dimanche 25 mai 2014

Départ et retour !

6ème Dimanche de Pâques 2014

"Avant de passer de ce monde à son Père ..."

Jésus fait ses adieux, et jamais l’expression ne semble pas avoir été aussi vraie : il s'en va vers Dieu, son Père. Il fait "ses dernières recommandations", comme on dit ; il confie ses "dernières pensées", celles qui spontanément viennent plus du cœur que de l'esprit.

Il y a sans doute peu de passages d'Evangile où l'intensité dramatique se noue avec une pareille intériorité : "Je m’en vais, je reviens". Drame du départ et du retour, drame d'absence et de présence : "Je m’en vais ... mais je ne vous laisserai pas orphelins. Je reviens".

"Ne soyez donc pas tristes ! Sous peu je serai de nouveau avec vous !"
Il ne s'agit pas d'une consolation facile ! Les paroles de Jésus sont d'une autre portée et d'une autre qualité : Il n'est pas encore parti qu'il revient déjà. "Je reviens" ! Ce présent est d'une actualité vibrante. Il revient d’une présence illimitée dans le temps et dans l'espace, il s'agit d'une présence universalisée et non plus localisée.

Oui, Jésus ne quitte les siens qu’en apparence pour aussitôt, au lendemain du drame du triomphe pascal, les rejoindre selon un nouveau mode de présence, inapparent, certes, mais aussi réel et plus profond que celui d'avant.

Jésus, en effet, avait vécu plusieurs années au côté de ses amis, dans cette relation difficile que nous connaissons bien et que nous vivons tous, les uns avec les autres. Notre communication, notre communion est souvent gênée par les imperfections et les trahisons du langage, par les limites de l'intelligence et du regard ; on ne parvient pas à percer les écrans de la chair. C'est ce qui fait qu'on se comprend parfois si mal.
Moi qui vous parle en ce moment, je peux dire avec un peu d'humour :
"Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis,
entre ce que vous avez envie d'entendre, ce que vous croyez entendre, ce que vous entendez,
entre ce que vous avez envie de comprendre, ce que vous croyez comprendre, ce que vous comprenez,
 il y a au moins dix possibilités qu'on ait des difficultés à communiquer véritablement !"

Ainsi, que de scènes de l'Evangile pour attester ces dialogues de sourds entre Jésus et ses interlocuteurs, même ses disciples ! Que de fois, Jésus leur dit : "Mais vous ne comprenez donc pas ?".La Vierge Marie elle-même paraissait parfois ne deviner son Fils qu’au travers de quelques traits de lumière au cœur de l'obscurité.

Aujourd'hui, Jésus leur annonce - aussi clairement que possible - son départ charnel, mais en vue d'un retour en profondeur qu'ils ont peine à comprendre : il revient en Esprit, son Esprit : "D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant et vous vivrez". A sa présence à leur côté, il va substituer sa présence au dedans d'eux. Ainsi, la communication, toujours piégée par le relais déformant des sens, va bientôt revêtir la liberté de la communion intérieure.  Alors, "vous me percevrez vivant en vous et vous vivrez de moi", leur dit-il.

Et il est incontestable que la surprenante transformation que nous observons chez les Apôtres, après les événements de Pâques et de Pentecôte, tient à ce nouveau type de présence du Christ vivant en eux, les faisant passer de l'obscurité à la lumière et à la connaissance, de l'hésitation à l’action apostolique, de la peur au courage du martyr.

Et c'est aussi de cela que va naître, que naît l'Eglise !
Car le groupe d'amis, groupé autour de Jésus qu'ils reconnaissaient comme un prophète, un maître et un futur roi dont ils seraient ministres ..., ce groupe d'amis, vivant en eux-mêmes de la présence du Christ par son Esprit, devient une communauté qui déborde et témoigne d'amour et d'espérance en vue d'un Royaume au-delà des nations et de leur politique.
Et c'est à travers ces hommes, et leurs héritiers, à travers leur communauté et le peuple qu'elle engendre, que désormais le Christ agit dans le monde. L'Eglise est née ! Et quelles que soient les vicissitudes des temps et des cultures, quelles que soient les ombres qui traversent son histoire, l'Eglise continue de véhiculer la Parole du Christ, de susciter des témoins de sa présence, et de souffler sur le monde un vent d’espérance et de fraternité universelle.

Ainsi - nous l’avons entendu dans la première lecture - la présence de l'Esprit du Christ au sein de son Eglise a forgé des gens comme Philippe pour les envoyer partout et jusque parmi ces Samaritains méprisés, afin de les intégrer, eux aussi, par la foi, le baptême et l'imposition des mains, à la grande Famille chrétienne qui veut témoigner de la présence du Christ en tous temps et espaces !

Ainsi, nous affirme St Jean, la présence de l'Esprit de Jésus Christ au cœur de l'Eglise fait surgir des témoins capables de rendre compte de leur foi jusqu'au martyr.  St Pierre, dans la seconde lecture, vient de s'en faire l’écho : certes, c’est "avec douceur et respect", dit-il, que le disciple du Seigneur doit sans cesse "rendre compte de l'espérance qui est en lui" ; mais Pierre ajoute qu'à l'exemple du Maître il doit être prêt à souffrir l'injustice plutôt que d'y consentir. Et c'est bien en ce sens que prochainement nous fêterons à Chateau-du-Loir St Siméon Berneux, martyr (2ème centenaire), premier missionnaire en Corée actuelle

Telle fut donc l’action de l'Eglise naissante dans le monde, de l'Eglise animée par la puissance de l'Esprit, cette nouvelle forme de présence du Christ, présence qui se prolonge jusqu’à nous.

Oui, aujourd'hui, Jésus vient. "Il revient" toujours. Il vient à nous comme s'il n’en finissait pas de venir, de se présenter encore, de "frapper à la porte" : une proposition de dialogue sans cesse répétée qui attend une réponse vraie, car il n'y a pas de présence sans mouvement de conscience de l’un à l’autre, sans le sentiment d'être l'un à l’autre, l’un pour l’autre.

Mais alors, se pose à nous également une terrible question : l'Eglise des Apôtres qui manifestaient la présence incessante du Christ dans le monde, trouve-t-elle vraiment son reflet et son prolongement en la vie de chacun d'entre nous et, de ce fait, dans l'assemblée des chrétiens d'aujourd'hui ?

Il revient à chacun de nous, pour son propre compte, de répondre à cette redoutable question. Et c’est St Jean qui nous aide à répondre lorsqu'il affirme que le monde est incapable de recevoir l'Esprit du Christ. "Ce monde" de St Jean, c'est le monde du péché, caractérisé par l'épaisseur de sa suffisance et de son égoïsme, empoisonné par un climat d'erreur et d’orgueil, ouvert à une disposition psychologique et morale qui ferme l'homme sur lui-même, préoccupé des plaisirs matériels dont il fait une de ses préoccupations majeures. Oui, ce monde ne peut connaître Dieu !

Mais alors, sommes-nous de ce monde, oui ou non ?

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