mercredi 15 juin 2011

Donner, c'est aimer !

T.O. 11 imp. Mercredi - (II Co. 9.6-11)

Il est toujours question de la fameuse quête qu’organise l’Apôtre en faveur des chrétiens de Jérusalem. Mais, on devine qu’il ne s’agit pas seulement d’argent : “Chacun doit donner comme il a décidé dans son cœur…", comme Dieu qui, lui, "est assez puissant pour donner toute grâce en surabondance !" Il a tellement aimé qu’il nous a donné son Fils…, qui s’est donné lui-même par amour : Dieu est Amour.

Jeune novice, je me demandais naïvement, ce que chacun pouvait donner au sein d’une Communauté où tous avaient fait vœu de pauvreté ! - Il ne restait, il ne reste qu’à se donner soi-même par amour ! “L’homme n’a rien de plus commun avec Dieu, écrivait Grégoire de Nazianze, que la faculté de donner, de se donner“. Au fond, le véritable don, c’est l’Amour ! Un poète musulman, très spirituel, Rumi (moine derviche qui vivait au 13ème siècle à Konya), disait : “Si tu ne veux pas mourir, vis dans l’amour. Si tu meurs dans l’amour, tu vivras !“ Faire tout avec un véritable amour, à l’exemple de Dieu lui-même. Il a tellement aimé le monde qu’il nous a donné son Fils…

Aussi ce Fils Unique, Jésus, s’est fait pauvre en prenant la condition humaine. St Paul le disait: de riche (de vie divine) qu’il était, il s’est fait pauvre pour qu’en sa pauvreté nous trouvions la véritable richesse : Dieu lui-même !

Bien plus, il a pris la condition humaine en sa pauvreté radicale. Le pauvre par excellence est celui qui n’existe pour personne, qui est le “non-aimé“. Il était, comme dit Isaïe, celui dont on détournait le regard (et cela peut arriver en une communauté) ; il était le réprouvé, le “non-aimé“, éliminé en quelque sorte avant même d’être tué ! Cet oubli, cette marginalisation, c’est le fond de la pauvreté ! Catalogué, oublié, rebus de la Communauté en place régie par des lois pharisaïques, son existence lui était refusée.

Pourtant, pourtant, ce qu’il y a de plus profond en l’homme créé à l’image de Dieu, c’est le besoin qu’il a de reconnaissance, un besoin d’être connu, reconnu, avant même d’être aimé véritablement ! “Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais“, dit Dieu à Jérémie (Jr 1.5). “Si vous m’aviez connu, vous auriez connu aussi le Père“, disait Jésus (Jn 8.19). Etre connu, reconnu vraiment comme existant ! D’ailleurs, quand un homme ne se sent pas reconnu, il se fera craindre éventuellement pour satisfaire cette soif de reconnaissance. C’est bien connu !
Et encore, ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est d’être reconnu comme objet de reconnaissance, qu’on revienne vers lui afin de reconnaître, par le remerciement, les dons, les largesses qu’il peut faire ! Ne jamais oublier l’action de grâce qui doit monter vers Dieu, rappelait St Paul ! “Ils ont oublié le Seigneur, leur Dieu !“ (I Sam 12.9 ; Is 17.10 etc). C’est le grand reproche fait à Israël . “Ils avaient oublié les exploits“ du Seigneur (Ps 78.11), ses “nombreuses bontés“ (Ps 106.7).

Toute communauté d’hommes, parce que créés à l’image de Dieu, se fonde - il ne faut pas l’oublier - sur ce système naturel de “reconnaissance“ mutuelle. Et une reconnaissance qui n’est pas figée par des préjugés (rien de plus épouvantable !). Sans cesse l’un reçoit de l’autre et réciproquement. On le reconnaît ; on se reconnaît ! Et des liens se forment sur cet échange mutuel. A la racine de l’amitié, il y a cette reconnaissance mutuelle. Chacun existe pour l’autre… Si ce n’est pas encore l’amour, encore moins la charité, c’en est le terreau indispensable. Faute de le cultiver, le véritable amour ne peut se développer.

Car, paradoxalement, après cette exigence de reconnaissance pour vivre, il faut, pour aimer, pour donner et se donner, comme une révélation soudaine (humaine ou/et spirituelle) qui entraîne une sorte d’effacement complet de ce que l’on est soi-même, un gommage de l’exigence d’estime, une sorte de renoncement à la “reconnaissance“. C'est dans cette pauvreté absolue que l'on peut donner et se donner! On souhaiterait se perdre en celui que l’on aime (Cf. St Jean de la Croix). Tout peut et doit même s’effacer devant lui ! Seul l’être aimé prend une sorte de valeur d’absolu. Seul, il occupe l’esprit, le désir. On voudrait se fondre en lui ! “Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, priait Jésus, pour qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux comme toi en moi…“ (Jn 17.22).

Et le fait de se découvrir aimé en cette pauvreté radicale, par de multiples et incessantes attentions, est déjà une révélation divine. On se découvre alors précieux pour un autre, alors que soi en face de soi, on se demande parfois si, honnêtement, on est “quelque chose“ de valable, d’aimable, si on mérite d’être aimé ! Or, grâce à l’amour qu’on nous porte, on se découvre précieux en face d’un autre qui est capable de découvrir en soi une valeur que l’on ne savait même pas lire en soi-même, “du fait, disait Dieu à Israël, que tu vaux cher à mes yeux, que tu as du poids et que moi je t’aime…“ (Is 43.4). Ainsi devine-t-on déjà la cité céleste faite de “pierres précieuses“ (Ap 21.19) de toute sorte.

C’est peut-être ainsi qu’on peut découvrir le don, bien plus grand que celui de l’argent, le don de l’amour fraternel. Ce n’est peut-être pas encore totalement la charité, cet amour même de Dieu, qui doit se répandre totalement en nos cœurs par l’Esprit Saint. Mais on y tend sérieusement !

Aussi, je terminerai en reprenant cette magnifique réflexion de Madeleine Delbrel : “Etre pauvre, ce n’est pas intéressant ; tous les pauvres sont bien de cet avis. Ce qui est intéressant, c’est de posséder le Royaume des cieux ! Mais seuls les pauvres le possèdent. Aussi ne pensez pas que notre joie soit de passer nos jours à vider nos mains, nos têtes et nos cœurs. Notre joie est de passer nos jours à creuser la place dans nos mains, nos têtes et nos cœurs pour le Royaume des cieux qui ne passe pas !“. Et alors nous pourrons donner ce que nous recevrons… et avec quel joie : Dieu lui-même… qui déjà nous rassemble, nous unit plus qu’on ne le pense !

Aucun commentaire: