dimanche 26 décembre 2010

Sainte Famille !

Sainte Famille 10/A


Joseph et Marie s'en vont, le bébé dans les bras, le baluchon à l'épaule. Les voici sur les chemins de l'exil, chemins de peur, de rêves éteints, vers un avenir incertain. Comme ces routes sont encore fréquentées aujourd'hui ! Elles sillonnent notre terre de leurs tracés d'angoisses et de misères. Des millions de personnes de tout continent : “déplacées”, déportés, exilés, réfugiés, immigrés ! Victimes du racisme, d’un système politique ou - nous le savons - d’idéologies religieuses meurtrières. Ils fuient avant qu'il ne soit trop tard pour se soustraire à la misère, à la prison, à la mort…

Joseph et Marie vivent une situation incompréhensible, douloureuse. Allez comprendre qu'Hérode menace de mort un bébé, que le tyran n'en veuille qu'à l'enfant ! Pourquoi devoir quitter sa patrie et trouver refuge en Égypte, ce pays dont Israël garde un si mauvais souvenir, terre d'esclavage et de sévices de tous genres ?

L'attente en pays étranger est toujours longue ! Et quand, Hérode étant mort, la famille envisage enfin de revenir au milieu des siens, elle doit subir comme un nouvel exil ! La crainte d'Archelaüs, nouveau chef, détourne leurs pas de la Judée vers la Galilée. Jésus dira que l'homme est sur une terre d'exil : le Royaume est encore à venir ! Et la lettre aux Hébreux le rappellera : l’homme, sur terre, n’est qu’un voyageur, un étranger ! Pour l’heure, la Sainte Famille va s'établir à Nazareth !

Remarquons que le risque est toujours grand pour un exilé de s'installer dans l'exil, qu’en lui ne brille plus la lumière de sa patrie et qu'ainsi son identité soit mutilée ! - Jésus n’acceptera pas, lui, ni l'écrasement ni la résignation. De Nazareth, il sortira pour dire qui il est véritablement : Chemin vers la Patrie, Lumière pour tout homme, Vie éternelle ! On lui rétorquera : “N'es-tu pas de Nazareth ?” L’homme veut toujours enfermer l’homme !

Il n'est ni de Nazareth ni de Bethléem, ni d'un quelconque village de cette terre. Il est, avant tout, un exilé du ciel. Et son regard s'éclaire toujours de la lueur grandissante du Royaume à venir. Aussi refuse-t-il le sort parfois tragique des exilés : l'impossibilité de faire autre chose que de plier l'échine, de se soumettre ou de fuir sans cesse. Tant qu'il n'est pas “retourné en sa Patrie, vers son Père” (d'où il vient, où il va), il annoncera la nouveauté, la jeunesse de l'homme totalement libéré avec lui, pleinement libre !

C'est de Nazareth qu'il part pour clamer les béatitudes des pauvres et des persécutés, des étrangers, il les proclame à tous les exilés de la vraie patrie ! - On dirait aujourd'hui : “Les événements de son enfance l'ont profondément marqué.” La psychologie des profondeurs traite de cela, n’est-ce pas ? Et on remonterait ainsi jusqu'à ses chemins d'exil pour expliquer ses prises de position. Si on veut ! Mais il y avait en lui quelque chose de plus puissant : il portait en lui l'espérance de tous les exilés. De toutes les servitudes, oppressions et fautes elles-mêmes, il tire l'humanité vers l'aube pascale de la liberté. Il a passé par les chemins de l'exil qui s'enfoncent jusque dans l’ombre de la mort et débouchent à la pleine lumière de la Vie éternelle !

Et cette mission doit se réaliser d’abord en toute famille sur terre, à l’exemple de la Sainte Famille ! St Paul l’a bien compris alors même que ses écrits rappellent les conditions sociales de son temps. Mais là n’est pas l’important. D’ailleurs, d'une culture à l'autre, d'une époque à l'autre, bien des choses changent dans la condition des personnes, dans le mode de leurs relations, en société comme en famille. Certaines évolutions constituent d'indéniables progrès ; pas toutes, cependant. Et pour apprécier, le chrétien, semble dire St Paul, ne doit pas commettre des erreurs de perspective. Pour l’Apôtre, il s'agit, avant tout, de rappeler quelques grands principes généraux de morale familiale. Et cette morale est théologale : elle a sa source en Dieu lui-même ! Elle doit signifier déjà et avant tout les mœurs de la nouvelle et éternelle Patrie à tous les exilés de la terre que nous sommes.

Voilà pourquoi St Paul rappelle d’abord aux chrétiens que Dieu les a choisis pour être "ses fidèles et ses bien-aimés" : ils sont déjà de la Patrie céleste !. Ceux que Dieu a aimés le premier doivent donc "revêtir leur cœur de tendresse et de bonté, d'humilité, de douceur, de patience" : en d'autres termes, ils doivent laisser Dieu modeler en eux un cœur nouveau. Le fondement de la morale familiale est donc la transformation radicale de l'homme, opérée par la grâce divine qui nous donne un Esprit, l’“Esprit de famille“, de la famille divine !
Pas de place pour la casuistique. Un seul principe : agir "comme le Seigneur", "au nom de Jésus", "dans le Seigneur". La forme des rapports réciproques peut changer dans le couple, entre parents et enfants, et ils se sont, de fait, modifiés depuis St Paul. Mais, dans toutes les situations, les principes généraux des relations "en Christ" demeurent d'actualité. "La paix du Christ", "l'unité dans la perfection" en restent les fruits précieux en toutes saisons, et surtout aux moments des difficultés. Et la Sainte Famille reste pour nous un précieux modèle, au moment des divers exils.

Comme toutes les familles, elle a connu difficultés, soucis, épreuves, elle a été soumise aux heurs et malheurs des circonstances : un édit de l'empereur et il faut partir pour Bethléem; la cruauté d'un roi et l’on doit s'enfuir; la peur de son successeur oblige à s'établir à Nazareth. En tout cela, ils s'en remettent à la Providence, à la volonté de Dieu. Et tous ces événements néfastes n’empêchaient pas les membres de cette “Sainte Famille“ de vivre dans l'action de grâce, comme dit St Paul. Et Marie, certainement, ne cessait de chanter son Magnificat, elle qui "retenait tous les événements, les méditait en son cœur" (Lc 2,19).

La fête de la Sainte Famille nous rappelle tout cela ! Et les prières de la messe non seulement demandent "la grâce de pratiquer les vertus familiales à l'imitation de la Sainte Famille" (oraison d’entrée) ; mais elles nous font supplier Dieu "d’affermir nos familles dans sa grâce et dans la paix" (oraison sur les offrandes). Sachons nous tourner vers Dieu pour qu'il accorde "à nos familles d'imiter la famille de son Fils et de goûter avec elle, après les difficultés de cette vie, le bonheur sans fin" (Post-communion).

En ce temps de Noël, il y a aussi cette antienne de la communion qui doit retenir notre attention : "Notre Dieu est apparu sur la terre ; il a vécu parmi les hommes". Autrement dit, il faut situer résolument le Mystère de la Sainte Famille dans celui de l'Incarnation. Le Fils de Dieu s'est vraiment fait homme. Il n’a pas fui les réalités humaines. Et il nous a promis d’être toujours présent : “Je suis avec vous tous les jours !“. Alors ne rêvons pas qu'il est partout présent sauf où l'on souffre et meurt, ou en terre d’exil, là, où vivent les hommes aux prises avec les réalités humaines parfois difficiles, voire cruelles. Non ! Dieu s’est fait homme. Il est là en toute circonstance humaine et surtout familiale.

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