1er
Dimanche de Carême C 2016
"Jésus
fut conduit par l'Esprit à travers le désert !"
Le désert - l'évangile le dit aujourd'hui -
est toujours un lieu de combat, de tentation. Et le principal ennemi
dans ces lieux arides - demandez-le à tout ermite, à tout moine -, c'est
soi-même qu'assaille si facilement le démon.
Aussi, la seule arme possible dans le
désert, c'est la prière, cette union à Dieu qui fait, selon la formule de
St Paul, que "ce n'est plus moi qui
vis mais c'est Dieu qui vit en moi !" (Gal 2.20). Alors, avec le
Christ, la victoire sur soi-même est non seulement possible, mais elle est déjà
là !
Aussi, je pense que Jésus, entrant
dans le désert de la tentation, priait. Il était l'homme de la prière, de l'union permanente avec Dieu !
D'ailleurs, il faut le reconnaître : Jésus
est né dans un peuple dont la vie quotidienne était prière.
Le matin et le soir, au milieu de
l'après-midi, avant et après les repas, à la maison, au temple, à la synagogue,
à l'occasion des événements familiaux et nationaux, les Juifs priaient. Sans
cesse, ils "se souvenaient"
de Dieu (Cf.
Dt. 8.18 ; Nb 4.8 etc.), pour le remercier et pour lui dire leur attente. Ils
puisaient en lui leur fière passion de vivre.
Les textes qui nous viennent des premiers
chrétiens nous le montrent : Jésus priait avec son peuple.
Mais il priait aussi seul, très
librement: la prière s'ouvrait en lui comme la profondeur de ces nuits où il se
retirait souvent dans la solitude avec Dieu (Lc 5.16).
Avant les décisions importantes, Jésus s'isolait
dans le silence, dans la prière.
Et avant de prendre la grande décision
d'accomplir son mystère pascal, il fera d'un repas sacré une prière
inépuisable : il invitera tous les hommes à cette table à jamais ouverte.
Depuis lors, c'est là, dans la simplicité de l'Eucharistie, qu'est le
cœur de la prière chrétienne. Elle prend toute la vie des hommes, elle nous
entraîne à donner notre vie à la "multitude". Cette prière de Jésus,
l'Eucharistie, porte en elle toutes les prières chrétiennes.
Jésus priait avec son peuple ; il priait
avant les grandes décisions.
Il priait encore secrètement. : "Quand vous priez, enseignera-t-il, ne soyez pas comme les hypocrites : ils
aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les synagogues et les
carrefours, afin qu'on les voit…
Pour
toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, et prie ton Père qui est là,
dans le secret".
(Math
6/5-6).
Certes, Jésus allait au Temple et à la
synagogue. Son enfance et sa jeunesse avaient été modelées par la prière juive.
Mais sa prière n'était pas seulement celle des assemblées. Jésus portait en lui
des espaces de prière toujours ouverts. La solitude, la nuit, le désert, les
collines, étaient les lieux de sa prière secrète. Prier, essayer de prier, c'est
entrer dans le secret. Avoir avec Dieu des secrets. Etre pour soi-même un
secret.
Jésus priait encore sobrement.
Il ne nous a pas laissé beaucoup de
"prières". Des hymnes, des psaumes de son peuple, il en fera sa
prière jusqu'à l'instant de la mort. Mais il n'a pas voulu équiper ses
disciples avec des recueils nouveaux. Sa prière était souvent silence. Silence
du ciel nocturne au-dessus de la Galilée, au-dessus du Jardin des Oliviers.
Un jour, Jésus priait, probablement sans
parole, sobrement. "Quand il eut
cessé, l'un de ses disciples lui dit : Seigneur, apprends-nous à prier, comme
Jean l'a appris à ses disciples" (Lc 11.1). Il a fallu qu'on lui demande des
formules, pour qu'il offre soudain un résumé étonnamment sobre des grandes
prières juives :
"Père,
que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne; donne-nous chaque jour notre
pain; et remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à qui nous doit ; et
fais en sorte que nous ne soyons pas soumis à la tentation". (Luc 11/2-4.)
