2 Pâques Lundi 2014
Nicodème comme
Nathanaël, semble-t-il, était versé dans la connaissance des Ecritures.
Peut-être adressait-il au peuple, écrivait-il des "midrashim"
c'est-à-dire des commentaires de la Torah. Le mot "midrash" venant du
verbe "drash" - chercher -, il aimait chercher, avec des étudiants
peut-être, le sens de la Torah et ses nécessaires applications pratiques. Il
était, en quelque sorte, un exégète ! Certains de ses confrères - les
pharisiens surtout - étaient très imbus de leur savoir, devenant facilement orgueilleux
et hautains, tendance humaine qui, malheureusement, n'a pas toujours été évitée
par ceux qui détiennent ou semblent détenir le "savoir chrétien" !
Ce
n'était sans doute pas le cas ni de Nathanaël, ni de Nicodème ! Cependant leurs
rencontres avec Jésus furent radicalement différentes.
Tandis
que Nathanaël, dès la première
rencontre, en plein jour, éclate d’enthousiasme : "Rabbi, tu es
le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël" (Jn 1,19), Nicodème, lui, rencontre Jésus, de
nuit.
Timidement
semble-t-il, il essaie, d’entamer par des compliments une conversation que
Jésus interrompt brusquement en lui rappelant, sans transition, l’enseignement
des prophètes (Jérémie,
Ezéchiel et les disciples d’Isaïe). Un enseignement sur la nécessité d’une
"nouvelle naissance".
C'était
déjà cette nécessité qu'avait bien entrevue David après avoir avoué son
adultère et l’assassinat d’Uri, le mari de Bethsabée : "Mauvais je suis
né. Lave-moi, Seigneur, et je serai blanc plus que neige… Qu'ils dansent, les os que tu broyas ! Crée
en moi un cœur pur, en ma poitrine un esprit ferme ! (Ps 50).
Jésus
fait appel à ce que ce notable et lettré d’Israël, Nicodème, devrait savoir de
cette prise de conscience qu’a faite progressivement le peuple élu au cours de
son histoire, en particulier lors de l’exil à Babylone : Lorsqu’il n’était
plus qu’"ossements
desséchés", il sentait bien la nécessité, pour survivre, d’une Alliance nouvelle qui ne serait rien moins qu’une nouvelle création. Une nouvelle naissance de
l’eau et de l’Esprit selon la vision d’Ezéchiel :
-
"Le Seigneur me dit : « Prophétise à l'Esprit.... Tu diras à l'Esprit : ainsi parle le Seigneur
Dieu : Viens des quatre vents, Esprit, souffle
sur ces morts, et qu'ils vivent ! » " ( Ez
37,9)
- "Il
me dit encore : « Cette eau (qui sort du
temple)
descend dans la Araba et se dirige vers la mer ; elle se déverse dans la mer (morte)
en sorte que ses eaux deviennent saines. Partout où passera le torrent, tout
être vivant qui y fourmille vivra. Car là où cette eau pénètre, elle assainit, et
la vie se développe partout où va le torrent »" (Ez 47,8-9). C'était comme une
renaissance comme au moment du passage à travers les eaux de la mer rouge !
Nicodème
a certainement profité de l'enseignement de Jésus. On le retrouve ensuite, prenant
courageusement la défense de Jésus, lors de discussions violentes pendant la
fête des Tentes : "Nicodème,
l'un d'entre eux, celui qui était venu trouver Jésus précédemment, leur dit : «
Notre Loi juge-t-elle un homme sans d'abord l'entendre et savoir ce qu'il fait
! »" (Jn
7,50-51).
On
le retrouve surtout au pied de la croix : "Nicodème - celui qui
précédemment était venu, de nuit, trouver Jésus - vint aussi, apportant un
mélange de myrrhe et d'aloès, d'environ cent livres" (Jn
19,39).
Il
contemple, comme le disciple bien aimé et la Vierge Marie, il contemple ce
corps du transpercé que Jésus lui avait prophétisé, ce corps élevé en signe de
salut, comme le serpent d’airain pour les Hébreux dans le désert (ce qu'évoquait le
Saint Pape Jean-Paul II dans le texte que je citais hier). Il contemple ce
corps transpercé qui deviendra, lors de la résurrection, le Temple au plein sens du mot, d’où
s’écoulera un fleuve de résurrection plus efficace que celui qui ressuscita la
Mer Morte dans la vision d’Ezéchiel. Lui aussi chantera alors :
"J’ai
vu l’eau vive jaillissant du cœur du Christ, Alleluia !
Tous
ceux que lave cette eau seront sauvés, Alleluia !".
Nicodème fait contraste, malgré sa lenteur
à venir à la foi, avec les chefs des prêtres et les anciens restant frappés de
cette faute par excellence, l'orgueil qui rend aveugles ceux qui croient voir !
