dimanche 28 avril 2013

Aimer comme Jésus !


5e Dimanche de Pâques. 13/C


“Quand Judas fut sorti...”. On dirait que Jésus est libéré, que la présence de Judas le paralysait, l'empêchait de parler d'amour, du véritable amour… !

Oh ! Certes, tout le monde parle d'“amour fraternel” ! Mais c'est le mot le plus usé de notre langage ; il semble avoir perdu, parfois, toute signification… On lance facilement ce slogan : “Aimons-nous les uns les autres” ; mais quand il y a entre nous désaccords ou simplement divergences, quel déploiement, souvent, d'égoïsme, de paroles injustes, médisantes et même calomnieuses ! Nous sommes pourtant avertis par St Jacques : "Si quelqu'un se croit religieux sans tenir sa langue en bride, vaine est sa religion !" (Jc 1.26). Car, disait-il, "la langue est un feu ; elle est pleine de poison mortel !" (3.6-8).

Je dis cela parce qu'il faut bien remarquer en quelles circonstances Jésus parle d'amour ! Les circonstances ne sont pas celles d'un bel amour facile que l'on apprécie quand l'autre, les autres sont gentils, pensent comme moi, quand il n'y a pas de conflits ! Non !  La situation humaine du groupe des disciples est dramatique : l'un d'eux vient de “TRAHIR”. C'est, sans doute, le visage le plus hideux du non-amour : dénoncer un ami, vouer aux gémonies celui avec qui on a vécu et qui vous a fait bien des confidences amicales.

Et bien, en de telles circonstances, Jésus, loin de blâmer, de critiquer, de lancer sarcasmes et invectives de toutes sortes..., Jésus, lui, parle d'amour. Mais il prend bien soin de nous dire qu'il ne s'agit pas de n'importe quel amour. Son commandement est “nouveau”.

l) Nouveau ! Car l’amour dont parle Jésus est un amour qui va jusqu'à la mort.
Tout d'abord après le départ de Judas, Jésus parle de sa “Gloire” et de la “Gloire du Père” : “Maintenant, le Fils de l'homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui”.
En hébreu, le mot "gloire" - "kabod" - signifie : "être lourd", "ce qui donne importance, magnificence". Ainsi la gloire de l'olivier, c'est son huile ! Et bien, la "Gloire de Dieu" qui "habite une lumière inaccessible", dit St Paul (Tm 6.16), sa transcendance, dirions-nous, rayonne :
- elle rayonne dans la création : "les perfections invisibles de Dieu sont visibles dans ses œuvres", dit St Paul (Rm 1.19). C'est sa gloire !
- La "Gloire de Dieu" rayonne surtout en Jésus, Dieu fait homme. Fils de Dieu, "il est le resplendissement de sa gloire, l'effigie de sa substance", dit la lettre aux Hébreux (Heb. 1.3). La gloire de Dieu-Père rayonne sur son Fils (Cf. 2 Co. 4.6). Il est "le Seigneur de gloire !" (I Tim 2.8).
- Et cette "Gloire" du Christ rayonne surtout en son mystère pascal, depuis les ténèbres du Jeudi et Vendredi Saints ! Pas seulement au jour lumineux de Pâques ! Dès le Jeudi-Saint, Jésus parle de sa gloire, faisant le don de sa vie par amour. Il donne sa vie humaine pour que tous les hommes aient la Vie divine, forment cette Eglise tant désirée, "toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée" (Eph. 5.25), pleine de sa gloire !

Nous avons toujours du mal à admettre que la “croix” est “la gloire” de Jésus..., que c'est la plus parfaite révélation de Dieu ! Pourtant quand Jésus parle de la croix, il parle toujours de son “élévation”. “Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tous les hommes à moi”.  Et l'“heure” de Jésus par excellence, c'est l'heure qui commence par le départ de Judas : “Père, l'heure est venue, glorifie ton Fils, afin que ton Fils Te glorifie” (Jean 17 1). Ainsi, Jean nous dit que le Vendredi-Saint est aussi "glorieux" que le Jour de Pâques, que c'est le "Crucifié" et pas seulement le “Ressuscité”, qui donne “Gloire au Père” ! - "Dieu est Amour", aimait à répéter St Jean. La "Gloire de Dieu" rayonne donc en son Fils qui "donne sa vie par amour" : “Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime.” 
Dès lors, la croix n'est plus "abominable" car ce n'est pas abominable que d'aimer ! Mais il faut le savoir : aimer - la gloire de l'homme également -, peut mener jusqu'au sacrifice de soi : “Celui qui ne veut pas prendre sa croix, ne peut pas être mon disciple”

Non, décidément, l'amour n’est pas une rengaine facile. L'amour ne se résout pas dans l'effusion même légitime d'embrassements et de sourires faciles. Le commandement de Jésus est “nouveau” en ce sens que l'amour qu'il nous demande, c'est d'aimer son frère jusqu'à “se sacrifier soi-même” s'il le faut !
La GLOIRE de Jésus, c'est bien la CROIX.
Le SOMMET de l'amour, c'est bien le SACRIFICE.
Ce sont des choses qui ne se démontrent pas. Celui qui s'aime soi-même aura toujours du mal à comprendre - c'est souvent notre cas -... Mais, celui qui aime vraiment, comprend rapidement, se demandant toujours ce qu'il peut sacrifier par amour !

