18ème Dim. Ord. 13/
La première lecture peut surprendre.
Considérant la condition de l'homme sur terre, le peu de bonheur qu'il y
rencontre, le mystère de l'action de Dieu dans le monde, l’auteur - appelé
Qohélet ou Ecclésiaste - exprime le résultat décevant de son enquête : “Tout est vanité”.
Puis, il fixe sa réflexion sur un
point précis : le travail et le bénéfice qui en revient à l'homme. “Pure vanité que tout cela !”. Le mot
employé pourrait mieux se traduire par “vent,
futilité, inconsistance, absurdité”. Le mot étant souvent employé, on peut
soupçonner l'auteur de pessimisme radical.
Pourtant, c'est en raison de ce
jugement porté sur le travail et son rapport, que ce texte a été choisi pour
préparer à la lecture de l’évangile. Là aussi, il s'agit du travail et de son
profit, jugés bien vains en raison de ce qui en restera alors que la nuit
venue, la mort peut surprendre !
Sans le dire aussi nettement, c'est de ce point de vue que se
place l’auteur de l’A.T. pour juger des réalités humaines. Le problème de la
mort le hante, comme nous-mêmes ! Il en parle souvent. Devant elle tout
s'évanouit, devient vanité : même le bonheur, la grandeur, la richesse. Alors,
pourquoi travailler ?
Il semble bien que ce sage n'ait
guère de réponse satisfaisante à donner, comme nous-mêmes souvent. A quoi
bon le travail si, de son gain, profite qui n'y est pour rien, qui n'a pas
connu les jours de peine, le souci des affaires, les nuits d'insomnie. Lui, il
ne récolte souvent qu’un misérable salaire ou la jalousie des autres. Alors :
mauvaise affaire que tout cela !
C'est une bien triste impression que nous laisserait l’auteur si
nous ne savions qu'en d'autres circonstances, il est d'avis qu'il faut quand
même travailler et qu'après tout il y a bien quelque profit, quelque jouissance
à tirer de ce labeur. S'il refuse de s'enfermer dans un optimisme béat et
borné, Qohéleth sait faire son autocritique et se faire pardonner son humeur
noire.
Peut-on du moins expliquer sa sévérité
outrancière ? Peut-être. Réfléchissons nous-mêmes ! Il sait par
expérience que la réussite n'est pas le tout de la vie. La condition
humaine est tellement éphémère et Dieu a fait que l'homme en ait conscience. Le
travail ne mérite donc pas d'être glorifié en soi. Il faut lui trouver une
justification. Le tourment de Qohéleth est qu'il n'en voit aucune, ayant limité
les données du problème à la condition de l'homme seul, sans fils ni frère.
Pour qui est-ce que je travaille, se demande-t-il alors ?
Dans le texte évangélique, le riche de
la parabole ne croit pas son travail inutile, au contraire. Il en attend
plaisir, accroissement, richesse, comme nous-mêmes souvent. Au fond, il
réfléchit moins que Qohéleth. Et là, c'est Dieu qui le ramène à la réalité de
la fragilité de l'existence humaine. Car en reprenant sa vie, il va demander
des comptes. Ce que Qohéleth affirme également !
Ce que les deux textes ont en commun
c’est donc un appel à la réflexion. Travail et richesse sont des
composantes de la condition humaine ; mais celle-ci a ses limites, celle
de l'existence éphémère. Cependant, nous n'avons pas à proclamer la vanité du
travail. Il est porteur de progrès, source d’un mieux-être pour
la vie de l’homme.
Et le chrétien ira plus loin ; il
sait qu'en travaillant, il continue l'œuvre du Créateur, si du moins les
desseins de Dieu ne sont pas entravés par le matérialisme d'une société qui, en
limitant les horizons, forge les égoïsmes, dresse les jalousies, creuse des
abîmes de colère et de haine. Alors se dresse le visage de Dieu. Cependant
l'évocation de son jugement ne permet plus au chrétien d'être angoissé comme
Qohéleth, ni satisfait comme l'homme de la parabole. Il lui faut être ouvert
au sens social du travail sans lequel “nulle
cité ne pourrait se construire”, dit un autre sage de la Bible (Si
38/32), pas même la cité céleste qui, si elle ne s'édifie pas sans le
Seigneur, ne s'édifie pas non plus sans le labeur des hommes.
