mercredi 8 avril 2009

La Compassion - Semaine Sainte - Mercredi - (Mth. 26.14sv)

C’était lorsque j’étais au collège (un petit séminaire)… ; c’était déjà “autrefois“ ! Il y avait, bien sûr, Eucharistie chaque matin (de bonne heure et de bonne humeur, s’il vous plaît !). Les professeurs - tous prêtres - étaient chargés de faire un commentaire de l’évangile du jour. Lorsque c’était le professeur de mathématiques, on savait que le discours serait bref et laconique comme l’énoncé d’un théorème ! Deux minutes tout au plus !

Il me semble que c’est à l’occasion de l’évangile d’aujourd’hui qu’il s’avança lentement au milieu du chœur, se frottant fermement les mains qui exprimaient déjà sa réflexion. Très méditatif, il s’arrêta, nous regardant tous silencieusement, presque interrogatif. Nous étions suspendus à ses lèvres… Puis, très distinctement, il lâcha simplement : “Il faut savoir compatir !“. Puis, aussi lentement, il retourna à sa place nous laissant compléter librement sa méditation ! Qu’avait-il voulu dire ?

Compatir devant la trahison de Judas ? Sans doute ! Car “malheureux l’homme par qui le Fils de l’homme est livré !“. Cette formule exprime moins finalement une malédiction qu’une profonde douleur. Jésus constate avant tout la situation malheureuse de Judas. Il ne maudit pas ! Il ne condamne pas ! Il compatît. Il souffre pour et avec lui…, comme peuvent le faire un père, une mère devant les désordres de leur enfant…

Judas a cédé à l’argent, à l’esprit du monde. C’est la tentation permanente. “Deux amours ont bâti deux cités“, disait St Augustin. “L’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu fit la cité terrestre. Et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi fit la cité céleste“. Compatir pour celui qui a choisi l’amour de soi avant tout. C’est finalement, me semble-t-il, la première attitude à requérir face à celui, celle qui nous peine en faisant ostensiblement fausse route…, en délaissant l’amour de la cité de Dieu !

Mais notre professeur voulait certainement exprimer également une compassion pour le Christ souffrant. En lui, n’est-ce pas Dieu lui-même qui souffre en quelque sorte ?

C’est déjà toute la pensée juive ! Dieu est le Tout-Puissant qui a renoncé à sa toute-puissance pour permettre à l’homme d’exister vraiment libre. L’acte de création est une sorte d’“autolimitation“ de Dieu. Comme on l’a dit “Dieu a peut-être créé l’homme comme la mer les continents, en se retirant !“. C’est peut-être le prix de notre liberté… Une liberté qui s’est fourvoyée ! Alors Dieu souffre comme un Père devant le fils qui va à sa perte, comme le Père de l’enfant prodigue. La souffrance de l’homme devient mystérieusement souffrance de Dieu !

Commentant un verset du prophète Jérémie selon lequel Dieu dit : “Je pleurerai en secret“, un Midrash affirme tranquillement qu’il existe un lieu nommé “secret“ ; et, lorsque Dieu est triste, il s’y réfugie pour pleurer….Un autre midrash ajoute : lorsque Dieu voit les souffrances de ses enfants, il verse deux larmes dans l’océan ; en tombant, les larmes font un tel bruit qu’on l’entend d’un bout du monde à l’autre. J’aime relire cette légende… avec compassion. Mais lâchement, les hommes refusent d’entendre le bruit des larmes de Dieu !

Alors Dieu lui-même est sorti de son “lieu secret“

“Et le Verbe s’est fait chair…“.

“Il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime…“.

Tel est le message chrétien : Il ose dire que le Fils de Dieu lui-même est venu prendre sur lui toute la réalité du mal… par un engagement visible et total, une solidarité volontairement assumée. C’est l’efficacité d’une puissance exprimée dans le renoncement à une toute-puissance. St Paul dira : “Vous connaissez la générosité du Christ qui de riche qu’il était s’est fait pauvre pour que dans sa pauvreté vous deveniez riches“ (II Co. 8.9).

Oui, le Christ est ressuscité ! Et il nous a incorporés à lui dans sa “remontée“ vers le Père ! Peut-être alors que notre compassion doit être “active“ ici-bas en partageant ses souffrances avant d’avoir part à sa gloire divine ?

Et j’ajouterais que désormais, le lieu “secret“ où Dieu pleure, c’est sans doute le cœur des souffrants de notre monde ! Ce “pays où Dieu pleure !“….

Aucun commentaire: