Pâques
2014
Elle est sortie à l'aube pour aller au
tombeau ! C'était plus fort qu'elle.
Son regard ne se pose qu'avec tristesse sur
les paysages familiers et magnifiques que nimbe la lumière mauve du jour
levant. Est-il possible que tant de beauté subsiste alors que tout a chaviré ?
Comme si la splendeur du jour naissant faisait injure aux ténèbres de la mort...
De loin, elle s'aperçoit qu'on a roulé la
pierre ! Ainsi, se dit-elle, ils n'ont pas désarmé... ; ils vont jusqu'à lui
refuser même la paix du repos sépulcral, là au creux du rocher ! Sans chercher
à en savoir davantage, d'un bond, Marie de Magdala repart en courant prévenir
Pierre : "Ils ont enlevé le
Seigneur !" (20,
2)
La plupart des exégètes considèrent que ces
versets de Jean, malgré leur rédaction tardive, reflètent la plus ancienne
tradition. Et, de fait, il doit y avoir dans cette primauté de Marie à
découvrir le tombeau vide un noyau résistant. Les Evangiles sont unanimes à la
mentionner, même si, à Marie de Magdala, ils vont lui adjoindre une, deux
compagnes, ou plus... ! D'ailleurs, pouvait-on décemment faire porter sur une
seule femme la responsabilité d'avoir donné pareille alerte ? De toute façon,
même à plusieurs, elles ne recueilleront que piètre crédit auprès des
disciples. Peut-on s'en remettre à la sensibilité souvent fantomatique de
quelques femmes ?
Pierre, toutefois, court au tombeau pour
vérifier les dires ; il constate, et, commente sobrement le texte, "s'en retourne chez lui, tout
perplexe de ce qui était arrivé" (Luc 24,12).
Marie de Magdala l'avait-elle suivi ? En
tous les cas, on la retrouve là, dans le jardin, si troublée qu'elle ne
s'étonne pas de voir deux anges, et ne paraît pas davantage surprise qu'ils lui
adressent la parole. A leur question, elle répond spontanément, livrant son incompréhension
et sa révolte devant cette double séparation. Comme si la mort n'avait
pas suffi !
Or, voici que la question lui est réitérée
par un nouvel interlocuteur qui va plus loin dans l'invitation à cerner sa
souffrance : "Qui cherches-tu
?" (Jn
20,15-16)..
Marie ne nommera pas l'Absent, elle redit simplement l'intolérable de cette
absence qui lui barre tout horizon. Alors, Jésus se donne à reconnaître, au
seul énoncé de son nom : "Marie
!".
Ces choses-là ne s'inventent pas ! Et aucun livre ne
les emprisonnera… Elles vous sautent au cœur, elles vous prennent de l'émotion
même du premier jour, inviolée sous les mots.
Bien sûr, le constat du tombeau vide, les
explications des anges renvoyant aux Ecritures, les apparitions du Ressuscité
elles-mêmes nous sont des éléments d'information non négligeables. Mais ils
ne "prouvent" rien ; et il nous importe davantage qu'en les
consignant, leurs auteurs aient laissé simplement échapper ces détails encore
tout vibrants d'authenticité.
Ainsi de même, au soir de cet unique jour,
dans une auberge, un étrange Invité accomplit soudain les gestes réservés
habituellement à celui qui accueille ; il "prend
le pain, le bénit, le rompt" (Lc 24,31)... Pour les deux compagnons, à
Emmaüs, en un éclair c'est la brûlure de l'évidence : "Leurs yeux s'ouvrent : ils le
reconnaissent... " ; Mais, lui, déjà n'est plus là !
Ou encore, au bord du lac, un Inconnu a
allumé un feu de braise, a préparé du poisson... Pudeur du silence qui retient chacun des
hommes de l'interroger : "Qui es-tu ?"
(Jn
21,12),
soudés qu'ils sont d'une même certitude.
