dimanche 7 avril 2013

le doute de Thomas


2e Dimanche de Pâques. 13/C

Combien de fois ai-je entendu cette confidence : “Oh ! Vous savez ! Je me dis chrétien ; mais, finalement, je suis comme Thomas ; je dois avouer que je ne crois guère à la résurrection du Christ…, et peut-être à Dieu lui-même. J’ai beaucoup souffert dans ma vie, je souffre encore. Et je doute qu’un Dieu bon soit au milieu de nous ! Tout ce qu’on dit dans la Bible, sur Dieu, sur le Christ, c’est peut-être une invention des hommes pour consoler les hommes !”. 

Ces réflexions sont d’un poids énorme d’autant qu’elles sont souvent exprimées non par provocation mais dans un murmure souffrant, comme on avoue un péché, comme le signe d'une indignité. On a beau répéter avec le Cardinal Newman que : “Mille questions ne font pas obligatoirement un doute”, on palpe alors douloureusement l’obscurité qui règne dans les cœurs ; et on constate que cette obscurité fut de tous les temps : depuis Moïse jusqu’à Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, quelques jours avant sa mort... et jusqu'à Mère Térésa pour ne citer que quelques-uns ! 

Alors que dire sinon que l’évangile d’aujourd’hui a au moins l’avantage de réhabiliter le questionnement, voire le doute, comme un itinéraire normal du croyant. Et le nom de l’apôtre Thomas est assimilé à cet incertitude intérieure si bien qu’on l’appelle facilement : “le Sceptique” ! 
J’aurais pourtant tendance à l’appeler “le Croyant”, tant il est vrai que la foi d’un homme n’est jamais aussi solide que lorsqu’elle dépasse l’hésitation, le questionnement, voire le doute lui-même. Une foi sans question, tâtonnement, interrogation risque de sombrer dans ce qu’on appelle le “fidéisme” : “Je n’y comprends rien, mais je crois quand même !”. - Non ! "La foi doit chercher à comprendre" ("Fides quaerens intellectum", disait St Anselme). Et puis répétons-le : le mystère - le mystère de Dieu -, ce n'est pas quelque chose que l'on ne peut pas comprendre ; c'est quelque chose que l'on n'aura jamais fini de comprendre, même dans l'Eternité ! C'est très différent ! 

Finalement, la foi, c’est peut-être exercer, affiner sans cesse son regard "pour VOIR celui qui nous voit sans cesse". Ce fut l'expérience de foi d'Agar dont nous parle la Bible (Gen 16). Chassée injustement par Abraham dans le désert, elle est découragée : seule, abandonnée, elle doute comme doutera Thomas. Mais Dieu l'attend près d'une source quasi miraculeuse. Et comme en hébreu, la source d'un puits se dit "ein", c'est-à-dire "œil",- l'"oeil" du puits - elle s'écrit : "Ai-je encore vu après celui qui me voit ?". Et elle nomme ce Dieu qui se manifeste dans l'"oeil" d'une source salvatrice : "El Roï", c'est-à-dire le "Dieu de la vision" : "le Dieu que j'aperçois", "le Dieu qui me voit" ! N'est-ce pas là l'itinéraire de la foi : S'efforcer de "voir Celui qui nous voit sans cesse"

Aussi, aujourd’hui, prions particulièrement St Thomas ! Car lui, il a franchement douté ; et même exprimé son doute publiquement. Sachons le regarder : on lui ressemble tellement ! Il n’est pas seulement triste ce jour-là ; il est révolté. Il a cru que cet homme, Jésus, était le "Sauveur", le Messie annoncé. Il y avait une telle force dans ses paroles, dans ses attitudes ! 
Quand il disait : “Lève-toi et marche !” … “Va et ne pèche plus”… “Ne jugez pas”, on se sentait devenir plus vivant tout d’un coup ! Mais tout cela est terminé. Il est mort. Pire, on l’a tué ! Dieu ne l’a pas épargné ! La mort ! Il n’y a donc plus rien à attendre ! La mort ! C’est elle qui a gagné ! Où était Dieu à ce moment-là ? Pourquoi n’a-t-il pas épargné Jésus ? 

Qui ne comprendrait pas ces interrogations de Thomas ? Comme celles d'Agar et de tant d'autres ? Car ce sont bien parfois les nôtres, n’est-ce pas ? Pour ne pas avoir de questions ou même de doute, il faudrait être comme Marie, l’Immaculée… ou alors fermer les yeux sur ce qui nous entoure. Car lorsque je les ouvre, qu’est-ce que je vois ? Tant de faits, petits ou grands, douloureux ou tragiques, des faits absolument déconcertants et qui semblent nous souffler à l’oreille : “Mais non ! vois ! Jésus n’est pas vivant. Tout cela n'est que faribole !"

