dimanche 14 février 2016

Jésus priait

1er Dimanche de Carême C 2016

"Jésus fut conduit par l'Esprit à travers le désert !"

Le désert - l'évangile le dit aujourd'hui - est toujours un lieu de combat, de tentation. Et le principal ennemi dans ces lieux arides - demandez-le à tout ermite, à tout moine -, c'est soi-même qu'assaille si facilement le démon.

Aussi, la seule arme possible dans le désert, c'est la prière, cette union à Dieu qui fait, selon la formule de St Paul, que "ce n'est plus moi qui vis mais c'est Dieu qui vit en moi !" (Gal 2.20). Alors, avec le Christ, la victoire sur soi-même est non seulement possible, mais elle est déjà là !

Aussi, je pense que Jésus, entrant dans le désert de la tentation, priait. Il était l'homme de la prière, de l'union permanente avec Dieu !

D'ailleurs, il faut le reconnaître : Jésus est né dans un peuple dont la vie quotidienne était prière.
Le matin et le soir, au milieu de l'après-midi, avant et après les repas, à la maison, au temple, à la synagogue, à l'occasion des événements familiaux et nationaux, les Juifs priaient. Sans cesse, ils "se souvenaient" de Dieu (Cf. Dt. 8.18 ; Nb 4.8 etc.), pour le remercier et pour lui dire leur attente. Ils puisaient en lui leur fière passion de vivre.
Les textes qui nous viennent des premiers chrétiens nous le montrent : Jésus priait avec son peuple.

Mais il priait aussi seul, très librement: la prière s'ouvrait en lui comme la profondeur de ces nuits où il se retirait souvent dans la solitude avec Dieu (Lc 5.16).

Avant les décisions importantes, Jésus s'isolait dans le silence, dans la prière.
Et avant de prendre la grande décision d'accomplir son mystère pascal, il fera d'un repas sacré une prière inépuisable : il invitera tous les hommes à cette table à jamais ouverte. Depuis lors, c'est là, dans la simplicité de l'Eucharistie, qu'est le cœur de la prière chrétienne. Elle prend toute la vie des hommes, elle nous entraîne à donner notre vie à la "multitude". Cette prière de Jésus, l'Eucharistie, porte en elle toutes les prières chrétiennes.

Jésus priait avec son peuple ; il priait avant les grandes décisions.
Il priait encore secrètement. : "Quand vous priez, enseignera-t-il, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les synagogues et les carrefours, afin qu'on les voit…
Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, et prie ton Père qui est là, dans le secret". (Math 6/5-6).
Certes, Jésus allait au Temple et à la synagogue. Son enfance et sa jeunesse avaient été modelées par la prière juive. Mais sa prière n'était pas seulement celle des assemblées. Jésus portait en lui des espaces de prière toujours ouverts. La solitude, la nuit, le désert, les collines, étaient les lieux de sa prière secrète. Prier, essayer de prier, c'est entrer dans le secret. Avoir avec Dieu des secrets. Etre pour soi-même un secret.

Jésus priait encore sobrement.
Il ne nous a pas laissé beaucoup de "prières". Des hymnes, des psaumes de son peuple, il en fera sa prière jusqu'à l'instant de la mort. Mais il n'a pas voulu équiper ses disciples avec des recueils nouveaux. Sa prière était souvent silence. Silence du ciel nocturne au-dessus de la Galilée, au-dessus du Jardin des Oliviers.
Un jour, Jésus priait, probablement sans parole, sobrement. "Quand il eut cessé, l'un de ses disciples lui dit : Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l'a appris à ses disciples" (Lc 11.1). Il a fallu qu'on lui demande des formules, pour qu'il offre soudain un résumé étonnamment sobre des grandes prières juives :
"Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne; donne-nous chaque jour notre pain; et remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à qui nous doit ; et fais en sorte que nous ne soyons pas soumis à la tentation".   (Luc 11/2-4.)
Matthieu présente une version plus longue. Mais il rapporte aussi cette parole de Jésus : "Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens ; ils s'imaginent qu'en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. N'allez pas faire comme eux, car votre Père sait bien ce qu'il vous faut, avant que vous le lui demandiez".
Jésus priait sobrement. On ne force pas Dieu. On l'accueille.

Jésus priait Il priait sans cesse. Car sa prière, il la vivait en toutes ses attitudes. Les quatre évangiles donnent l'impression que sa prière, discrète et sobre, était constante. Dans le silence des nuits de Galilée, mais aussi dans le face-à-face avec un homme ou une femme, ou quand il devenait le pôle de toute une foule. Tout, en lui, devenait prière.
Il disait d'ailleurs de "prier en tout temps" (Luc 22/36}, pour marcher vers Dieu qui vient.  Comme si la prière était la source de vie vers laquelle il faut toujours avancer.

Cependant, il disait de savoir insister, de savoir frapper à la porte, être même importun jusque dans la nuit (Cf. Lc 11.7). Pour une étrange fécondité : "Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez déjà reçu, et cela vous sera accordé" (Mth 21.22).
Car que se passe-t-il en cette prière obstinée ? Elle semble extraire patiemment du tréfonds de l'homme de prière une humanité pure et réconciliée, celle que le visage, les yeux, les mains de Jésus faisaient apparaître au jour.
La prière incessante sculpte l'homme, l'homme de paix, de cette paix qui vient de Dieu seul et non cette paix de l'homme si aimablement fugace.

Jésus priait. Avec l'audace de la tendresse.
Jésus n'avait pas peur de Dieu. Il l'appelait : "Abba". Ce sont les balbutiements d'un enfant à son père. Il faudrait traduire : "Papa". Avant Jésus, dans la religion juive et ailleurs, facilement, on désignait Dieu comme Père. Mais personne n'avait jamais interpellé le "Très Haut" avec ce nom d'enfance. Libre au milieu de son peuple, libre en face des autorités, Jésus était libre devant Dieu-Père.
Oui, la prière dans l'Esprit de Jésus doit apaiser la crainte de Dieu pour aller ainsi vers lui familialement, familièrement.

Jésus priait. Et sa prière a culminé dans le don de sa vie, le dernier soir.
En partageant le pain et en faisant passer la coupe.
Il avait repris le rite fraternel : on prenait ensemble le repas, et, vers la fin, le président de la table disait l'action de grâces au Dieu qui nourrit les hommes, et les conduit vers la liberté, à travers tous les exodes.
En présentant le pain et le vin, Jésus s'est offert lui-même pour que son exode devienne le nôtre.

Depuis, ceux qui veulent suivre Jésus vont vers cette table. "Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux". Ils se souviennent de lui et ils l'attendent. Ils échangent la parole et la vie. Ils se livrent, eux aussi, comme Jésus s'est livré, jour après jour, jusqu'au dernier repas.
Toute prière est l'écho des voix de ce repas.

Jésus priait dans le combat au désert de la tentation. L'évangile d'aujourd'hui nous le suggère !
Il priait du premier combat au dernier quand il fut arrêté au jardin de sueur et de sang. Il s'offrait à la volonté du Père, confiance, angoisse et prière mêlées.
Jésus priait dans le brouillard de l'agonie. "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?... Père, entre tes mains, je remets mon esprit".
Jésus est mort. En priant.
Ressuscité, il prie le Père... pour nous.
Et il nous prie de le prier !

Aucun commentaire: