6ème
Dimanche de Pâques 2014
"Avant de passer de ce monde à son
Père ..."
Jésus fait ses adieux, et jamais
l’expression ne semble pas avoir été aussi vraie : il s'en va vers Dieu,
son Père. Il fait "ses dernières recommandations", comme on dit ; il
confie ses "dernières pensées", celles qui spontanément viennent plus
du cœur que de l'esprit.
Il y a sans doute peu de passages
d'Evangile où l'intensité dramatique se noue avec une pareille intériorité : "Je m’en vais, je reviens".
Drame du départ et du retour, drame d'absence et de présence : "Je m’en vais ... mais je ne vous
laisserai pas orphelins. Je reviens".
"Ne
soyez donc pas tristes ! Sous peu je serai de nouveau avec vous !"
Il ne s'agit pas d'une consolation facile !
Les paroles de Jésus sont d'une autre portée et d'une autre qualité : Il n'est
pas encore parti qu'il revient déjà. "Je
reviens" ! Ce présent est d'une actualité vibrante. Il revient
d’une présence illimitée dans le temps et dans l'espace, il s'agit d'une
présence universalisée et non plus localisée.
Oui, Jésus ne quitte les siens qu’en
apparence pour aussitôt, au lendemain du drame du triomphe pascal, les rejoindre
selon un nouveau mode de présence, inapparent, certes, mais aussi réel
et plus profond que celui d'avant.
Jésus, en effet, avait vécu plusieurs
années au côté de ses amis, dans cette relation difficile que nous
connaissons bien et que nous vivons tous, les uns avec les autres. Notre
communication, notre communion est souvent gênée par les imperfections et les
trahisons du langage, par les limites de l'intelligence et du regard ; on ne
parvient pas à percer les écrans de la chair. C'est ce qui fait qu'on se
comprend parfois si mal.
Moi qui vous parle en ce moment, je peux
dire avec un peu d'humour :
"Entre
ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis,
entre
ce que vous avez envie d'entendre, ce que vous croyez entendre, ce que vous
entendez,
entre
ce que vous avez envie de comprendre, ce que vous croyez comprendre, ce que
vous comprenez,
il y a au moins dix possibilités qu'on ait des
difficultés à communiquer véritablement !"
Ainsi, que de scènes de l'Evangile pour
attester ces dialogues de sourds entre Jésus et ses interlocuteurs, même ses
disciples ! Que de fois, Jésus leur dit : "Mais vous ne comprenez donc pas ?".La Vierge Marie
elle-même paraissait parfois ne deviner son Fils qu’au travers de quelques
traits de lumière au cœur de l'obscurité.
Aujourd'hui, Jésus leur annonce - aussi clairement
que possible - son départ charnel, mais en vue d'un retour en profondeur
qu'ils ont peine à comprendre : il revient en Esprit, son Esprit
: "D’ici peu de temps, le monde ne
me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant et vous vivrez". A sa
présence à leur côté, il va substituer sa présence au dedans d'eux. Ainsi, la
communication, toujours piégée par le relais déformant des sens, va bientôt
revêtir la liberté de la communion intérieure.
Alors, "vous me percevrez
vivant en vous et vous vivrez de moi", leur dit-il.
Et il est incontestable que la surprenante
transformation que nous observons chez les Apôtres, après les événements de
Pâques et de Pentecôte, tient à ce nouveau type de présence du Christ vivant en
eux, les faisant passer de l'obscurité à la lumière et à la connaissance, de
l'hésitation à l’action apostolique, de la peur au courage du martyr.
Et c'est aussi de cela que va naître, que naît
l'Eglise !
Car le groupe d'amis, groupé autour de
Jésus qu'ils reconnaissaient comme un prophète, un maître et un futur roi dont
ils seraient ministres ..., ce groupe d'amis, vivant en eux-mêmes de la
présence du Christ par son Esprit, devient une communauté qui déborde et
témoigne d'amour et d'espérance en vue d'un Royaume au-delà des nations et de
leur politique.
Et c'est à travers ces hommes, et leurs
héritiers, à travers leur communauté et le peuple qu'elle engendre, que
désormais le Christ agit dans le monde. L'Eglise est née ! Et quelles que
soient les vicissitudes des temps et des cultures, quelles que soient les
ombres qui traversent son histoire, l'Eglise continue de véhiculer la Parole du
Christ, de susciter des témoins de sa présence, et de souffler sur le monde un
vent d’espérance et de fraternité universelle.
Ainsi - nous l’avons entendu dans la première
lecture - la présence de l'Esprit du Christ au sein de son Eglise a forgé des
gens comme Philippe pour les envoyer partout et jusque parmi ces Samaritains
méprisés, afin de les intégrer, eux aussi, par la foi, le baptême et l'imposition
des mains, à la grande Famille chrétienne qui veut témoigner de la présence
du Christ en tous temps et espaces !
Ainsi, nous affirme St Jean, la présence de
l'Esprit de Jésus Christ au cœur de l'Eglise fait surgir des témoins capables
de rendre compte de leur foi jusqu'au martyr. St Pierre, dans la seconde lecture, vient de
s'en faire l’écho : certes, c’est "avec
douceur et respect", dit-il, que le disciple du Seigneur doit sans
cesse "rendre compte de l'espérance
qui est en lui" ; mais Pierre ajoute qu'à l'exemple du Maître il doit
être prêt à souffrir l'injustice plutôt que d'y consentir. Et c'est bien en ce
sens que prochainement nous fêterons à Chateau-du-Loir St Siméon Berneux,
martyr (2ème centenaire), premier missionnaire en Corée actuelle
Telle fut donc l’action de l'Eglise
naissante dans le monde, de l'Eglise animée par la puissance de l'Esprit, cette
nouvelle forme de présence du Christ, présence qui se prolonge jusqu’à nous.
Oui, aujourd'hui, Jésus vient. "Il
revient" toujours. Il vient à nous comme s'il n’en finissait pas de
venir, de se présenter encore, de "frapper à la porte" : une
proposition de dialogue sans cesse répétée qui attend une réponse vraie, car il
n'y a pas de présence sans mouvement de conscience de l’un à l’autre, sans le
sentiment d'être l'un à l’autre, l’un pour l’autre.
Mais alors, se pose à nous également une
terrible question : l'Eglise des Apôtres qui manifestaient la présence
incessante du Christ dans le monde, trouve-t-elle vraiment son reflet et son
prolongement en la vie de chacun d'entre nous et, de ce fait, dans l'assemblée
des chrétiens d'aujourd'hui ?
Il revient à chacun de nous, pour son
propre compte, de répondre à cette redoutable question. Et c’est St Jean qui
nous aide à répondre lorsqu'il affirme que le monde est incapable de recevoir
l'Esprit du Christ. "Ce monde" de St Jean, c'est le monde du péché,
caractérisé par l'épaisseur de sa suffisance et de son égoïsme, empoisonné par
un climat d'erreur et d’orgueil, ouvert à une disposition psychologique et
morale qui ferme l'homme sur lui-même, préoccupé des plaisirs matériels dont il
fait une de ses préoccupations majeures. Oui, ce monde ne peut connaître Dieu !
Mais alors, sommes-nous de ce monde, oui ou
non ?
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