dimanche 25 septembre 2011

Amen !

26ème Dimanche T.O. A/11

Ne serions-nous pas de ceux qui disent "Oui Seigneur" ? Dans la célébration d'aujourd'hui, nous allons répéter "Oui Seigneur", plusieurs fois ! Je dis bien plusieurs fois ! Et peut-être que le drame de notre vie chrétienne est d'aller répétant à chaque instant un "Oui" verbal, purement verbal sans résonance efficace.

Combien de fois allons-nous dire pendant cette heure qui nous rassemble : "Oui Seigneur", AMEN ! Car c'est bien la signification du mot "Amen" ; et je profite de la parabole évangélique pour tenter d'expliquer ce mot si riche et si intraduisible que nous l'avons conservé tel quel dans la liturgie. Aussi est-il important d'en comprendre la signification, la portée...

La racine du mot "Amen" évoque un élément qui est solide, stable, quelque chose ou quelqu'un qui porte, qui est capable de porter. A cet égard, les mots qui, en hébreux, dérivent directement de cette racine sont significatifs : "Ameneth" - "nourrice" : celle qui porte l'enfant ; et certains nom propres : “Amasya“, ce chef de la tribu de Juda au temps du roi Josaphat (+ 848), “un engagé volontaire pour le Seigneur“, est-il dit (2 Chr 17.16), “Amasya“ qui veut dire “Dieu a porté“ : il était porté par Dieu pour porter le peuple. Ainsi du nom de “Amos“ : “Dieu porte“.

Aussi il n'est pas étonnant que cette même racine hébraïque ait forgé des mots qui évoquent la stabilité, la fidélité, la vérité, la foi.

Ainsi "Amen" évoque :

- la stabilité : Dieu seul, est-il dit, peut donner une stabilité, une fermeté à la Maison de David. Et quand les bras de Moïse restent stables (“emouna“), fermes vers le ciel, autrement dit quand sa prière demeure persévérante, Dieu l'exauce.

- la fidélité : Notre Dieu, disaient les Juifs, est le "Dieu de l'Amen" c'est-à-dire le Dieu fidèle en son alliance avec le peuple. Aussi, dira Isaïe, “quiconque voudra se bénir sur la terre, se bénira par “le Dieu de l’Amen“. Et qui conque jurera sur la terre, jurera par “le Dieu de l’Amen“ (Is 65.16). Ce que St Paul confirmera à sa façon : “Toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur “Oui“ en la personne du Christ. Aussi est-ce par lui que nous disons “Amen“ à Dieu, pour sa gloire. Celui qui nous rend fermes avec vous dans le Christ, c’est Dieu !“ (2 Co. 1.20). Car le Christ, dit l’Apocalypse, est bien “l’AMEN“, le témoin fidèle et véritable“ (3.14). C’est bien sur lui qu’il nous faut nous appuyer pour être nous-mêmes fidèles à Dieu !

- la vérité : Car si pour un Grec la vérité est ce qui est dévoilé, libéré de toute obscurité (a-lètheia), pour le Sémite qui est un homme plus pragmatique, plus concret, la vérité est ce qui est solide, ce sur quoi on peut s'appuyer. Et si le "Dieu de l'Amen" est le Dieu de la fidélité, il est aussi le Dieu de vérité : “Le Seigneur Dieu est Vérité !“ (Jr 10.10). “Toutes les routes du Seigneur sont fidélité et vérité“ (Ps 25.10). Et le Christ a rendu témoignage à la Vérité (Jn 8.14), en enseignant “les chemins de Dieu en toute vérité“ (Mth 22.16 et //). Aussi était-il “le chemin, la vérité et la vie“ (Jn 14.6), promettant à ceux qui s’appuient sur lui “l’Esprit de vérité“ (Jn 16.13).

- la foi : Qui n'est rien d'autre que de prendre appui sur Dieu qui est solide, qui est stable comme un “rocher“, comme un “roc“. Et nous devinons déjà l'importance du mot "Amen", le "Oui" de l'enfant qui s'abandonne à son Père qui le porte.
Le prophète Isaïe qui transmet la parole de Dieu a un joli jeu de mots : "Si vous n'êtes pas tenu (ta’aminou) à moi (si vous n'êtes pas porté par moi), vous ne tiendrez pas" (tè-émènou) (Is. 7.9). La foi, chez les prophètes, est moins la croyance abstraite que Dieu existe et qu’il est unique, que la confiance en lui, fondée sur l’élection : Dieu a choisi Israël, il est son Dieu (Dt 7.6sv) et peut seul le sauver. Cette confiance absolue, gage du salut (Is 28.16) exclut le recours à tout autre appui, des hommes ou à plus forte raison des faux dieux (Cf. 30.15 ; Jr 17.5 ; Ps 52.9).
Et le livre du deutéronome dira explicitement : "pour celui qui ne veut pas être porté (qui ne veut pas croire) il n'y a pas de repos pour la plante de ses pieds. Il craindra, n'étant pas sûr (solide, stable) pour sa vie" (Dt 28/65). Pour un homme concret, c'est cela la foi. (Cf. la “maison bâtie sur le roc“)

Ainsi, toute notre vie chrétienne consiste donc à s'appuyer sur Dieu, à dire "Amen" à ce "Dieu de l'Amen", ce Dieu solide, sûr, stable, qui nous porte, ce Dieu de fidélité et de vérité.

