mardi 28 décembre 2010

Innocents !

Saints Innocents 10/A - (I Jn 5-2.2 – Mth 2.13sv)

Aujourd’hui, je devrais être un peu comme un “infans“, celui qui n’a donc pas l’usage de la parole, à l’exemple de ceux que la liturgie fête aujourd’hui, les Saints Innocents qui, comme dit l’oraison du jour, ont proclamé la gloire de Dieu non en palabrant (comme je le fais), mais en mourant ! Dès leur naissance, ils annoncent déjà l’Agneau immolé allant vers la mort comme une brebis “vouée à l’abattoir“ (Zach. 11.4),muette devant ceux qui la tondent“ (Is 53.7).
Ces petits innocents qui ont donné leur vie sans phrases, sont un exemple pour tous, pour nous disciples de St Benoît qui dit dans sa Règle : “se taire convient au disciple“ ; et “c’est dans l’obéissance qu’on embrasse la patience silencieusement“. Tant il est vrai qu’il est préférable de louer Dieu par toute notre vie que par nos paroles !

La fête d’aujourd’hui apparaît au 4ème siècle. Et le poète espagnol Prudence que notre liturgie utilise (Hymne des Laudes) ne se prive pas de louer ces “petits Innocents“, dans un style… très “innocent“ : “Salut, fleurs des martyrs qu’au seuil même du jour, l’adversaire du Christ a fauchées comme l’ouragan les roses naissantes. Vous, les premières victimes du Christ, tendre troupeau d’immolés, devant l’autel vous jouez sans façon avec la palme et les couronnes“. Et son contemporain, Paulin de Nole, les imaginait, lui, dans un bosquet parfumé du paradis ! On songe à ces petits amours que l’art antique figurait volontiers ! Peut-être que Péguy s’est inspiré de ces auteurs pour conjecturer, dans son “Mystère des saints Inno-cents“, que ces petits camarades de la promotion de l’Enfant-Jésus jouent désormais au cerceau avec lui… dans le Royaume de Dieu ! …

Quoi qu’il en soit de leur actuel bonheur céleste, Matthieu nous propose de prier pour ces mères inconsolables dont les enfants sont arrachés à leur affection d’une manière ou d’une autre : “Alors s’accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : « Une voix dans Rama s’est fait entendre… : c’est Rachel qui pleure ses enfants et elle ne veut pas être consolée, parce qu’ils ne sont plus »“.

Une précision amusante et instructive. Le livre de la Genèse affirme bien que c’est à Bethléem que meurt Rachel (Gen. 35.17-20) et non à Rama ! Ce que confirme également le premier livre de Samuel (10.2sv). Et, par ailleurs, il est normal que l’évangéliste évoque, à propos de ces Innocents tués à Bethléem, la figure de son ancêtre Rachel qui pleure ses enfants disparus, exilés... Mais pourquoi ce texte de Jérémie situe-t-il la tombe de Rachel à Rama, à 9 km au nord de Jérusalem et non à Bethléem ? Tout simplement parce qu’il était plus facile aux tribus issues de Rachel (Manassé, Ephraïm, Benjamin) de se rencontrer en un point de conjonction de leurs territoires, à Rama justement, pour commémorer leur aïeule plutôt qu’à Bethléem, plus au sud ! Alors, en ce lieu, à Rama, on s’est permis, sans souci historique, de faire une autre “tombe de Rachel“ !

C’est dire que dans l’Ancien Testament, on attache beaucoup moins d’importance aux précisions topographiques, chronologiques qu’à la signification providentielle des événements. Ainsi, St Matthieu n’hésite pas à citer Jérémie, même si Rama n’est pas le lieu précis de la tombe de Rachel, parce que l’oracle du prophète se termine par une espérance pratiquement pascale : “Ainsi parle le Seigneur : « Cesse ta plainte, sèche tes yeux ! Car il est une compensation pour ta peine : tes enfants vont revenir du pays ennemi. Ton avenir est plein d’espérance : ils reviennent dans leur patrie… »“. Rama fut le lieu de départ des déportés (Cf Jr 40.1). Rama sera le lieu du retour des exilés. Autrement dit, signifie St Matthieu, la disparition des enfants innocents fut une cause de souffrance atroce ; mais cessons nos pleurs, car ils “reviendront“, ils reviennent déjà dans le mystère pascal du Christ qu’ils annoncent !

Dernière remarque : dans la Congrégation de Solesmes, en la fête des saints Innocents, il est d’usage que le noviciat - les “infantes“, n’est-ce pas (du moins en principe) - soit à l’honneur, durant l’office principalement (les novices prennent la place du cérémoniaire, des chantres… etc). Il est de coutume aussi qu’au dessert du déjeuner, on serve une sorte de “bouillie laiteuse“ (pas désagréable pour autant) propre aux nourrissons… Occasion de nous rappeler ce passage de l’épitre aux Hébreux (5.11sv) : “Alors qu'avec le temps vous devriez être devenus des maîtres, vous avez de nouveau besoin qu'on vous enseigne les premiers rudiments des paroles de Dieu, et vous en êtes venus à avoir besoin de lait, non de nourriture solide…“.
Je crois que nous sommes tous encore des bébés, des “infantes“. C’est pourquoi j’aurais du me taire plus tôt … Je n’ai donc fait que babiller, la parole étant toujours si ridicule face au mystère du Verbe incarné !

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