Transfiguration 13
Un homme
annonce à ses parents, le visage transfiguré : "Je suis père
! je viens d'avoir un fils et vous un petit‑fils ! Il vous ressemble".
C'est
bien de cette ressemblance entre un père et son fils qu'il s'agit, quand on
parle de transfiguration : la communication de sa propre figure à un autre, à
la fois distinct et identique.
La
transfiguration, c'est le
rayonnement d'un visage qui se contemple dans le miroir vivant d'un autre
visage. Déjà physiquement, un enfant ressemble à son père, à sa mère... Mais quelle fierté pour les parents lorsque le fils leur sera semblable non seulement physiquement,
mais intellectuellement, spirituellement...
Avec
la Transfiguration de
Jésus, c'est la figure du Père, qui transparaît sur le visage humain de Jésus. Jésus manifeste à ses contemporains qui
il est et qui est le Père, un Dieu de douceur, de miséricorde, un Dieu de
paix et de justice, un Dieu rayonnant de tendresse, "lent à la colère et plein d'amour".
Depuis
la création, Dieu avait essayé de transférer son visage et de communiquer son
esprit aux hommes créés "à
son image et ressemblance".
Mais
pour "ressemblés" à Dieu, les hommes se sont fourvoyés. Au lieu d'écouter - "Shema,
Israël !" -, pour mieux
l'accueillir en eux, ils ont préféré imaginer, à leur propre ressemblance, un
Dieu écrasant d'autorité qui
s'impose même par la violence.
Voltaire avait bien raison de s'exclamer : "Dieu
a créé l'homme à son image !". Et d'ajouter, toujours sarcastique : "Et l'homme le lui a bien rendu !"
Moise et
Elie représentent deux étapes importantes et imparfaites de cette transfiguration trop humaine de Dieu.
Moïse, c'est le résistant intrépide qui
n'hésite pas à défendre ses compatriotes esclaves et opprimés en tuant un
Egyptien, chef de corvée. Les plaies d'Egypte manifestent de même un Dieu
vengeur qui frappe durement ses opposants et va jusqu'à tuer tous les premiers
nés d'Egypte. Ce Dieu terrible apparaîtra sur le Sinaï dans le fracas du
tonnerre et la fulgurance des éclairs. Et le
peuple tremble devant cette toute‑puissance éclatante, ce Dieu
"jaloux" qui commande de détruire les autres dieux, les idoles qu'il
ne supporte pas.
Sur une
autre montagne, Elie, lui,
entrevoit bien le visage et la figure de Dieu, non plus dans le feu, l'ouragan
ou dans le tremblement de terre, mais dans le murmure silencieux d'un
souffle lége - littéralement : dans "l'éclatement d'un silence" -. Mais il n'est pas resté assez longtemps à
l'écoute du Seigneur ! Son
tempérament fougueux reprend le dessus. Après avoir tué les prophètes de Baal (I Rois 18/40), il fera tomber le feu du ciel sur les
soldats venus pour l'arrêter au nom du roi Achab (II
Rois I/9‑12). Et le voilà qui
part comme une fléche déposer le roi de Syrie et celui d'Israël, comme s'il ne
voyait d'autre salut, d'autre espérance, que dans un engagement politique déterminé (I Rois 12/15‑16). Il se fait le chevalier d'un Dieu conquérant.
Jésus
connut la même
tentation de faire appel
au feu de Dieu pour punir un village samaritain inhospitalier, de pulvériser,
en mobilisant des légions d'anges, ses adversaires qui veulent le tuer, de
s'emparer par la force de tous les royaumes du monde, à la façon des grands
conquérants de l'histoire.
Mais
Jésus résiste à cette volonté de puissance qui ne correspondait pas à
l'image fidèle qu'il se fait de son Père.
En
effet, ce Père unique et universel lui donne tous les hommes, non pas à
commander mais à servir, non pas à
haïr, mais à aimer, non pas à perdre, mais à sauver, non pas à détruire, mais à
faire exister, y compris au détriment de sa propre vie.
Jésus
choisit donc une certaine volonté d'impuissance face à l'agression. Devant le mal, la calomnie, les complots,
l'humiliation, il se servira de toute la force de Dieu qui, face aux pécheurs
et pour combattre le péché, envoie sa pluie et son soleil indifféremment sur
les bons et sur les méchants. Jésus manifestera sa bénédiction, sa
bienveillance à l'égard de tous sans exception.
Il se montrera
ainsi témoin jusqu'au bout, jusqu'à la mort acceptée, de ce Dieu scandaleux,
incapable de vouloir le mal et de le faire, de ce Dieu fou qui aime les
pécheurs à la folie, car il les considère toujours comme ses fils.
Devant
cette ressemblance totale entre Lui et son Fils, le Père se retrouve
parfaitement. Il le dit,
à travers ce soleil qui rayonne sur le visage de son fils : "Celui‑ci est mon fils bien‑aimé, mon
fils transfiguré. Écoutez-le". Quand il parle, c'est moi qui parle, quand il agit, c'est moi qui agis ; quand il meurt,
c'est moi qui depuis la création du monde meurs d'amour pour servir les hommes
et les délivrer de leur péché.
Alors,
une question : nous, disciples du Christ, de quel Dieu sommes‑nous
les témoins ? D'un Dieu autoritaire que les hommes ont souvent forgé et
que Dieu a accepté par une sorte de pédagogie condescendante ? Ou d'un Dieu
d'amour révélé sur la face transfigurée du Christ ?
Dieu,
notre Père, nous dit, à travers son fils transfiguré, de ne pas juger, ni condamner, de ne perdre
aucune brebis égarée, même si elle se dresse contre nous comme un loup enragé,
mais de les sauver toutes.
Pour
celui qui veut véritablement rencontrer et le Père et le Fils, il n'y a pas d'autre solution
que de "voir le Christ
seul", de toujours s'entretenir avec lui, comme Moïse et
Elie, de "l'exode - c'est le mot qu'emploie St Luc -, ..."de l'exode qui allait se réaliser à Jérusalem"
et de le suivre sur le chemin qu'il allait emprunter :
- le chemin
de la croix, celui de la pauvreté, de la douceur et du pardon,
- le chemin
aussi du vrai bonheur, des béatitudes, de la lumière et de la joie.
Dieu
attend aujourd'hui des fils parfaitement ressemblants pour que sa paternité
inconditionnelle, souvent défigurée par nos choix partisans et
autocratiques, soit, rayonnante,
glorieuse, soit transfigurée !
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