lundi 26 mai 2014

Lydie, Patronne de l'Europe !

Pâques 6 Lundi -                        Ac 16, 11-1

Avec la lecture d’aujourd’hui, nous rejoignons Paul, Silas et Timothée partis d’Antioche de Syrie pour un deuxième "grand voyage missionnaire".
Silas était un des émissaires envoyé de Jérusalem à Antioche après le Concile dit "de Jérusalem". Paul l’avait adopté pour compagnon après son désaccord avec Barnabé au sujet de Jean Marc (vous pouvez vous reporter aux Actes…).
Quant à Timothée, il l’avait pris en repassant à Lystres. Timothée, qui avait bonne réputation, devint son disciple préféré. Son père était grec, mais sa mère juive, pieuse : “J'évoque le souvenir de la foi sans détours qui est en toi, foi qui, d'abord, résida dans le cœur de ta grand-mère Loïs et de ta mère Eunice et qui, j'en suis convaincu, réside également en toi“. (2 Tm 1,5).

L’Esprit-Saint les pousse vers la Macédoine, vers l’Europe… ! Paul en rêve (le fameux "rêve du Macédonien" que Paul raconte !)… Ils s’embarquent à Troas, passent près de l’île de Samothrace et débarquent à Néapolis. Ils ne s’y arrêtent pas et gagnent immédiatement Philippes, ville de garnison romaine.

C’est là, à Philippes, que fut fondée la première communauté chrétienne d’Europe, à laquelle Paul adressera plus tard sa "lettre aux Philippiens", la plus personnelle peut-être des lettres de l'apôtre.
On parle beaucoup de l’Europe ces jours-ci ! Aussi, il serait bon que nous, chrétiens, nous nous attardions quelques instants sur cette "première Eglise chrétienne d’Europe" et sur les circonstances de sa fondation.

Il n’y avait pas suffisamment de juifs à Philippes pour qu’on y trouve une synagogue. La prière synagogale suppose la réunion de dix familles au minimum ! (C'est sans doute la raison pour laquelle l'intercession d'Abraham en faveur de Sodome et Gomorrhe s'arrête au nombre de "dix justes" que l'on pourrait trouver en cet endroit funeste !).

Aussi, le jour du Shabbat, Paul et ses compagnons retrouvent quelques compatriotes au bord de la rivière, là où ces quelques Juifs avaient sans doute pris l’habitude de faire la prière. Paul s’adressa aux femmes qui étaient réunies.

Au passage, il faut faire hommage à ces femmes juives qui furent les premières à recevoir l’Evangile en Europe.
Il y avait parmi elles, une certaine Lydie qui faisait du commerce de pourpre (profession qui suppose une certaine aisance de vie). Elle était originaire de Thyatire et faisait partie des “Craignants Dieu“, séduites par le judaïsme si elles ne s’étaient pas encore intégrées au peuple élu. Notons une fois de plus que c’est aux juifs que Paul s’adresse toujours en premier lieu : La Bonne Nouvelle est d’abord pour vous“, avait dit St Pierre dès le lendemain de la Pentecôte.

Vous avez certainement remarqué la phrase qui parle de la conversion de Lydie. "Le Seigneur lui ouvrit le cœur, de sorte qu’elle s’attacha aux paroles de Paul".
En relisant cette phrase, je me fais souvent cette réflexion : Certes, la présentation que l’on peut faire du message évangélique est importante : catéchèse adaptée, langage et message particuliers pour tel ou tel milieu social… avec explications littéraires, historiques, théologiques etc.. Et c’est bien ! Cependant il me semble que si l’Evangile est annoncé dans sa simplicité - lire la Parole de Dieu et la relire -, non seulement l’Evangile a en lui-même une puissance insoupçonnée de conviction sur celui qui l'accueille, mais, surtout ce lecteur ou auditeur profite d’une sorte de complicité de l’Esprit Saint qui "ouvre le cœur"  et l'interpelle d’une manière personnelle, souvent imprévisible. La Parole de Dieu obtient ainsi plus facilement et plus efficacement des résultats auxquels ne parviennent pas toujours les “préparations“, les “parcours“ les mieux adaptés…, les explications diverses...

Et c’est sans doute ce qui arriva à Lydie : “Elle était tout oreilles ; car le Seigneur lui avait ouvert le cœur….

