Pâques 6 Lundi - Ac 16, 11-1
Avec la lecture
d’aujourd’hui, nous rejoignons Paul, Silas et Timothée partis d’Antioche de
Syrie pour un deuxième "grand voyage missionnaire".
Silas était un des
émissaires envoyé de Jérusalem à Antioche après le Concile dit "de
Jérusalem". Paul l’avait adopté pour compagnon après son désaccord avec
Barnabé au sujet de Jean Marc (vous pouvez vous reporter aux Actes…).
Quant à Timothée,
il l’avait pris en repassant à Lystres. Timothée, qui avait bonne réputation, devint
son disciple préféré. Son père était grec, mais sa mère juive, pieuse : “J'évoque
le souvenir de la foi sans détours qui est en toi, foi qui, d'abord, résida
dans le cœur de ta grand-mère Loïs et de ta mère Eunice et qui, j'en suis
convaincu, réside également en toi“. (2 Tm 1,5).
L’Esprit-Saint les
pousse vers la Macédoine, vers l’Europe… ! Paul en rêve (le fameux "rêve
du Macédonien" que Paul raconte !)… Ils s’embarquent à Troas, passent près de
l’île de Samothrace et débarquent à Néapolis. Ils ne s’y arrêtent pas et
gagnent immédiatement Philippes, ville de garnison romaine.
C’est là, à
Philippes, que fut fondée la première communauté chrétienne d’Europe, à laquelle Paul
adressera plus tard sa "lettre aux Philippiens", la plus personnelle
peut-être des lettres de l'apôtre.
On parle beaucoup de l’Europe ces
jours-ci ! Aussi, il serait bon que nous, chrétiens, nous nous attardions quelques
instants sur cette "première Eglise chrétienne d’Europe" et sur
les circonstances de sa fondation.
Il n’y avait pas suffisamment de
juifs à Philippes pour qu’on y trouve une synagogue. La prière synagogale suppose
la réunion de dix familles au minimum ! (C'est sans doute la raison pour laquelle l'intercession d'Abraham
en faveur de Sodome et Gomorrhe s'arrête au nombre de "dix justes"
que l'on pourrait trouver en cet endroit funeste !).
Aussi, le jour du
Shabbat, Paul et ses compagnons retrouvent quelques compatriotes au bord de la
rivière, là où ces quelques Juifs avaient sans doute pris l’habitude de faire
la prière. Paul s’adressa aux femmes qui étaient réunies.
Au passage, il
faut faire hommage à ces femmes juives qui furent les premières à recevoir
l’Evangile en Europe.
Il y avait parmi
elles, une certaine Lydie qui faisait du commerce de pourpre (profession qui
suppose une certaine aisance de vie). Elle était originaire de Thyatire et
faisait partie des “Craignants Dieu“, séduites par le judaïsme si elles ne
s’étaient pas encore intégrées au peuple élu. Notons une fois de plus que c’est
aux juifs que Paul s’adresse toujours en premier lieu : “La Bonne Nouvelle est d’abord pour vous“, avait dit St
Pierre dès le lendemain de la Pentecôte.
Vous avez certainement remarqué
la phrase qui parle de la conversion de Lydie. "Le Seigneur lui
ouvrit le cœur, de sorte qu’elle s’attacha aux paroles de Paul".
En relisant cette
phrase, je me fais souvent cette réflexion : Certes, la présentation que
l’on peut faire du message évangélique est importante : catéchèse adaptée,
langage et message particuliers pour tel ou tel milieu social… avec explications
littéraires, historiques, théologiques etc.. Et c’est bien ! Cependant il
me semble que si l’Evangile est annoncé dans sa simplicité - lire la Parole de
Dieu et la relire -, non seulement l’Evangile a en lui-même une puissance
insoupçonnée de conviction sur celui qui l'accueille, mais, surtout ce lecteur
ou auditeur profite d’une sorte de complicité de l’Esprit Saint qui "ouvre
le cœur" et l'interpelle d’une manière
personnelle, souvent imprévisible. La Parole de Dieu obtient ainsi plus
facilement et plus efficacement des résultats auxquels ne parviennent pas toujours
les “préparations“, les “parcours“ les mieux adaptés…, les explications
diverses...
Et c’est sans doute
ce qui arriva à Lydie : “Elle
était tout oreilles ; car le Seigneur lui avait ouvert le cœur…“.