Et c'est ce qu'a fait le Christ lui-même. Le Christ n'est que "l'Amen", le grand "Oui" à Dieu son Père. Au sein même de la Trinité, il n'est que le reflet, l'image de son Père, l'empreinte de sa substance. Et toute sa vie humaine n'a été que transparence de Dieu son Père, un accueil parfait, un "Oui", un "Amen" parfait : "Qui me voit, voit le Père". "Ma Parole n'est pas mienne, mais celle du Père" (Jean 7-16). "Le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit faire du Père; car ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement" (Jn 5-19). "L'Amen" au Père, c'est d'abord le Christ lui-même ; Il est l'accord parfait, le "Oui" sans retenue, la cohérence absolue entre le dit et le fait. Car sa nourriture, au Christ, est de faire et de bien faire la volonté du Père jusqu'à l'extrémité de l'obéissance, par amour, comme nous le rappelle si fortement la seconde lecture. Pour Jésus, "Amen" c'est l'engagement total et le don intégral culminant sur la croix.

Et, en conséquence, en étant ainsi "l'Amen", le "Oui" éternel au Père qu'il n'a fait que traduire dans toute sa vie humaine, le Christ reçoit du Père cette même solidité, cette même assurance sur laquelle on peut s'appuyer.
Ainsi, la vérité qu'il nous transmet du Père appelle de notre part une fidélité semblable à la sienne, fidélité qui assure la solidité de notre vie : "Celui qui écoute ma parole et la met en pratique est semblable à un homme qui a bâti sa maison sur le roc". Toute la vie chrétienne consiste, sous l'action de l'Esprit du Père et du Fils, à dire "OUI", "AMEN" à Dieu, par son Fils qui est le "Oui", "l'Amen" du Père. C'est ce qu'à fait également et parfaitement Marie : de l'Annonciation à la Croix, elle n'a fait que traduire sont Fiat, son "Amen" initial.

Comme disciples de Jésus, nous sommes nés de son "Oui", nous sommes les frères de son "Amen" à Dieu. Et voici la parabole des deux fils, pour nous aider à reprendre conscience de tout cela.

Le second fils est un chrétien par réflexe et par conformisme. Le pli est pris depuis l'enfance. Quand l'Eglise ou le Prêtre s'exprime, c'est un premier garde-à-vous instinctif et superficiel. Et ensuite on s'arrange en douce, on se ménage sa petite vie dans la tanière de son conformisme qui assure un apparent confort ! Quand la foi bouscule les vieilles habitudes, entame ce confort, exige le sacrifice, c'est le repli, la mise à l'abri derrière mille excuses. Moyennant quoi, les grandes déclarations du début glissent dans le vide comme l'eau sur une plaque de marbre.

Tout autre est le premier enfant. Il mesure sa faiblesse et devine combien l'obéissance au Père va déranger sa vie quotidienne. Honnêtement, devant le scandale de l'Evangile, il est pris de vertige et recule, paniqué. Mais son cœur réfléchit. Peut-être même a-t-il prié. Il voudrait bien, mais ... Et voici le miracle de conversion. Au terme d'une lutte qui l'a saisi au plus profond de sa conscience, il se met à pratiquer réellement ce que tant d'autres affirment globalement. Sans fanfaronner, il s'attelle à la charrue de l'existence chrétienne. Seulement quelques pas pour commencer, puis tous les sillons. Le champ de l'existence est peu à peu labouré, patiemment, par la somme de petits engagements concrets qui préparent la moisson de la sainteté.

Nous disons tant de "Oui" à Dieu, nous chantons tant d'"Amen" avec la légèreté de l'inconscience. Il nous faut devenir les humbles fidèles de l'"AMEN", les disciples du "Oui" évangélique qui entraîne peu à peu toute la vie à la suite de Jésus.

Les hommes sont souvent fatigués des belles paroles et des pieuses intentions. Les plus pauvres en particulier, les marginaux de tout acabit attendent de nous des actes, des gestes. Les chrétiens sauront-ils enfin se comporter en enfants de l'AMEN ? Aujourd'hui, combien d'"Amen" allons-nous dire ou chanter dans la liturgie dominicale ? Combien allons-nous en mettre en pratique durant la semaine qui suit ? Beaucoup, avec la grâce de Dieu, je l'espère. AMEN.

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