Carême 5. Lundi
-
(Daniel
13.1sv)
Le livre de Daniel se présente comme
l’œuvre d’un prophète contemporain de la captivité à Babylone (6e s.). Epoque affreuse !
Les déportés ne pouvaient plus rendre un culte au “Dieu Unique !“, au "Dieu
de Justice", au Dieu qui seul peut "ajuster" toutes choses ;
ils ne pouvaient guère "pratiquer la justice" selon la Loi divine
reçue par Moïse !
Mais cette dure époque se termine
merveilleusement par l'édit inattendu de Cyrus (en 538) qui leur permet de
revenir à Jérusalem, de rebâtir le temple, de célébrer la "Loi du
Seigneur". Le livre de Daniel fait souvent référence à cette "Loi"
pour célébrer le Seigneur, le "seul Juste" qui peut "rendre
justice", peut "justifier" !
On sait maintenant que la rédaction de ce
livre date de l’époque des persécutions d’Antiochus Epiphane (moitié du 2ème
siècle)
qui provoqua la révolte des Maccabées. Ainsi le livre de Daniel (dans un style
apocalyptique) veut
dévoiler (c’est
le sens du mot “apocalypse“) quel sera le dénouement heureux de cette nouvelle
persécution en méditant sur le temps de l’exil à Babylone ! Comme
autrefois, Dieu va révéler sa "justice" sur les forces du mal.
Lui, le Juge suprême va juger, va tout
"ajuster" à Lui-même, à Lui, le seul "Saint" ! - c'est le grand objectif
de ce livre de "Daniel", prénom qui veut dire : "Dieu juge !"
- "Dan-El"
Cette pensée est illustrée par l’épisode de
notre lecture, par l’intervention de Dieu, du "Dieu de toute
justice" à travers son prophète Daniel, en faveur de Suzanne injustement
accusée, persécutée ! Comme le fut le Peuple de Dieu lui-même !
Aussi, le livre se plait à souligner, avec
complaisance, l’importance de la Loi…, de la Loi du "Dieu
juste" qui conduit l'homme à "faire alliance" avec Lui, seul
vrai Juge ! Voilà bien l'important : la manifestation de la "justice
divine" !
Et le livre ne s'attarde que secondairement
à la probité des juges d'ici-bas ou à leur fourberie. C'est l'attachement
- par la Loi de Moïse - à Dieu, seul Juge, qui importe, à Dieu qui seul
est le Maître et de l'histoire du monde et de notre histoire personnelle. Car Dieu
est le seul Juge impartial, "Dan-El" !
Pour autant, le livre ne veut pas nier la
fourberie éventuelle de tout juge et, en général, de tout responsable, qu'il soit
représentant de Dieu ou des hommes, peu importe. Notre lecture d'aujourd'hui le
prouve suffisamment.
Mais il veut surtout éviter certains
écueils, en particulier celui de lier la "justice de Dieu" à la
justice d'un homme. La "justice de Dieu" transcende l'homme,
transcende toute situation ! Il nous suffit de nous rappeler que nous pourrions
être étonnés, comme dit Jésus, de voir les collecteurs d'impôts et les
prostituées nous précéder dans le Royaume de Dieu ! (Cf. Math 21.31). L'évangile
d'aujourd'hui nous le rappelle également !
Ainsi, lorsque le juge (aujourd'hui un prêtre,
voire un évêque..., bref, un responsable divers, peu importe) a des défaillances
- et
cela peut arriver malheureusement -, trop facilement, on veut confondre la
justice de l'homme avec la justice de Dieu, le prêtre, le responsable avec
Dieu lui-même pour, en quelque sorte, habituer les hommes finalement à se défier de la justice de
Dieu, à se défier de Dieu ! Il me semble qu'à notre époque les mass-médias s'y
entendent merveilleusement à faire cette sorte d'amalgame que veut éviter à
tout prix le livre de Daniel.
Il en va de notre responsabilité de ne pas prêter à
ce genre d'amalgame ! Les situations difficiles qu'a vécues et que vit encore l'Eglise
en notre temps à propos de déviances - de mœurs, d'autorité ou d'enseignement - en certaines
communautés chrétiennes facilitent grandement cet amalgame.
Le pape François
qui a un grand sens de discernement disait dernièrement dans l'une de ses
homélies quotidiennes de ne pas confondre une forme de religion apparemment
vertueuse mais trop emprunte de suffisance humaine avec "la Religion
chrétienne" qui ne doit être que la manifestation du "don de
Dieu" que l'homme ne peut recevoir qu'avec humilité, à l'exemple de
Marie ! On dirait que pour le pape, la grande erreur de notre époque, c'est le formalisme rempli d'orgueil !
D'ailleurs, dans l'évangile où, en général,
l'intégrité des juges est davantage louée que dans le livre de Daniel, Jésus
élève encore le débat. Il entraîne toujours ses auditeurs plus loin, plus haut,
sur le terrain de la “Justice de Dieu“. “Dieu
ne ferait-il pas “justice“ à ses élus qui crient vers lui, jour et
nuit ?“ (Luc
18.7).
Une phrase digne du livre de Daniel ! Et le passage de l'évangile
d'aujourd'hui nous le redit à sa manière. C'est toujours Dieu qui importe
d'abord, et non l'homme. Ne faisons pas inconsciemment d'inversion sacrilège !
“Dieu
ne ferait-il pas “justice“ à ses élus qui
crient vers lui
?" - Notre prière même pour plus de justice ne doit pas avoir d'abord pour
but de rétablir le droit ni l’ordre juste des salaires, des revenus, des impôts,
des successions…, etc. “Qui m’a établi
pour être votre juge ou pour faire vos partages ?“, demandera Notre
Seigneur (Luc
12.14).
Cela est de la responsabilité des hommes eux-mêmes, d'autant plus s'ils
recherchent d'abord la "justice de Dieu" !
La prière qui ne doit jamais être une sorte
de marchandage établit l’ordre moins entre les choses qu’à l’intérieur du
cœur de l'homme. La prière, c’est “être avec Dieu“ ; c’est
“s’ajuster“ à Dieu. C’est “s’apprivoiser“ à lui comme il s’est “apprivoisé“ à
nous en envoyant Jésus, son Fils, parmi nous, afin que nous soyons “justes“ en
nous “ajustant“ à lui ! A l’exemple de Daniel, “Dan-El“ : “Dieu m’a
jugé“, “Dieu m’a ajusté“, pourrait-on interpréter. Et le reste viendra par
surcroît ! "Cherchez d'abord le
Royaume de Dieu et la "justice de Dieu", et tout cela (le reste) vous sera donné par surcroît !" (Mth 6.33).
Cet “ajustement“ du cœur qui “s’ajuste“ à
Dieu qui seul “justifie“, dira St Paul, est une force de vie, la force
créatrice de l’Esprit Saint qui continue de supprimer les désordres en nous-mêmes d'abord - et par voie de
conséquence seulement autour de nous - afin que tous puissent
chanter la gloire de Dieu qui fait toutes choses “justes“ !
Car il faut bien le reconnaître :
l’homme peut rendre la justice, mais c’est Dieu qui "fait la justice",
qui fait toutes choses justes. Dieu fait la justice comme il fait le
monde ; Dieu fait toujours la justice comme il recrée le monde en Jésus
Christ… qui nous appelle à nous “ajuster“ à Lui pour nous rendre
"justes" ! Le Savons-nous suffisamment ?
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