Devant l’enfant leucémique, qui ne se pose pas ces questions ? Semblables à celles de Thomas : “Où était Dieu à ce moment-là ?”
Et devant un tremblement de terre aveugle… ? 
Et devant l’escalade de la violence… ? ... 

Bien sûr, on peut regarder la beauté du monde un matin ensoleillé de printemps… Mais quand on s’interroge non pas sur la beauté du monde, mais sur sa cruauté, non pas sur le sens, mais sur le non-sens, non pas sur la grandeur de l’homme, mais sur sa misère, on peut se poser des questions, on peut se demander s’il est possible de croire! 
Quand la mort et les souffrances sèment leurs ravages… dans le silence apparent de Dieu : A qui, à quoi se raccrocher ? 

Ce que j'ose répondre est mystérieux. Mais c'est l'essentiel de la foi des chrétiens. A qui se raccrocher ? 
A qui ? A Dieu qui a ressuscité Jésus ! 

Oui, si nous doutons pour les mêmes raisons que ressentaient Agar, Thomas et tant d'autres, nous sommes appelés, comme eux, à croire, à pressentir, même dans les pires circonstances, "Celui qui nous voit sans cesse", à l'apercevoir au-delà même de nos questions et de nos doutes... Ce n'est plus le doute OU la foi, mais c'est le doute ET la foi ! 

Et un jour, seule, LA FOI s'impose, éclate devant le Christ crucifié et ressuscité au point que l'on s'écrie comme l'apôtre Thomas qui met ses mains dans les plaies de Jésus : “Mon Seigneur et mon Dieu”. Il y a dans ce geste de Thomas quelque chose d'une portée symbolique inouïe, pour comprendre que l'on puisse passer du doute et de la foi à la FOI SEULE... ! 

Sincèrement, sachant ce que je sais - vous aussi sûrement - de la misère, de la souffrance, du mal et du malheur, jamais je ne croirais en Dieu, s'il n'était celui qui a gardé les traces de ses plaies de crucifié ! 
C'est parce que Dieu, par les mains de Jésus, n'a pas touché seulement le charme de la vie, la joie des noces, les belles amitiés..., c'est parce que ses mains ont été clouées sur une croix..., c'est parce qu'il est descendu ainsi au fond de notre misère inépuisable..., c'est pour cela que je crois en lui... C'est pour cela que j'ose vous proposer de crier, à la suite de Thomas face aux plaies du Christ : “Mon Seigneur et mon Dieu !".

Oh, certes, ce n’est pas toujours facile ! Elie Wiesel, ce juif rescapé des camps de la mort, écrivait, faisant allusion à cette période terrible : “Souvent j’étais contre Dieu ; quelques fois avec Dieu ; et pourtant jamais sans Dieu !. Et lorsque, spectateur révolté et impuissant d’une pendaison d’enfants juifs, il entendit derrière lui cette récurrente question : “Où donc est-il ton Dieu ?“, il murmura, regardant les petits corps mutilés : “Il est là !“. Oui, le croyant peut répéter, sans toujours parfaitement comprendre : devant la mort de Lazare, “Jésus pleura !” pour annoncer qu'il allait épuiser le venin de la mort elle-même dans le combat atroce d'une croix ! 

- Dès lors, le cri de Thomas, “Mon Seigneur et mon Dieu”, c'est celui du croyant qui prend parti pour les hommes en détresse, quelles qu'elles soient, celles du corps ou celles du cœur ! 
- “Mon Seigneur et mon Dieu”, c'est le cri du croyant qui proclame que, par la Résurrection de Jésus, la souffrance et la mort n'auront pas le dernier mot, mais que c'est l'amour qui gagne..., un amour divin qui conduit toujours à plus de vie. Et ce ne sont pas là des mots seulement - les mots s’envolent -, ce sont des actes posés par Dieu lui-même en Jésus, mort et toujours vivant. 

Oui, c'est à ce Dieu là que je crois. Et on peut y croire passionnément, puisqu'il porte irrémédiablement les cicatrices des plaies de la souffrance humaine qui ne l'a pas épargné. 

Voilà le Dieu auquel les chrétiens croient, par-delà leurs questions et leur doute éventuel! 

Je ne sais si ces quelques réflexions peuvent vous expliquer ce que l'on appelle le "doute de Thomas". J'espère, du moins, qu'elles vous auront mis plus à avec la foi de Thomas : “Mon Seigneur et mon Dieu”, expression qui exprime finalement la grande "miséricorde de Dieu" à notre égard...

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