samedi 19 avril 2014

Le Ressuscité !

Pâques 2014   

Elle est sortie à l'aube pour aller au tombeau ! C'était plus fort qu'elle.
Son regard ne se pose qu'avec tristesse sur les paysages familiers et magnifiques que nimbe la lumière mauve du jour levant. Est-il possible que tant de beauté subsiste alors que tout a chaviré ? Comme si la splendeur du jour naissant faisait injure aux ténèbres de la mort... 
De loin, elle s'aperçoit qu'on a roulé la pierre ! Ainsi, se dit-elle, ils n'ont pas désarmé... ; ils vont jusqu'à lui refuser même la paix du repos sépulcral, là au creux du rocher ! Sans chercher à en savoir davantage, d'un bond, Marie de Magdala repart en courant prévenir Pierre : "Ils ont enlevé le Seigneur !" (20, 2)

La plupart des exégètes considèrent que ces versets de Jean, malgré leur rédaction tardive, reflètent la plus ancienne tradition. Et, de fait, il doit y avoir dans cette primauté de Marie à découvrir le tombeau vide un noyau résistant. Les Evangiles sont unanimes à la mentionner, même si, à Marie de Magdala, ils vont lui adjoindre une, deux compagnes, ou plus... ! D'ailleurs, pouvait-on décemment faire porter sur une seule femme la responsabilité d'avoir donné pareille alerte ? De toute façon, même à plusieurs, elles ne recueilleront que piètre crédit auprès des disciples. Peut-on s'en remettre à la sensibilité souvent fantomatique de quelques femmes ?

Pierre, toutefois, court au tombeau pour vérifier les dires ; il constate, et, commente sobrement le texte, "s'en retourne chez lui, tout perplexe de ce qui était arrivé" (Luc 24,12).

Marie de Magdala l'avait-elle suivi ? En tous les cas, on la retrouve là, dans le jardin, si troublée qu'elle ne s'étonne pas de voir deux anges, et ne paraît pas davantage surprise qu'ils lui adressent la parole. A leur question, elle répond spontanément, livrant son incompréhension et sa révolte devant cette double séparation. Comme si la mort n'avait pas suffi !

Or, voici que la question lui est réitérée par un nouvel interlocuteur qui va plus loin dans l'invitation à cerner sa souffrance : "Qui cherches-tu ?" (Jn 20,15-16).. Marie ne nommera pas l'Absent, elle redit simplement l'intolérable de cette absence qui lui barre tout horizon. Alors, Jésus se donne à reconnaître, au seul énoncé de son nom : "Marie !".  

Ces choses-là ne s'inventent pas ! Et aucun livre ne les emprisonnera… Elles vous sautent au cœur, elles vous prennent de l'émotion même du premier jour, inviolée sous les mots.

Bien sûr, le constat du tombeau vide, les explications des anges renvoyant aux Ecritures, les apparitions du Ressuscité elles-mêmes nous sont des éléments d'information non négligeables. Mais ils ne "prouvent" rien ; et il nous importe davantage qu'en les consignant, leurs auteurs aient laissé simplement échapper ces détails encore tout vibrants d'authenticité.  

Ainsi de même, au soir de cet unique jour, dans une auberge, un étrange Invité accomplit soudain les gestes réservés habituellement à celui qui accueille ; il "prend le pain, le bénit, le rompt" (Lc 24,31)... Pour les deux compagnons, à Emmaüs, en un éclair c'est la brûlure de l'évidence : "Leurs yeux s'ouvrent : ils le reconnaissent... " ; Mais, lui, déjà n'est plus là !  

Ou encore, au bord du lac, un Inconnu a allumé un feu de braise, a préparé du poisson...  Pudeur du silence qui retient chacun des hommes de l'interroger : "Qui es-tu ?" (Jn 21,12), soudés qu'ils sont d'une même certitude.

Ce "savoir" de Marie, des disciples, est né d'un "voir" ; et c'est leur privilège ! Mais plus encore il est le fruit d'un regard intérieur, d'une écoute creusée soudainement au plus intime de leur être, il est le jaillissement de leur foi à sa source ; et nous en sommes ondoyés. Nous devenons contemporains de l'expérience qu'ils relatent, nous adhérons à leur reconnaissance du Ressuscité. Et ils nous invitent à cette même et possible expérience, tant la foi ne repose pas sur le "voir", mais sur l'expérience de ceux qui ont cru : "Heureux, dira Notre Seigneur, ceux qui, sans avoir vu, ont cru !". A l'exemple de St Jean, par exemple, dont il est dit : "Il vit et il crut !" (Jn 20.8). "Il vit une chose, commente sobrement St Augustin ; mais il en crut une autre !".

C'est dans la relecture la plus personnelle qu'ils ont pu faire de l'événement pascal que les premiers témoins nous transmettent quelque chose de sa véracité et de sa signifiance. Un compte rendu des faits bruts, si tant est qu'il ne soit jamais possible, eût été pure abstraction. Si la Résurrection n'était qu'un fait purement historique, elle serait forcément un événement interprété. Et il est heureux qu'on n'ait pas cherché à harmoniser les divers récits qui fourmillent de détails inconciliables ou trahissent des intentions didactiques ou liturgiques variées. Par cela même, ces textes constituent pour nous une "tradition" : en nous les livrant, des hommes et des femmes se sont livrés eux-mêmes, avec leurs hésitations... et avec la conviction qui les a balayées ! Ce sont des croyants qui nous tendent la main et nous passent leur flambeau. Oui, la "Bonne Nouvelle" de la Résurrection se propage de la foi à la foi.  

Et cette foi court de siècle en siècle au point de pouvoir dire nous-mêmes : Oui, "Jésus le Crucifié, Dieu l'a ressuscité, nous en sommes témoins" ! (Cf. Actes des Apôt. 2, 22-24; 2, 32; 3,15; 4,10). Dans ce cri d'une audace inouïe, des "hommes simples et sans instruction" (Cf. Actes 4,13), aujourd'hui comme hier, se sont engagés, s'engagent à la face du monde ; et les Actes des Apôtres nous laissent entrevoir avec quel réalisme s'incarne cette annonce !
Libérés de la peur, des hommes, des femmes acceptent chaînes et persécutions.
Libérés de la possession, ils mettent tous leurs biens en commun.
Libérés des tabous et des divisions qui compartimentent le monde, "esclaves et hommes libres, juifs et Grecs, hommes et femmes" (Gal. 3,28), inaugurent ensemble un nouvel ordre social, fondé sur l'amour du Christ.  

Le plus étonnant de la Résurrection est sans doute cette force de convergence que l'événement a déployée, drainant depuis vingt siècles des "hommes de toutes races, langues, peuples et nations" (Apo.. 4,9) : l'immense nuée des témoins ! Leur vie, à chacun, serait inexplicable sans cette onde de choc qui est venue faire voler en éclats les frontières qui nous cloisonnent du dedans, qui est venue poser les bases de la plus universelle fraternité.

Pâques est un processus, une croissance ! Pâques est un feu que Jésus a "jeté sur la terre" (Lc 12, 49). En le ressuscitant, Dieu a donné raison à l'Évangile, ouvrant passage au flux de son propre Esprit en l'homme.  

Lumière du septième jour où Dieu lui-même se repose de sa création...,
Lumière d'un monde recréé en Jésus Christ... au septième jour !
Pâques aujourd'hui encore requiert nos vies pour que continue de retentir la seule Nouvelle capable de fonder l'Espérance humaine : "Christ est ressuscité !"

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