3ème
Semaine de Pâques - Lundi 2014
Après
la multiplication des pains, dans son appétit de nourriture terrestre, la foule
recherche Jésus pour quémander de sa part un nouveau miracle ! Naturellement ! C'est
quand même facile et agréable de recevoir du pain en abondance et sans travail.
Notre Seigneur semble ne pas avoir répondu à leur sollicitation, alors que le
contexte social de son époque - il faut le souligner - provoquait une grande
pauvreté dans le peuple !
N'avons-nous
pas, parfois, nous, gens d'église (religieux et clergé confondus), cette même
appétence pour recevoir gratuitement de la bonté des chrétiens qui cherchent à
agir "au nom du Christ" ?
Je
suis toujours resté interrogatif sur ce sujet depuis mon enfance. Non loin de
chez mes parents, il y avait un monastère de clarisses. Et les Sœurs de
l'extérieur allaient régulièrement de maison en maison quêter pour les
"pauvres Clarisses" (comme l'on disait) de quoi vivre, subsister ! Ma mère donnait
très modestement ; elle ne pouvait faire autrement. Les Sœurs quêteuses
remerciaient avec la formule habituelle : "Dieu
vous le rendra" ! Et la porte fermée, ma mère m'expliquait : "elles prient pour nous ; c'est
notre devoir de les aider !". Raisonnement qui pouvait être compris
en terre chrétienne !
Cependant,
cette façon de faire pouvait provoquer des abus ! Un jour, allant à la chapelle
des Clarisses - était-ce une veille de fête, je ne sais -, je fus très étonné
de voir arriver à la porterie du monastère des présents alimentaires ou autres
que mes propres parents ne pouvaient absolument pas s'offrir ! Ma sensibilité, dans
un sentiment exacerbé d'une "justice distributive" propre à la
jeunesse, en fut heurtée ; et mon incompréhension faillit me détourner de
Dieu. Malheureusement, je pourrais donner bien des exemples encore plus
inadmissibles !
Difficile
sujet,
à n'en point douter surtout pour un enfant ou pour des incroyants. Je crois,
d'ailleurs, que les Clarisses ne pratiquent plus cette façon de faire depuis
longtemps !
St
Paul ne dit-il pas : "celui qui ne
travaille pas, qu'il ne mange pas non plus !" (2 Th. 3.10).
Certes,
Notre Seigneur dira, lui, que "tout
travailleur - et l'évangélisation est un travail - mérite salaire" (Lc 10.7).
Mais
ne faut-il pas retenir surtout, comme l'a souligné récemment le pape François,
cette injonction de Jésus à ses apôtres : "Donnez-leur
vous-mêmes à manger !" (Mth 14.16).
Mais
de quel pain s'agit-il ?
Oh
! Certes, et heureusement, au cours de l'histoire et aujourd'hui encore, bien
des religieux, prêtres, chrétiens ont consacré, consacrent leur vie pour venir
en aide aux plus défavorisés. De cela, j'en fus témoin également au cours de ma
jeunesse ; et ce fut pour moi un facteur d'une meilleure compréhension de cette
fameuse "justice distributive"...
Mais
de quel pain s'agit-il encore ?
Car
nous le savons, la pensée de Jésus évoluait toujours dans la dimension
verticale de signification. Pour lui, l'échelle de Jacob était toujours dressée
entre ciel et terre. Le signifié était pour lui plus important, plus réel que
le signifiant. Ainsi, le vent, c'est l'Esprit ; l'eau, c'est l'eau vive ; le
vin (aux
noces de Cana),
c'est le sang du sacrifice ; les noces elles-mêmes, c'est l'Alliance avec Dieu
!
Et
l'évangile d'aujourd'hui nous invite à entrer dans la compréhension de ce que
Jésus appelle le "pain" : "Ne
travaillez pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui se
garde jusque dans la Vie éternelle !"
A
Samarie, quand les apôtres reviennent le retrouver au bord du puits, en
rapportant des provisions et l’invitent à manger, Jésus dit : "j’ai une
nourriture que vous ne connaissez pas, c’est de faire la volonté de Celui
qui m’a envoyé !". Le "pain" pour Jésus, c’est d’abord
la Volonté de Dieu telle qu’elle se manifeste au long de l’existence. Le véritable
"pain" dont il faut savoir se nourrir, c'est chercher sans
cesse à faire la volonté de Dieu !
Lors
de sa première tentation, Jésus n'avait-il pas répondu à Satan : "l’homme
ne vit pas seulement de pain, mais de ce qui sort de la bouche de Dieu
!".
Pour
comprendre l’expression "ce qui sort de la bouche de Dieu",
il faut se reporter à ce qui est dit dans le livre des Nombres : "Le
jour où l'on avait dressé la Demeure, la Nuée avait couvert la Demeure. Lorsque
la Nuée s'élevait au-dessus de la Tente, alors les Israélites levaient le camp.
Les Israélites partaient sur l'ordre du Seigneur ; et sur son ordre,
ils campaient… Sur l'ordre de Dieu
ils campaient, et sur l'ordre de Dieu ils partaient. Ils rendaient leur culte au Seigneur, suivant
les ordres de Dieu transmis par Moïse". (Cf. Nb 9,15-23).