C’est un grand sujet de réflexion
qu’apportent ces deux textes ! Pour chacun de nous, l’avenir
comporte au moins un élément certain : notre mort. Tôt ou tard, il nous
sera dit : “Cette nuit même, on te
redemande ta vie”. Une telle certitude colore tout ce qui
nous reste à vivre, accentue le caractère éphémère de tout ce qui passe entre
nos doigts. Il n'est pas nécessaire d'être croyant pour redire avec le vieil
Ecclésiaste : “Vanité des vanités, tout est vanité.”
Sans être d’un grand pessimisme, Il
arrive à chacun de faire sienne cette phrase, surtout lorsque les choses ou les
êtres auxquels on tient viennent soudain à manquer. Malgré cela, et aussi
longtemps que l’on n’a pas vraiment rencontré le Christ, on ressemble au
riche de l'Évangile. On s'emploie à ajouter richesse à richesse (quelles
qu’elles soient), abondance à abondance. La faim est insatiable. Plus on lui apporte,
plus elle réclame. Le désir est sans bornes et porte en lui l'écho de l'infini.
Trop souvent, chacun de nous est “celui
qui amasse pour lui-même”, comme dit la parabole. Pourtant, Jésus le
rappelle : “La vie d'un homme, fût-il
dans l'abondance, ne dépend pas de ses richesses.”
Alors, où est-elle, la vraie vie de l'homme ? Car
il y a “vie” et “vie”, et aucune vie d'ici-bas ne soutient la comparaison avec
celle que Jésus est venue apporter : “Je
suis venu, dit-il, pour qu'ils aient
la vie, et la vie en abondance” (Jn 10/10).
Encore faut-il avoir rencontré Jésus pour commencer à pressentir cette vie, la
désirer. Encore faut-il avoir senti, à l'écoute de sa Parole, une douceur
monter dans le cœur, une douceur qui dépasse tout ce que les biens de ce monde
pourraient apporter.
A l'opposé de la richesse matérielle,
celle, apportée par Jésus, est tout intérieure. Elle manque d'éclat. Elle
n'éblouit pas. Elle est même invisible et cachée, nous a rappelé la deuxième
lecture, Il faudrait des yeux particuliers pour la voir, des oreilles adaptées
pour l'entendre, que seul l'Esprit de Jésus peut nous procurer. Il faudrait
même avoir déjà traversé la mort pour que ces richesses-là nous apparaissent
infiniment désirables, bien au-delà de toute autre richesse, de celle dont nous
craignons précisément que la mort physique ne vienne nous arracher à tout jamais.
En effet, comme vient de le dire St
Paul, déjà “nous sommes morts avec le
Christ - c'était lors de notre baptême - et notre vie - la vraie - reste cachée avec lui en Dieu”. La mort physique, qui est
encore devant nous, pourrait nous faire craindre pour nos richesses
matérielles. Mais la mort de Jésus, en laquelle nous avons été baptisés, et qui
est déjà derrière nous, nous a greffés pour toujours sur notre vraie vie,
sur Jésus ressuscité, “en qui sont
cachés tous les trésors de la sagesse et de la grâce divines” (Col
2/3). En lui, nous pouvons, peu à
peu, apprendre à être, comme le dit l'Évangile, “riche en vue de Dieu”.
“Riche en vue de Dieu” ! C'est là l'un des plus beaux fruits de notre union au Christ, au cœur
d'un monde si peu porté à le reconnaître : que le disciple de Jésus soit
libre vis-à-vis de l'argent. Non pas que le baptême nous dépouille
nécessairement de nos richesses matérielles. Certes pas ! Mais il donne d’en
être point esclave et de les gérer autrement, toujours davantage “en vue de Dieu” ! Car,
depuis que nous ne les identifions plus à notre vie terrestre, depuis que nous
sentons bouger en nous une vie nouvelle, nos richesses, déjà, se détachent peu
à peu de nous. C'est comme si elles nous tombaient des mains, sans grand effort
de notre part, et qu'elles trouvaient très naturellement leur vraie place…
Être “riche en vue de Dieu”, c'est laisser cette vie de Dieu et
son amour investir tout ce que nous sommes et possédons, pour en faire tout à
la fois un service fraternel et une liturgie à la louange de la miséricorde
divine.
Sinon, nous ressentirons fortement la
réflexion de Qohélet : “Vanité des
vanités ; tout est vanité !”
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