Matthieu présente une version plus longue.
Mais il rapporte aussi cette parole de Jésus : "Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens ; ils
s'imaginent qu'en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. N'allez pas
faire comme eux, car votre Père sait bien ce qu'il vous faut, avant que vous le
lui demandiez".
Jésus priait sobrement. On ne force pas
Dieu. On l'accueille.
Jésus priait Il priait sans cesse.
Car sa prière, il la vivait en toutes ses attitudes. Les quatre
évangiles donnent l'impression que sa prière, discrète et sobre, était
constante. Dans le silence des nuits de Galilée, mais aussi dans le face-à-face
avec un homme ou une femme, ou quand il devenait le pôle de toute une foule. Tout,
en lui, devenait prière.
Il disait d'ailleurs de "prier en tout temps" (Luc 22/36}, pour marcher vers
Dieu qui vient. Comme si la prière était
la source de vie vers laquelle il faut toujours avancer.
Cependant, il disait de savoir insister,
de savoir frapper à la porte, être même importun jusque dans la nuit (Cf. Lc 11.7). Pour une étrange
fécondité : "Tout ce que vous
demandez en priant, croyez que vous l'avez déjà reçu, et cela vous sera
accordé" (Mth
21.22).
Car que se passe-t-il en cette prière
obstinée ? Elle semble extraire patiemment du tréfonds de l'homme de prière une
humanité pure et réconciliée, celle que le visage, les yeux, les mains de
Jésus faisaient apparaître au jour.
La prière incessante sculpte l'homme,
l'homme de paix, de cette paix qui vient de Dieu seul et non cette paix de
l'homme si aimablement fugace.
Jésus priait. Avec l'audace de la
tendresse.
Jésus n'avait pas peur de Dieu. Il
l'appelait : "Abba". Ce
sont les balbutiements d'un enfant à son père. Il faudrait traduire :
"Papa". Avant Jésus, dans la religion juive et ailleurs, facilement, on
désignait Dieu comme Père. Mais personne n'avait jamais interpellé le
"Très Haut" avec ce nom d'enfance. Libre au milieu de son peuple,
libre en face des autorités, Jésus était libre devant Dieu-Père.
Oui, la prière dans l'Esprit de Jésus doit
apaiser la crainte de Dieu pour aller ainsi vers lui familialement,
familièrement.
Jésus priait. Et sa prière a culminé dans
le don de sa vie, le dernier soir.
En partageant le pain et en faisant passer
la coupe.
Il avait repris le rite fraternel : on
prenait ensemble le repas, et, vers la fin, le président de la table disait l'action
de grâces au Dieu qui nourrit les hommes, et les conduit vers la liberté, à
travers tous les exodes.
En présentant le pain et le vin, Jésus
s'est offert lui-même pour que son exode devienne le nôtre.
Depuis, ceux qui veulent suivre Jésus vont
vers cette table. "Là où deux ou
trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux". Ils se
souviennent de lui et ils l'attendent. Ils échangent la parole et la vie.
Ils se livrent, eux aussi, comme Jésus s'est livré, jour après jour, jusqu'au
dernier repas.
Toute prière est l'écho des voix de ce
repas.
Jésus priait dans le combat au désert de la
tentation. L'évangile d'aujourd'hui nous le suggère !
Il priait du premier combat au dernier
quand il fut arrêté au jardin de sueur et de sang. Il s'offrait à la volonté du
Père, confiance, angoisse et prière mêlées.
Jésus priait dans le brouillard de
l'agonie. "Mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m'as-tu abandonné ?... Père, entre tes mains, je remets mon esprit".
Jésus est mort. En priant.
Ressuscité, il prie le Père... pour nous.
Et il nous prie de le prier !
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