“Sur
l’ordre de Dieu“ ! Littéralement en
hébreu : “sur la bouche de Dieu“
("Al pi adonaï"), et cela par l’intermédiaire de Moïse. On pourrait
dire que Moïse parlait "sur la
bouche de Dieu".
Ainsi Jésus disait : l'homme doit vivre "de ce qui sort de la bouche de Dieu
!" Voilà le "pain" que Dieu propose toujours. Or Lui, Jésus,
"Verbe de Dieu", n'est
qu'une Parole "sur la bouche de
Dieu", de Dieu son Père qui ne cesse de nous dire : "Ecoutez-le !". Voilà le
"Pain" pour la Vie éternelle !
“Sur
l’ordre de Dieu“ ! Cette expression
peut facilement être transposée, surtout en ce temps pascal où la liturgie nous
rappelle les premiers discours des apôtres. Quand Pierre parle - ou l’un de ses
successeurs - n’est-ce pas "sur la
bouche de Dieu" qu’il parle ? Manger le “Pain de Dieu“,
n’est-ce pas chercher à obéir aux ordres de Dieu transmis par Celui que Dieu a
envoyé dans le monde, Jésus, et par ceux qui ont reçu mission de parler “sur la bouche de Dieu“ ?
Certes, il faut se nourrir du "pain de
la terre", d'une manière ou d'une autre, d'une manière aussi noble que
possible !
Mais il faut se nourrir surtout du "Pain
du ciel", de la Parole de Dieu, ce que rappelait Dieu à son prophète
quelque peu original, Ezéchiel. "Je
regardai, disait-il : une main était
tendue vers moi, tenant un livre enroulé... Le Seigneur me dit : "Fils
d'homme, mange-le, mange ce rouleau. Ensuite tu iras parler à la Maison
d'Israël". J'ouvris la bouche et il me fit manger ce rouleau... Je le
mangeai ; il fut dans ma bouche d'une douceur de miel. Il me dit : "Fils
d'homme, va, rends-toi auprès de la Maison d'Israël ; et parle-leur avec mes
paroles...!" (Ez.
2.9 sv).
Par le baptême déjà, chacun est constitué "prophète de Dieu". Il nous
faut donc "manger" la Parole de Dieu pour savoir parler "sur la bouche de Dieu".
Quelle responsabilité !
St Jean insistera : cette "Parole de
Dieu", le "Verbe de Dieu" s'est fait chair ! Et cet évangéliste
qui ne rapporte pas l'institution de l'Eucharistie lors de la Cène, nous
transmet cependant après la multiplication des pains, dans son célèbre discours
dur le "Pain de Vie", cette fameuse phrase : "Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle ! Et
moi je le ressusciterai au dernier jour" (Jn 6.54).
Il faut savoir, une fois pour toutes que le
mot "chair" (ou le mot "sang" - ou plutôt les deux à la
fois) désigne toute la réalité de l'humanité d'un homme. Il faut nous unir à
Jésus, vrai homme, qui s’est anéanti par amour pour nous jusqu’à donner
sa “chair“, c'est-à6dire toute la réalité de son humanité, en
mourant sur la croix, pour que nous puissions “toucher“ à la réalité de sa
divinité et participer ainsi à sa VIE divine. Voilà l’objet du “Discours
après la multiplication des pains“ dans l’évangile de Jean.
Ainsi, le premier, le seul “Signe“
comme dit St Jean qui contient cette VIE plénière, éternelle, n’est-ce pas
Lui, Jésus, "Pain" “ descendu
du ciel“,
Lui, le Fils de Dieu, le "Verbe de
Dieu" qui a “pris chair“,
Lui qui, en sa personne, relie ciel et
terre, l’homme et Dieu ?
Aussi nous faut-il d’abord croire à
cette réalité “charnelle“ du Fils de Dieu pour participer à sa réalité
“divine“ : “L’œuvre de Dieu, répond
Jésus à ses apôtres, c’est de croire
en Celui qu’il a envoyé“ (6.29).
Aussi, le Christ continue de nous donner,
par l’Eucharistie, toute son humanité pour que nous puissions toucher sa
divinité et en vivre !
Oui, ce mystère de l’Alliance entre Dieu et
l’homme, ce mystère d’union de Dieu avec l’homme, réalisé par le Christ, est
comme “actualisé“ pour nous, à travers les siècles, par l’Eucharistie. – “Que ce mystère est grand !",
s’écrie St Paul (Eph.
5.32).
Pour résumer, on peut dire : par notre
incorporation au Corps du Christ, à son humanité, notre existence a un
double aspect comme pour le Christ lui-même !
Il y a le "pain" des hommes,
le pain de la terre (multiplication des pains)
et le "Pain" de Dieu, le
"Pain" du ciel (descendu
du ciel comme la manne autrefois) pour que nous puissions nous alimenter et
VIVRE véritablement, pleinement !
“L’œuvre
de Dieu,
dit Jésus, c’est de croire en Celui qu’il a envoyé !“. Croyez en
mes paroles, croyez en mes œuvres, croyez en toute mon humanité qui
permet d’accéder à ma divinité et vous aurez la VIE !
Il nous faut manger la "Parole de
Dieu", comme Ezéchiel
Pour mieux accueillir le Christ
"Parole de Dieu", "Verbe de Dieu".
Il est le "Pain des anges", le
"Pain du ciel" pour notre nourriture d'ici-bas afin de parvenir à la
Vie, la Vie éternelle !
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