Avec lui, nous sommes tous invités à regarder le vrai serpent d’airain, le
Christ élevé en Croix, mort et ressuscité, devenu le Temple au sens
plénier, d’où découle le fleuve régénérateur des sacrements, ce fleuve divin qui
fait parvenir jusqu’à chacun de nous la réalité de ce qu’ils signifient.
Voilà la renaissance dont parle St Jean. Et remarquons
bien : Ceux qui, comme Marie, Jean et Nicodème, sont les plus près de la croix
sont aussi les premiers appelés et les premiers bénéficiaires de cette
naissance rédemptrice en regardant avec foi "Celui qui a été
transpercé".
Même si St Jean a relaté les propos de
Jésus avec son vocabulaire, son style personnels, on ne peut penser qu’il ait
inventé ni le dialogue très circonstancié avec Nicodème, ce Maître en Israël,
ni la doctrine de la renaissance possible et nécessaire pour accéder au
Royaume de Dieu !
D’ailleurs, cette régénération concorde
parfaitement avec la nécessité prescrite dans les Synoptiques,
- de devenir de petits enfants : “Si vous ne changez pas et ne devenez comme
de petits enfants, vous n’entrerez pas…“ (Mth 18.3 ; Mc 10.15).
- ou de devenir fils du Père céleste :
"Priez pour vos ennemis… afin d’être
vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux…“ (Mth 5.44 ).
- et surtout avec la révélation
fondamentale du Seigneur : “Vous
n’avez qu’un Père, celui qui est dans les cieux“ (Mth 23.9). Et c’est lui qui
donne l’Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent (Lc 11.13).
Aussi, St Jean pourra nettement dire plus
tard : “Voyez de quel grand amour le
Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu ; et
nous le sommes !“ (I Jn 3.1).
C'est ce que Jésus disait à Nicodème :
“Nul, s’il ne renaît d’en haut, ne
peut voir le Royaume de Dieu…“. "S'il ne renaît d’en-haut..." (“gennèthè anôthèn“).
Je ne sais pourquoi le texte liturgique omet cet important adverbe “anothèn“
qui a une triple acception :
- s'il ne renaît “dès l’origine“, dès le commencement. "Au
commencement - Bereshit - Dieu créa...!'.
Dès l'éternité, nous sommes dans la pensée de Dieu !
- ou : s'il ne renaît “de nouveau“, une seconde fois.
C’est ce sens qu’a retenu la traduction latine (“denuo“) et que St Paul
utilise parfois (cf
Gal 4.9).
- ou enfin : s'il ne renaît “d’en-haut“.
C'est en ce dernier sens que Jésus
disait : “Celui qui est né « d’en-haut » est
au-dessus de tout…“ (3.31). Et lorsqu'il
s'adresse à Pilate : “Tu n’aurais sur moi
aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné « d’en-haut »…“.
(19.11). Cet adverbe
est ainsi employé pour signifier Dieu lui--même ! Et comme St Jean, St Jacques
l’oppose à "terrestre" : “Cette
sagesse (celle
qui vient de la jalousie, des rivalités) ne
vient pas « d’en-haut ». Elle est terrestre,
animale, démoniaque !“ (Jac 3.15).
Nicodème comprend bien la nécessité de cet engendrement,
mais comme il n’en a aucune idée, il interroge : “Comment un homme peut-il naître, étant vieux ? Comment peut-il
entrer une seconde fois dans le sein de sa mère ?“.
L’araméen qu’employait Jésus devait avoir
la même ambivalence du terme grec “anôthèn“.
Aussi Jésus précise le caractère spirituel de cette naissance : “En vérité, en vérité, je te le dis, nul,
s’il naît de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume des cieux. Ce
qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit…“.
La première naissance est
physiologique ; la seconde toute spirituelle. Le “Pneuma“ (ce qui est né
de l'Esprit), c’est Dieu lui-même agissant, se communiquant. Il est l’auteur de
la vie divine dans le croyant, comme il fut l’auteur de la première création (Gen 1.2).
Mais, son action étant invisible, le
Seigneur fait appel à la foi de Nicodème : “En
vérité, en vérité, insiste Jésus, je
te le dis…“ ; et il propose l’analogie du vent, indiscernable lui-même
; mais ses effets sont tellement évidents… !
On ne peut dire avec plus de force que les
chrétiens sont des enfants de Dieu et, qu’outre la nature humaine qu’ils
possèdent par le fruit d’une génération charnelle, ils possèdent la nature
divine par le fruit d’une génération divine, dont le principe est le “semen Dei in eis“, “la semence de Dieu en
eux“ dont parlera St Jean : “Quiconque
est né de Dieu ne commet plus de péché parce que sa semence demeure en lui ! Il
ne peut plus pécher parce qu'il est né de Dieu ! (I Jn 3.9 ).
Nous continuerons demain
cette médiation de ce grand mystère d'être "enfants de Dieu" !
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