jeudi 2 juin 2011

Ascension 2011

Je ne peux m’empêcher aujourd’hui de faire mien, passionnément, le souhait que St Paul formulait à l’adresse des chrétiens d’Ephèse : “Que le Dieu de Notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans la Gloire, vous donne un esprit de sagesse pour le découvrir et le connaître vraiment“. Le découvrir et le connaître vraiment !

Oh ! Si seulement nous puissions prendre ce souhait de l’Apôtre comme la directive de toute notre vie ! Car, plus je médite sur les débats, âpres parfois, en nos sociétés, sur les désarrois, difficultés, voire les combats qui sont nôtres, je soupçonne qu’à la racine de tous nos malaises, il y a ce fait : nous n’avons pas encore découvert et connu vraiment le Dieu de Notre Seigneur Jésus Christ.

Et même, j’en appelle à tous ceux qui sont habités par Lui, qui vivent de Lui, dans la prière et le dévouement aux autres, à tous ceux qui attestent n’avoir cherché que Lui, parce que Lui-même est venu les chercher d’une manière surprenante souvent, j’en appelle à eux : ils savent, comme moi, qu’après des années de familiarité, d’invocation et de contemplation, on ose dire et on n’ose pas dire qu’on Le connaît vraiment ; on tremble de l’affirmer trop vite ; et l’on se surprend à murmurer encore : “O Toi, Dieu de Notre Seigneur Jésus Christ, Père dans la Gloire, donne-moi un esprit de sagesse pour te découvrir et te connaître vraiment“.

Mais où donc le découvrir ? Où donc le connaître ce Dieu ? Pas ailleurs que dans la vie et le visage de Jésus, ce Jésus qui disait n’être venu que pour manifester aux hommes le Nom du Père. Telle fut son œuvre : à Nazareth, en Galilée, à Jérusalem, cloué en croix, manifesté vivant après sa résurrection, il n’a cherché que cela : “O Père, qu’ils te connaissent !“ (Jn 17.25sv). Par son silence et par sa parole, et par sa sueur et par son sang, par sa Gloire et par son Eucharistie, il n’a crié, ne crie que cela : Voyez quel Père est mon Père et votre Père, quel Dieu est mon Dieu et votre Dieu.

Mais voilà que cet homme, bien terrestre, ou, comme dit St Jean, cette voix que nous avons entendue, ce visage que nous avons vu, ce rayonnement que nous avons contemplé, cette chair que nos mains ont touchée, voilà que l’heure est venue où ni les mains, ni les yeux, ni les oreilles ne peuvent plus le rencontrer ! Il disparaît ! Alors ?

Alors, en réalité, sa disparition, après l’Ascension que l’on croyait une absence, devient présence secrète : “Je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la fin du monde“ (Mth 28.20). Et le destin humain que ce Fils de Dieu a vécu, trente ans durant, se refait tout au long des siècles : aujourd’hui encore, il vient aussi librement qu’il laisse les hommes faire de lui librement ce qu’ils veulent. A chaque instant, il vient se donner au risque de se voir livrer par trahison. Toujours, il veut habiter le cœur de l’homme au risque d’être toujours saisi et cloué en croix !
Car toutes les rumeurs, aujourd’hui encore, se répandent à son sujet dans une société qui ne se dit plus chrétienne ; c’est la suite cohérente et inéluctable de ce destin qu’il à lui-même choisi : les uns se saisissent de lui et veulent le supprimer : “Dieu est mort !“, disent-ils. Les autres se saisissent de Lui pour en faire un roi ou une vedette éphémère. Quelques-uns enfin le saisissent et l’adorent !

Chacun de nous aura toujours à comprendre de plus en plus ce mystère pascal de mort et de résurrection : Dieu est mort en nos frères. Dieu ressuscite aussi en eux !
Non seulement, nous le constatons autour de nous, mais nous le vivons en nous-mêmes, au point de pouvoir dire avec St Paul : “Je ne fais pas le bien que je veux ; et le mal que je ne veux pas, je le fais !“ (Rm 7.19). N’est-ce pas cela déjà l’enfer, cette incohérence dans l’amour de Dieu, de nous-mêmes et des autres ?

Cependant le cri de St Paul nous rend l’espérance : “Le Christ est monté ! Qu’est-ce à dire sinon qu’il est d’abord descendu jusqu’au bas, sur la terre ?“ (Eph. 4.9). Comme le dit notre “Credo“. Il est descendu aux enfers là où l’homme se défait, là où il se décompose en son âme même. En tous les goulags matériels et spirituels du monde, le Christ descend pour les détruire et en faire remonter, avec Lui-même, toutes les victimes qui veulent bien le suivre…, qui veulent bien le suivre !

Ainsi, son ascension trace notre chemin. S’il est descendu jusqu’à nous, s’il s’est pareillement anéanti, comme dit St Paul, c’est pour nous dire que Dieu n’aime pas les enfers où nous nous trouvons. La Résurrection du Christ et son Ascension manifestent l’insurrection de Dieu contre tout ce qui détruit, mutile et blesse ses enfants, les hommes. Et en nous-mêmes, il fait appel à notre propre conscience contre tout ce qui construit nos enfers modernes : solitude, racisme, mépris, indifférence (humaine ou religieuse), sectarisme… Non ! Dieu ne supporte pas la souffrance en laquelle nous nous défaisons, en laquelle nous brisons l’image dont il nous avait marqué au matin de sa création…

Aussi, le Christ, avant de remonter vers son Père, après avoir régénéré, par sa mort et sa résurrection, l’œuvre de ses mains, bénit ses apôtres, comme le Créateur avait béni le premier homme en lui assignant cette mission : “Soyez féconds, emplissez la terre ; soumettez-là !“. Cette fois, le Christ nous dit : “Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre…“ (Mth 28.18) ; “c’est vous qui en êtes les témoins“. Car “celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais ; il en fera même de plus grandes“ (Jn 14.12).

Et la plus grande de toutes, n’est-ce pas de conduire nos frères à “découvrir, à connaître vraiment le Dieu de Notre Seigneur Jésus Christ“. Le Christ nous remet, à nouveau, la destinée de cette terre déjà confiée autrefois au premier homme pour qu’il la conserve et l’embellisse par son travail. Il nous charge maintenant d’achever sa création nouvelle issue de sa mort et de sa résurrection jusqu’à ce qu’il revienne, clôturer la phase temporelle du Royaume de Dieu et lui donner sa forme éternelle.

Aussi, entre l’Ascension et le retour définitif du Christ, il nous incombe de rendre le Christ présent au monde par la transmission de son message et le renouvellement de ses gestes : bénir, offrir, consacrer, pardonner, accueillir. Le Christ s’en est allé exercer son sacerdoce devant le trône du Père où il intercède désormais pour nous éternellement. Mais son sacerdoce, il a donné de l’exercer de façons diverses, en son absence sensible, à ceux qui veulent bien coopérer à son œuvre salvatrice : à ses prêtres, bien sûr, d’une manière tout à fait unique et privilégiée, à ses religieux, religieuses, à tous les laïcs qui vivent dans la fidélité au Christ et à son Evangile.

Mais, pour cela, nous avons la force de notre baptême qui est participation vitale à la mort du Christ pour ressusciter déjà avec lui.

“Que les yeux de votre cœur, dit encore St Paul, soient remplis de la lumière de Dieu pour comprendre “l’espérance que donne son appel“ !

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