jeudi 16 juin 2011

Soucis apostoliques !

T.O. 11 imp. Jeudi - Vendredi (II Co. 11)

JEUDI

Pour comprendre notre lecture, il faut se souvenir : Paul, malgré son projet de se rendre à nouveau à Corinthe (cf. I Co 16), n’avait pu quitter l’Asie, retenu qu’il était par les nécessités de l’apostolat.

Des nouveaux venus, insinuants et remuants (1), s’étaient alors établis à Corinthe. Intrigué par l’écho de leurs menées, Paul, vers la fin des trois années de son séjour à Ephèse, se décida à rendre aux Corinthiens une brève visite qui ne l’instruisit pas à fond de l’état de la Communauté (une visite canonique insatisfaisante !) ; il rentra en Asie avec des impressions mélangées où la tristesse dominait. Aussi avait-il promis un prompt retour et un séjour plus prolongé. Il pressentait juste : après son départ, les intrigues s’aggravèrent.

Peu après, Paul dut fuir Ephèse après l’émeute des orfèvres de la ville. C’est alors, sans doute qu’il apprit qu’un acte de grave indiscipline attaquant son autorité ou son honneur, s’était produit à Corinthe, du fait de l’un de ceux qu’avait enhardis contre lui la modération incomprise de son attitude lors de sa récente visite. – Choqué, il renonça à faire le voyage annoncé qui, en de telles conjonctures, n’aurait pu que l’exposer davantage à de nouveaux déboires. Il écrivit alors une lettre - malheureusement perdue - pour obtenir réparation d’un outrage qui atteignait la discipline chrétienne en même temps que sa personne.

C’est alors - ou peu auparavant - qu’un grave accès de sa maladie chronique vint mettre sa vie en danger et, combiné avec les soucis extérieurs, le plonger, semble-t-il, dans une grave dépression. Quand l’apôtre eut recouvré quelques forces, il remit à Tite sa lettre - si elle n’était pas partie déjà - et le chargea en tout cas d’aller à Corinthe surveiller l’exécution des ordres qu’elle contenait. Il lui demandait de le rejoindre ensuite à Troas pour le renseigner sur les dispositions de la Communauté. - Celle-ci réveillée par la lettre de l’apôtre et par la visite de Tite s’émut, examina l’affaire et punit l’offenseur. Cependant une minorité d’opposants subsistait...

L’absence de Tite dura plus qu’il n’était prévu. Aussi, tourmenté d’inquiétudes à propos de cette affaire, et n’y pouvant plus tenir, l’intrépide Apôtre se résolut à partir à la rencontre de son disciple. Il le trouva enfin en Macédoine, chargé de bonnes nouvelles pour tout ce qui avait trait au récent orage, mais inquiet encore des activités funestes et continues d’un certain parti qui, dans l’ombre, manigançait contre son autorité…

C’est alors que toujours retenu en Macédoine, l’Apôtre se résolut à composer la lettre dont est tirée notre lecture pour manifester, d’une part, sa joie de l’attitude soumise des Corinthiens pendant la mission de Tite, mais, d’autre part, afin d’exclure autant que possible toutes les causes subsistantes de troubles, avant de faire lui-même à Corinthe ce séjour plusieurs fois annoncé et remis. Il promettait de mettre la dernière main à la restauration chrétienne de cette Communauté qui lui était si chère, dont la fondation était sa gloire et de laquelle il attendait tant pour l’avenir
En cette lettre, Paul met un sceau d’oubli sur les événements pénibles afin de rétablir une entière communion. Communion qui doit se manifester par le moyen d’une grande collecte afin de faire disparaître les méfiances entre chrétiens d’origine juive et ceux d’origine païenne. Et il désire, lors sa proche venue, éliminer toutes les mauvaises influences.

Remarquons d’abord avec gratitude et admiration, nous qui sommes dans l’ombre d’un cloître, les profondes et diverses souffrances d’une vie apostolique, celles de Paul et de tous les apôtres, celles des premiers missionnaires… et de tant d’autres évangélisateurs tout au long des siècles. Par toute leur vie et par leur mort, ils illustrent le mystère pascal du Christ que tout chrétien doit traverser pour “entrer dans sa gloire“.

Et puis, en considérant cette jeune et tumultueuse Communauté de Corinthe, ne nous effrayons pas trop des difficultés actuelles de notre Eglise. Même si nous traversons des moments de lassitude, voire de dépression comme Paul, gardons espérance. “Moins il y a d’espérance de votre côté, écrivait Bossuet, plus il faut espérer du côté de Dieu !“. C’est l’espérance que manifeste l’apôtre finalement : “Je vous ai fiancés à un époux unique, dit-il, comme une vierge pure à présenter au Christ“. Admirons au passage l’audace de l’espérance de Paul : vouloir refaire des vierges spirituelles avec ces recrues corinthiennes dont il a décrit par ailleurs les anciennes mœurs dissolues (I Co 6), il faut du courage opiniâtre… - Remarquons encore le choix de l’image. Paul était bien loin de mépriser le mariage puisqu’il en fait le symbole de l’union avec Dieu. D’ailleurs, cette comparaison était courante dans la Bible. Dieu n’était-il pas considérer comme l’époux d’Israël ?

Il y aurait beaucoup à dire encore sur notre passage. Je termine en soulignant l’humour un peu noir de l’apôtre qui sous-entend cependant un amour fou, au nom du Christ, pour sa chère communauté qu’il a fondée : “si vous supportez un esprit différent que celui que vous avez reçu ou un autre évangile que celui que vous avez accueilli, vous le supportez fort bien - ou - vous le supporteriez bel et bien“, n’est-ce pas ? Paul ne cache pas ses sentiments derrière des circonvolutions, sous prétexte de “politesse charitable“, n’est-ce pas (c’est si courant cet omerta qui anesthésie tout !) (2). Non ! Paul est direct, dur et même d’un humour grinçant. Mais l’apôtre sait en donner la raison : “Parce que je ne vous aime pas ? Dieu le sait !“



VENDREDI

Après le discours que Paul tenait dans la lecture d’hier, on dirait qu’aujourd’hui l’apôtre “se lâche“, comme on dit communément. D’ailleurs les deux versets qui précèdent notre passage le précisent : “Qu’on ne me prenne pas pour un fou !“ (le terme grec veut dire : légèreté, manque de réflexion ou de profondeur). Et après tout, pourquoi pas ?, semble dire l’apôtre, car je vais parler “non selon le Seigneur, mais comme en pleine folie (de façon déraisonnable, traduit le P. Allo), dans mon assurance d’avoir de quoi me vanter“.

Puisque tant d’autre se vantent, et bien, moi aussi, je vais le faire ! On dirait que Paul a honte, en quelque sorte, de dire ce qu’il va énoncer et qui ne lui paraît pas conforme à l’esprit chrétien, honte d’insister, pour sa renommée, sur des avantages qui ne sont que de l’ordre des choses sensibles, visibles (N’est-ce pas ce que l’on fait facilement, nous autres, et, du coup, sans ressentir de honte ?). Cependant, Paul semble avancer une excuse : puisque c’est cela qui paraît impressionner le plus les Corinthiens, alors il se résigne. Mais à la fin de son apologie, il saura retourner son argument : “s’il faut se glorifier, je me glorifierai dans ma faiblesse !“.

Voilà pourquoi l’apôtre va insister sur les situations très précaires qu’il a dû traverser et qui auraient dû normalement l’anéantir si le Seigneur ne l’avait pas assisté !