Ce "savoir" de Marie, des
disciples, est né d'un "voir" ; et c'est leur privilège ! Mais plus
encore il est le fruit d'un regard intérieur, d'une écoute creusée
soudainement au plus intime de leur être, il est le jaillissement de leur foi à
sa source ; et nous en sommes ondoyés. Nous devenons contemporains de
l'expérience qu'ils relatent, nous adhérons à leur reconnaissance du
Ressuscité. Et ils nous invitent à cette même et possible expérience, tant la
foi ne repose pas sur le "voir", mais sur l'expérience de ceux qui
ont cru : "Heureux, dira
Notre Seigneur, ceux qui, sans avoir vu,
ont cru !". A l'exemple de St Jean, par exemple, dont il est dit : "Il vit et il crut !" (Jn 20.8). "Il vit une chose, commente sobrement
St Augustin ; mais il en crut une autre
!".
C'est dans la relecture la plus
personnelle qu'ils ont pu faire de l'événement pascal que les premiers
témoins nous transmettent quelque chose de sa véracité et de sa signifiance. Un
compte rendu des faits bruts, si tant est qu'il ne soit jamais possible, eût
été pure abstraction. Si la Résurrection n'était qu'un fait purement historique,
elle serait forcément un événement interprété. Et il est heureux qu'on n'ait pas
cherché à harmoniser les divers récits qui fourmillent de détails inconciliables
ou trahissent des intentions didactiques ou liturgiques variées. Par cela même,
ces textes constituent pour nous une "tradition" : en nous les
livrant, des hommes et des femmes se sont livrés eux-mêmes, avec leurs
hésitations... et avec la conviction qui les a balayées ! Ce sont des croyants
qui nous tendent la main et nous passent leur flambeau. Oui, la "Bonne
Nouvelle" de la Résurrection se propage de la foi à la foi.
Et cette foi court de siècle en siècle au
point de pouvoir dire nous-mêmes : Oui, "Jésus
le Crucifié, Dieu l'a ressuscité, nous en sommes témoins" ! (Cf. Actes des Apôt.
2, 22-24; 2, 32; 3,15; 4,10). Dans ce cri d'une audace inouïe, des "hommes simples et sans
instruction" (Cf.
Actes 4,13),
aujourd'hui comme hier, se sont engagés, s'engagent à la face du monde ; et les
Actes des Apôtres nous laissent entrevoir avec quel réalisme s'incarne cette
annonce !
Libérés de la peur, des hommes, des femmes
acceptent chaînes et persécutions.
Libérés de la possession, ils mettent tous
leurs biens en commun.
Libérés des tabous et des divisions qui
compartimentent le monde, "esclaves
et hommes libres, juifs et Grecs, hommes et femmes" (Gal. 3,28), inaugurent ensemble
un nouvel ordre social, fondé sur l'amour du Christ.
Le plus étonnant de la Résurrection est
sans doute cette force de convergence que l'événement a déployée, drainant
depuis vingt siècles des "hommes de
toutes races, langues, peuples et nations" (Apo.. 4,9) : l'immense nuée
des témoins ! Leur vie, à chacun, serait inexplicable sans cette onde de choc
qui est venue faire voler en éclats les frontières qui nous cloisonnent du
dedans, qui est venue poser les bases de la plus universelle fraternité.
Pâques est un processus, une croissance !
Pâques est un feu que Jésus a "jeté
sur la terre" (Lc
12, 49).
En le ressuscitant, Dieu a donné raison à l'Évangile, ouvrant passage au
flux de son propre Esprit en l'homme.
Lumière du septième jour où Dieu lui-même
se repose de sa création...,
Lumière d'un monde recréé en Jésus
Christ... au septième jour !
Pâques aujourd'hui encore requiert nos vies
pour que continue de retentir la seule Nouvelle capable de fonder l'Espérance
humaine : "Christ est ressuscité !"
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