égal de Dieu, de gaspiller la miséricorde.

77 fois 7 fois ! Jésus lui-même a encore balbutié cette consigne dans l'abîme de l'agonie : "Pardonnez-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font" (Lc 23.34). Les bourreaux et les juges ne savaient-ils pas encore qu'on ne résout rien en tuant un homme. La violence qui semble décharger les tensions des collectivités n'est finalement qu'une maladie épidémique de l'enfance interminable de l'humanité. Et Jésus a voulu la fixer sur lui pour en épuiser le venin. Dès lors, nous n'avons pas d'autre sacrifice que de faire mémoire vivante de celui qui a donné sa vie et sa mort pour la multitude, en "alliance nouvelle et éternelle".

77 fois 7 fois ! Jésus, blessé à mort, a encore la force de dire : "Père, pardonne…". Ceux qui pardonnent véritablement sont des êtres blessés. Et, plutôt que d'étendre la contagion du mal, ils l'arrêtent à eux-mêmes. Ils en épuisent le venin. Comme Jésus en croix ! Au lieu de garder les poings serrés, ils ouvrent des mains généreuses. Et la bonté finit par submerger la souffrance et la rancune. Cette transmutation, le Christ l'a accompli du haut de la croix. Cette transmutation qui s'accomplit souvent dans le secret, est l'acte à la fois le plus humain et le plus divin, le plus rédempteur, tant il est vrai que si l’erreur et la faute sont humaines, le pardon est divin. Ceux qui pardonnent, non seulement transfigurent leur propre blessure grâce au rayon divin du soleil de Pâques, mais guérissent la plaie qui court toujours sur le visage de l'humanité et qui la défigure depuis ses origines : la violence.

77 fois 7 fois ! “L’amour prend patience, dira St Paul (I co 12) ; il n‘entretient pas de rancune ; il excuse tout ; il endure tout“. L’amour, le vrai, pardonne ! Il nous faut sans cesse découvrir ce prodige qu’est le pardon dont seul est capable l’amour.
- Il y a le pardon que l’on reçoit de l’être que l’on a blessé et dont les larmes sont d’autant plus bouleversantes pour nous qu’elles sont larmes engendrées par l’amour qui nous est porté.
- Et il y a le pardon que l’on donne à l’être qui nous a blessés, parce qu’il est aimé de nous à l’infini.
Parce qu’il est totalement gratuit et n’est point donné en forme de marchandage, le pardon est rare, infiniment rare, tant il est le signe de l’amour porté à la perfection !

77 fois 7 fois ! Et Jésus ajoutait : “Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi !“ (Mth 6.14). Et le Curé d’Ars de commenter : “Dieu pardonnera qu’à ceux qui auront pardonné : c’est la loi !“. Or, habituellement, nous nous pardonnons tout et rien aux autres ! Pourtant, disait St Jean Chrysostome, “qu’avons-nous jamais à pardonner aux autres qui soit en proportion avec ce que le Seigneur nous pardonne à nous-mêmes ?“ Il ne s’agit pas de confondre le bien et le mal, de dire que la faute n’existe pas. Il ne s’agit certes pas d’appeler noir ce qui est blanc, et blanc ce qui est noir ! Il s’agit de vivre au-delà du mal : dans l’amour !

C’est pourquoi le Seigneur nous fait dire chaque jour : “Pardonne-nous comme nous pardonnons !“. - J’ai connu des personnes qui, dans l’authenticité et la vérité de leur être, n’arrivaient pas à prononcer cette formule lors de la proclamation commune du “Notre Père“, tant ils ressentaient de la rancune, cette maladie du cœur qui empêche de pardonner. Oh ! D’autres - et ce n’est peut-être pas mieux - prononcent allègrement cette parole du Seigneur alors qu’ils ressentent toujours cette noire rancœur qui cultive si facilement et amèrement les blessures du cœur et de la mémoire. Pire, ils ne résistent pas à la tentation de trouver du plaisir à voir celui qui les a blessés ou lésés subir, éventuellement, à son tour, revers et malheurs, comme une sorte de revanche savourée. Et pourtant, Jésus dit : “pardonnez 77 fois 7 fois !“. Il nous faut trouver cette magnanimité, cette grandeur d’âme qui va tellement, il faut le reconnaître, à contre-courant de la loi de la jungle de nos sociétés.

St Benoît a prescrit de réciter la prière du Seigneur à chaque office. Car il savait bien que même dans les communautés les plus fortement unies, il pouvait, il peut se produire de petites meurtrissures, ne serait-ce que par le seul fait de la diversité des tempéraments. Et les meurtrissures, même petites, lorsqu’on y touche par la pensée ou la parole, peuvent s’endolorir et s’envenimer, alors qu’avec la force du Christ elles peuvent s’effacer facilement : “Pardonnez nos offenses comme nous pardonnons !“. Finalement, s’il y a une faute impardonnable, c’est de ne pas pardonner !

Jésus disait : pardonnez 77 fois 7 fois ! Lameck avait dit, aux origines de l'histoire : vengez-vous 77 fois 7 fois ! Quand sortirons-nous donc de notre préhistoire pour atteindre, avec le Christ ressuscité, à la stature de l'homme accompli ?

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