C’est en ce sens qu’il commence par une ironie caustique : “Volontiers, vous supportez les gens dépourvus de sens, vous si raisonnables. Vous supportez qu’on vous asservisse, qu’on vous dévore, dépouille, qu’on vous frappe le visage !“. Il faut savoir que dans l’ancienne Grèce pourtant policée, cette dernière attitude, par exemple, qui nous parait brutale n’était pas insolite même entre gens respectables. Et on peut se figurer que dans cette Grèce hellénique de Corinthe, mâtinée de barbarie romaine et orientale, des discussions même doctrinales et spirituelles pouvaient dégénérer en voie de fait. C’était si courant que dans ses lettres pastorales, Paul exigera des candidats à l’épiscopat qu’ils ne soient pas donneurs de coups (Cf I Tm 3.3 ; Tite 1.7).
Vous supportez tout cela, raille St Paul. Vous me reprochez donc d’avoir été trop faible avec vous. Et bien, je vais donc vous confondre à votre façon ! Et l’apôtre d’avancer tous les combats qu’il a remportés pour annoncer la Parole de Dieu !

Et il y a de quoi être confondu. Les Corinthiens (et nous-mêmes) n’en auraient pas supporté un centième : coups, prison, flagellation, lapidation, naufrage, brigandage, fatigues, peines, veilles, privations de toutes sortes…, “sans compter tout le reste“, dit-il. - “J’en passe, et des meilleures !“, aurait dit notre classique français (Victor Hugo).
Et principalement, la préoccupation constante - jour et nuit - de toutes les Eglises qui restent en contact avec lui, lui imposant courrier, visite, enseignement, administration, etc… St Jean Chrysostome dira : “Tout harcèle cet homme qui veut se faire tout à tous“ (Cf. I Co. 9.22 ; II Co 2/12-13). - Si encore il pouvait dire comme un stoïcien qu’il se dresse devant toutes ces difficultés avec un front d’airain ! Mais non ! Et Paul termine : “S’il faut se glorifier, je me glorifierai dans ma faiblesse !“. N’avait-il pas déjà écrit : “Ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort !“. (I Co. 1.27) – Que les forts de Corinthe soient donc confondus !

St Paul aurait certainement souscrit à ce que St Benoît écrira plus tard : “Ceux qui ne s’enorgueillissent pas de leur bonne conduite et qui, estimant que le bien même qui se trouve en eux vient de Dieu, glorifient le Seigneur agissant en eux. Ils disent avec le Prophète : « Ce n’est pas à nous, Seigneur, ce n’est pas à nous, mais à ton Nom qu’il faut donner la gloire ! ». L’apôtre Paul non plus ne s’attribuait rien à lui-même. Il disait : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ! ». Et encore : « Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur ! »“.


(1) Probablement des Judaïsants sournois et gnosticisants qui surent peu à peu recruter des partisans

(2) On pourrait facilement gloser St Paul :
- La Parole de Dieu vous a élevés jusqu’au trône de Dieu et vous aimez vous engloutir dans la pseudo spiritualité de la psychologie des profondeurs. Et vous semblez bien vous en porter, ignorant l’avertissement du psalmiste : “Conclusus sum et non egrediar“ - Je me suis enfermé et je n’arrive pas à sortir !“ (Ps 87)
- Vous avez été élevés dans la saine et pure doctrine de Dieu notre Sauveur (Cf. Tite 2.1,7,10). Et voilà que vous applaudissez ces “malins qui, selon Jérémie (49.7) sont à court d’idées et dont la sagesse a ranci“ très vite. Et tout semble pour le mieux pour vous !
- Vous avez reçu, pour votre salut, l’aliment solide de l’Eglise et vous vous rassasiez des miettes de tel gourou qui oublie d’être “le répétiteur extérieur du Maître intérieur qui seul instruit les cœurs“ (St Augustin). Et vous êtes en extase !
- On vous a enseigné à “dispenser avec droiture la Parole de vérité“ (II Tim 2.15) ; et vous vous adonnez à vos élucubrations personnelles entraînant des attitudes de piété que votre suffisance façonne. Et vous voilà joyeux !
Bref, ne vous rendez-vous pas compte que votre orgueil “filtre le moucheron et avale le chameau ?“ (Mth 23.24)

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