Toute parole proférée est d'abord un appel vers l'autre, avant même d'exprimer un contenu déterminé. Elle provoque à sortir de soi-même et à se tourner vers celui qui parle. Contrairement à ce que l'on est tenté de penser, le fruit d'un dialogue ne dépend pas d'abord du fait que la parole prononcée soit comprise ou non, mais il dépend essentiellement de la manière dont l'interlocuteur s'apprête, dès le départ, à l'accueillir.

Et ce que disent là des philosophes, psychologues de la parole humaine est vraie également de la Parole de Dieu. Le salut que Dieu nous offre par sa Parole ne s'obtient effectivement qu'en l'accueillant avec humilité et simplicité, comme un enfant, dira Notre Seigneur (Cf. Mth 18.3; Mc 10.15).

Il ne suffit pas que les cieux répandent leurs bénédictions : rosée, pluie, neige. Il faut encore que la terre, pour devenir féconde, s'y ouvre : "Aperiatur terra ! Que la terre s'entrouve !", s'écriait Isaïe (45.8).
"Ephpheta" - "Ouvre-toi !", dira Jésus au sourd-muet qu'il s'apprêtait à guérir (Mc 7.34). Et ce n'est sans doute pas par hasard que cette parole du Seigneur nous a été transmise en araméen : le Christ a du la prononcer avec un accent si impressionnant et en l'accompagnant de gestes si frappants que les auditeurs n'ont jamais pu l'oublier. Et en prononçant cet impératif souverain, Jésus pensait au pauvre "sourd-muet", mais aussi à tous ceux qui, par l'écoute docile de sa parole, s'ouvriraient à l'appel de Dieu.

Et le lieu de cette écoute, c'est le "cœur" au sens biblique du mot, c'est à dire toute la personne dont le cœur est le symbole. La semence de la Parole divine ne peut donner du fruit au centuple que reçue par un "cœur noble et bon", dira St Luc, par un cœur qui la garde et qui lui permet de la mûrir par la patience (Lc  18.15). En employant la formule "en kardia kalê kai agathê" - "dans un coeur noble et bon" -, St Luc, fin lettré, reprend là l'idéal de vie et d'éducation cher aux anciens Grecs. Le "gentleman" grec était un "kalosagathos", un homme beau, noble et bon !

Et au "cœur noble et bon" s'oppose un "cœur endurci, impénitent" (Rm 2.5), "incirconcis" (Lv 26.41 ; Jr 9.25 ; Ez. 44.7,9 ...),  un cœur insensible aux manifestations de la volonté salvifique de Dieu. Un "cœur dur" "trouve dure" la Parole divine. Pour beaucoup de disciple de Jésus, sa promesse de l'Eucharistie fut une "parole dure" : "Cette parole est dure ; qui peut l'entendre ?" (Jn 6.60). Non point que la promesse du Christ eût été vraiment dure, mais ces auditeurs eux-mêmes étaient "durs" de cœur, incapables de lui faire confiance... - St Augustin, conscient d'avoir à attendre de Dieu qu'il ouvre son propre cœur, s'écrira : "Voici les oreilles de mon cœur devant toi, Seigneur ; ouvre-les !" (Conf 1.5).

Ce fut certainement cette qualité de cœur qui permit à Lydie de s'ouvrir à Dieu par l'intermédiaire de Paul. Elle avait ce "cœur noble et bon" dont parle Luc. Ce qui ne l'empêchait nullement d'avoir, au demeurant, un tempérament assez fort et décidé. St Luc le souligne avec grande finesse et humour. Il n’était pas dans l’habitude de Paul et de ses compagnons de se faire “entretenir“ si je puis dire. Paul, plus tard, aura la fierté d’affirmer qu’il travaillait de ses mains pour subvenir à ses besoins. Mais, semble dire St Luc, Lydie s’y prit si bien et avec une telle insistance que Paul et ses compagnons allèrent loger chez elle ! Et ce “gentleman“ qu’est Luc d’ajouter laconiquement non sans humour : Que l’on nous excuse ! Que voulez-vous ! “Elle nous y contraignit !“. On n’a pas pu faire autrement ! (“Ce que femme veut, Dieu le veut !“, dit-on ! Ce n’est pas toujours vrai quand même ; mais là, semble dire St Luc, ce fut le cas !).


Finalement, il serait souhaitable qu’on commémore cette première Communauté chrétienne d'Europe qui se fonde dans la maison de Lydie, la marchande de pourpre. Prions pour l'Europe, prions avec Lydie ! Sans que ce soit officielle, on pourrait prier ainsi : "Sainte Lydie, patronne de l'Europe, priez pour nous !"

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