jeudi 8 avril 2010

Jeudi de Pâques - Juifs et chrétiens - Ac 3, 11-26 - Ps 8 - Lc 24, 35-38

Ceux qui pratiquent le dialogue judéo-chrétien entendent souvent les juifs souhaiter que l’on modifie les textes du Nouveau Testament qui parlent souvent des juifs de manière péjorative. Je crois qu’une lecture plus attentive des textes amènerait simplement les chrétiens à distinguer, dans les traductions, la masse du peuple juif et les dirigeants du peuple qui jouèrent un rôle de premier plan dans le procès de Jésus, en forçant la main du gouverneur romain. C’est ce que font d’ailleurs beaucoup de nos meilleurs traducteurs.

La lecture d’aujourd’hui est une bonne occasion de réfléchir sur l’opportunité de la distinction. C’est la masse du peuple qui court écouter Pierre parler, après la guérison de l’infirme de la Belle Porte. Pierre parle à Israël et invoque le “Dieu de nos pères“ dont Jésus est le serviteur, au sens où l’entendait Isaïe. La livraison de Jésus à Pilate a l’air, il est vrai, d’être imputée à tout le peuple. Mais il faut remarquer que St Luc écrit les “Actes des Apôtres“ assez tardivement, à une époque où l’influence des chefs juifs s’est très vite exercée sur la collectivité pour l’entraîner à une opposition contre les chrétiens. L’amalgame entre “responsables juifs“ et la collectivité semble s’établir ! Pourtant si on continue la lecture, il est dit : « D’ailleurs frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs ». Et il est bien dit que la proclamation de la Bonne Nouvelle de la Résurrection retentit d’abord aux oreilles du peuple élu. Aussi la lecture d’aujourd’hui se termine par cette phrase : « C’est pour vous d’abord que Dieu a fait se lever (a ressuscité) son Serviteur, et il l’a envoyé vous bénir, en détournant chacun de vous de ses actions mauvaises ». Le peuple d’Israël est donc bien concerné !

Mais avant cette finale, vient ce fameux texte du ch. 18 du Deutéronome qui invite à la méfiance entre les faux prophètes qui ont toujours existé : « Le Seigneur Dieu me dit (à Moïse) : "Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai.  Si un homme n'écoute pas mes paroles que ce prophète aura prononcées en mon nom, alors c'est moi-même qui en demanderai compte à cet homme. Mais si un prophète a l'audace de dire en mon nom une parole que je n'ai pas ordonné de dire, et s'il parle au nom d'autres dieux, ce prophète mourra".  Peut-être vas-tu dire en ton cœur : "Comment saurons-nous que cette parole, le Seigneur ne l'a pas dite ?" » (Dt 18,15-21).

La conduite des chrétiens au cours des siècles, notre conduite, aujourd’hui encore, n’a-t-elle pas été pour beaucoup dans le fait que les juifs et même leurs autorités responsables, n’ont pas considéré Jésus comme l’Envoyé promis par Moïse dans une promesse solennellement entérinée par Dieu lui-même. Ne sommes-nous pas parfois responsables de cette interrogation : "Comment saurons-nous que cette parole, le Seigneur ne l'a pas dite ?". Ou l’a dite ?

Le Concile Vatican II nous invite à considérer ce problème d’Israël comme faisant partie intégrante du mystère de l’Eglise, un problème qui se pose à l’intérieur même de l’“Israël de Dieu“ qui marche vers le rétablissement (la restauration) (1) de toutes choses et donc du peuple élu, Israël. « Il a fait que Jésus demeure au ciel jusqu’à l’époque où tout sera rétabli, comme Dieu l’avait annoncé autrefois par la voix de ses saints prophètes ». (Ac 3,21).

Avec l’Evangile d’aujourd’hui, on peut penser qu’au temps des premières apparitions, les  disciples n’étaient pas fiers de leur comportement pendant la passion : leur sommeil à Gethsémani, leur fuite, le triple reniement de leur chef… etc.… Aussi, le premier mot que Jésus ressuscité leur adresse, comme dans St Jean, c’est : « La Paix soit avec vous » (2). On pense à Joseph pardonnant à ses frères ; et Jésus leur pardonne d’un pardon d’une telle gratuité qu’ils ont du mal à y croire.  Ne sommes-nous pas parfois en ce cas ?

St Luc éprouve ensuite le besoin d’insister, comme le fera l’Eglise dans son Credo, sur la “résurrection de la chair“ : “Jésus leur dit : « Pourquoi des doutes montent-ils en votre cœur ? Voyez mes mains et mes pieds ; c'est bien moi ! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai »“. Et Jésus mange avec eux ! Là encore, ne sommes-nous pas comme les apôtres qui doutaient ?

Enfin, Jésus répète ce qu’il a dit à Cléophas et à son compagnon sur la route d’Emmaüs : “Alors il leur ouvrit l'esprit à l'intelligence des Écritures,  et il leur dit : Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d'entre les morts le troisième jour, et qu'en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. De cela vous êtes témoins“.  Nous voilà invités aujourd’hui, une fois de plus, à une lecture chrétienne de la Bible à la lumière de l’Esprit qui mène vers la Vérité tout entière, qui donne de comprendre ce que nous sommes capables de porter à la lumière du Christ Ressuscité qui « ouvre l’esprit à l’intelligence des Ecritures ».

  1. Le terme qu’emploie Luc, “apocatastasis“, - un hapax - a été interprété de façon  parfois ambiguë. Il s’agit non pas tellement d’une “restauration“ après un anéantissement de tout le cosmos (selon une pensée grecque), mais d’un “rétablissement“ du dessein de Dieu annoncé par tous les prophètes.
  2. Il est un peu dommage que le texte liturgique n’a pas retenu cette salutation de Notre Seigneur

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