Toute parole
proférée est d'abord un appel vers l'autre, avant même d'exprimer un
contenu déterminé. Elle provoque à sortir de soi-même et à se tourner vers
celui qui parle. Contrairement à ce que l'on est tenté de penser, le fruit d'un
dialogue ne dépend pas d'abord du fait que la parole prononcée soit comprise ou
non, mais il dépend essentiellement de la manière dont l'interlocuteur
s'apprête, dès le départ, à l'accueillir.
Et ce que disent là
des philosophes, psychologues de la parole humaine est vraie également de la
Parole de Dieu. Le salut que Dieu nous offre par sa Parole ne s'obtient
effectivement qu'en l'accueillant avec humilité et simplicité, comme un enfant,
dira Notre Seigneur (Cf.
Mth 18.3; Mc 10.15).
Il ne suffit pas
que les cieux répandent leurs bénédictions : rosée, pluie, neige. Il faut encore
que la terre, pour devenir féconde, s'y ouvre : "Aperiatur terra ! Que la terre s'entrouve !", s'écriait
Isaïe (45.8).
"Ephpheta"
- "Ouvre-toi !", dira Jésus
au sourd-muet qu'il s'apprêtait à guérir (Mc 7.34). Et ce n'est sans doute pas par
hasard que cette parole du Seigneur nous a été transmise en araméen : le Christ
a du la prononcer avec un accent si impressionnant et en l'accompagnant de
gestes si frappants que les auditeurs n'ont jamais pu l'oublier. Et en
prononçant cet impératif souverain, Jésus pensait au pauvre
"sourd-muet", mais aussi à tous ceux qui, par l'écoute docile de sa
parole, s'ouvriraient à l'appel de Dieu.
Et le lieu de cette
écoute, c'est le "cœur" au sens biblique du mot, c'est à dire toute
la personne dont le cœur est le symbole. La semence de la Parole divine ne
peut donner du fruit au centuple que reçue par un "cœur noble et bon", dira St Luc, par un cœur qui la
garde et qui lui permet de la mûrir par la patience (Lc 18.15). En employant la formule "en kardia kalê kai agathê" -
"dans un coeur noble et bon" -, St Luc, fin lettré, reprend là
l'idéal de vie et d'éducation cher aux anciens Grecs. Le "gentleman"
grec était un "kalosagathos", un homme beau, noble et bon !
Et au "cœur noble et bon" s'oppose
un "cœur endurci, impénitent"
(Rm
2.5), "incirconcis" (Lv 26.41 ; Jr 9.25
; Ez. 44.7,9 ...), un cœur insensible aux manifestations de la
volonté salvifique de Dieu. Un "cœur dur" "trouve dure" la
Parole divine. Pour beaucoup de disciple de Jésus, sa promesse de l'Eucharistie
fut une "parole dure" : "Cette
parole est dure ; qui peut l'entendre ?" (Jn 6.60). Non point que la
promesse du Christ eût été vraiment dure, mais ces auditeurs eux-mêmes étaient
"durs" de cœur, incapables de lui faire confiance... - St Augustin,
conscient d'avoir à attendre de Dieu qu'il ouvre son propre cœur, s'écrira : "Voici les oreilles de mon cœur devant
toi, Seigneur ; ouvre-les !" (Conf 1.5).
Ce fut certainement cette qualité
de cœur qui permit à Lydie de s'ouvrir à Dieu par l'intermédiaire de Paul. Elle
avait ce "cœur noble et bon"
dont parle Luc. Ce qui ne l'empêchait nullement d'avoir, au demeurant, un
tempérament assez fort et décidé. St Luc le souligne avec grande finesse et
humour. Il n’était pas dans l’habitude de Paul et de ses compagnons de se faire
“entretenir“ si je puis dire. Paul, plus tard, aura la fierté d’affirmer qu’il
travaillait de ses mains pour subvenir à ses besoins. Mais, semble dire St Luc,
Lydie s’y prit si bien et avec une telle insistance que Paul et ses compagnons allèrent
loger chez elle ! Et ce “gentleman“ qu’est Luc d’ajouter laconiquement non
sans humour : Que l’on nous excuse ! Que voulez-vous ! “Elle nous y contraignit !“.
On n’a pas pu faire autrement ! (“Ce que
femme veut, Dieu le veut !“, dit-on ! Ce n’est pas toujours vrai
quand même ; mais là, semble dire St Luc, ce fut le cas !).
Finalement, il serait souhaitable
qu’on commémore cette première Communauté chrétienne d'Europe qui se
fonde dans la maison de Lydie, la marchande de pourpre. Prions pour l'Europe,
prions avec Lydie ! Sans que ce soit officielle, on pourrait prier ainsi : "Sainte Lydie, patronne de l'Europe,
priez pour nous !"
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