2) L’amour dont Jésus parle est un amour qui le rend présent au monde.
Certes, il n’est pas besoin d'être chrétien pour aimer. Heureusement ! Beaucoup d'hommes savent aimer et en bien parler. A preuve cette belle définition de l'amour d'un païen, Aristote (4ème s av. JC) : L'amour, disait-il, est
- un désir ! Il n'est donc pas de l'ordre de l'affectif, le siège désir étant la volonté. L'amour est donc une décision de la volonté avant tout, une élection, un choix par-delà les déficiences d'un chacun...
- un désir de bienveillance mutuelle ! En aimant, on ne recherche pas son propre bien, plaisir (et c'est souvent le cas !), mais le bien de l'être aimé, et réciproquement. Il ne s'agit pas tant d'inculquer des valeurs bonnes à nos yeux (et c'est souvent encore le cas !), mais de discerner en celui que l'on aime toutes les virtualités qui peuvent passer à l'acte pour le rendre heureux. Et croyez-moi : pour cela, il faut souvent exercer son intelligence !
- un désir de bienveillance mutuelle fondée sur la communication des personnes. Les échanges affectifs, intellectuels ou autres doivent résulter d'un art de communiquer (et ce n'est pas le cas souvent)

Le chrétien peut adhérer à une telle définition de l'amour. Mais ce qui doit être propre au chrétien, c'est la dimension théologale de l'amour. Pour faire court, disons que “Dieu est Amour” et que lorsque nous aimons vraiment, nous rendons Dieu présent au monde. C'est le sens de toute consécration religieuse ; c'est le sens du sacrement de mariage : Tout amour horizontal entre chrétiens doit être signe et réceptacle de l'amour vertical de Dieu pour l'homme ! C'est ainsi que l'on peut rendre présent l'amour de Dieu dans le monde qui en a tant besoin ! C'est, en tout cas, ce que Jésus dit, dans ce dernier adieu, à la veille de “partir”.

Le Lectionnaire officiel omet un verset au centre de la lecture de ce jour. Le texte intégral dit, en effet, ceci : “Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps. Vous me chercherez, et, comme Je l'ai dit aux juifs : "Là où je vais, vous ne pouvez pas venir." “
Jean est un théologien ; il ne raconte pas seulement des anecdotes sur Jésus. Il a des “thèmes”, des “insistances”, ainsi la “Gloire“, “l'heure de la Gloire”.  Ici, nous trouvons une autre idée théologique, le thème de “Chercher” Jésus. Nous avons en mémoire l'admirable réponse de Jésus à Marie-Madeleine, au matin de Pâques : “Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?”
Or, que lisons-nous, dans l'évangile d'aujourd'hui, sur cette “recherche” de Jésus ? “Où je vais, vous ne pouvez pas venir !” Étrange parole de Jésus ! Surtout quand on sait que, quelques lignes plus loin, Jésus va apparemment dire le contraire : “Père, je veux que là où je suis, ils soient avec moi.”  (Jn 17, 24.)

Quelle est donc la réponse à cette recherche du “lieu” de Jésus ? Il est intéressant de noter que les Juifs, par respect, ne prononcent pas le mot "Dieu - le tétragramme divin révélé à Moïse -. Ils le remplacent par d'autres mots comme "Adonaï" (Seigneur") ou "HaShem" (le Nom) ou bien encore par "Ha Makom" (le Lieu). Le "Lieu" par excellence, c'est Dieu. (1)
Et bien, le "'Lieu" de la présence de Jésus désormais, de Jésus-Dieu est précisément dans ce “commandement nouveau” qu'il donne, au moment de “partir”...  Ce "Lieu" est notre “amour mutuel”. - “Père, je t'en prie, fais que là où je suis, ils soient avec moi.".  Or, Jésus est dans le Père, en Dieu, dans l'Amour. “Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous.” (I Jn 4, 12.) Encore une fois, pour Jésus, l'amour n'est pas une rengaine humaine si belle soit-elle... l'amour est sa “nouvelle présence”. Il part. Mais il reste présent “quand deux ou trois sont réunis” dans la prière et dans l'amour...

3) Le véritable amour est un amour “comme” celui de Jésus.        
C'est cette petite “conjonction”, “comme”, qui est essentielle. L'amour “jusqu'au bout”, l'amour “théologal qui rend Dieu présent”, c'est un amour “comme”, “à cause de”  Jésus.
Le petit mot “comme” bouleverse toutes nos rengaines d'amour. C'est une vraie bombe cachée dans nos amours humaines trop faciles et factices. Aimer “comme” Jésus, c'est “laver les pieds de nos frères”,  c'est nous mettre à leurs pieds, à leur service...c'est “donner notre vie pour ceux que nous aimons”..  Le “comme” n'indique pas seulement une “comparaison”, mais une “conformité” profonde. Un amour qui ressemble à celui de Jésus. “C'est à cela, dit-il, que tous vous reconnaîtront pour mes disciples”. Quand Jésus s'en va, lui qui se disait “le chemin” vers ce Dieu que “nul n'a jamais vu”..., il veut se rendre présent désormais “en nos communautés d'amour fraternel”. Si vous vous aimez les uns les autres, vous serez “le Signe”, le "Lieu" de ma présence dans le monde jusqu'à la fin des temps.

Et si nous sommes appelés à aimer "comme Jésus", nous sommes alors destinés à participer à cette “gloire éternelle dans le Christ“ (I Pet 5.10), lorsqu’à la fin des temps, “le Fils de l’homme viendra dans la gloire de son Père avec ses anges“ (Mc 8.38). La gloire du Christ ressuscité nous enserrera dans ces liens d’amour que s’échangent éternellement le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Là, nous serons connus et nous connaîtrons. Là, nous nous connaîtrons et nous nous reconnaîtrons dans la gloire de l’amour du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Tel sera notre partage à la fin, sans fin, quand le Christ apparaîtra nous donnant “la couronne de gloire qui ne se flétrit pas“ (I Pet 5.4).


(1) Jacob s'était exclamé après la vision d'une échelle reliant terre et ciel : "Dieu est dans le lieu ; et je ne le savais pas !" (Gen 28.16)

Aucun commentaire: