dimanche 4 mai 2014

Emmaûs !

3ème Dimanche de Pâques 2014  

“Tu es bien le seul à ignorer les événements de ces jours-ci”, disent, tout étonnés, les disciples d'Emmaüs à l'inconnu qui vient de les rejoindre sur la route. Eux, ils n'ignorent pas ces événements. Ils savent. Mais ont-ils compris ? Savoir n’est pas toujours comprendre !

Aussi, ces deux hommes sont désespérés. Car ils n’ont pas encore compris ! Ils ne savent qu’une chose : une fois de plus, sur notre terre, le bien a été vaincu par le mal. Ce prophète qui avait éveillé en eux le meilleur de chacun, ce compagnon des dernières années en qui ils avaient cru reconnaître l’Envoyé de Dieu, ce Jésus a échoué lamentablement.
La logique implacable du mal avait fait son œuvre, comme aujourd'hui encore, dans tous ces attentats meurtriers, ces guerres civiles et tous les conflits divers qui empoisonnent la vie. Que leur reste-t-il sinon de retourner à leur existence monotone, sans avenir, sans vraie joie, sans printemps ?

Et nous, deux mille ans plus tard, avons-nous mieux compris ?
Pour percevoir le sens du Vendredi saint, pour comprendre la lumière qui rayonne de la croix ténébreuse du Golgotha, il faut nous souvenir pour bien comprendre ; il faut nous souvenir, nous aussi, du Jeudi saint, comme ces deux disciples, - une fois réchauffés par la parole de l'inconnu -, le feront dans l'auberge d'Emmaüs ! Il faut se remémorer : La veille de mourir, Jésus prit du pain, le rompit et le donna à ses disciples... C'est à ce geste-là que les disciples d'Emmaüs comprirent et le reconnurent ! - Et nous-mêmes comprenons-nous vraiment ce geste que nous refaisons chaque dimanche, voire chaque jour ?

Le pain rompu au Cénacle la veille de sa mort est bien plus qu'un souvenir laissé par Jésus. Il est la clé de tout. En rompant le pain, Jésus manifeste qu'il sait où il va. Il prend sa vie en main et part à la rencontre de ce mal qui, au jardin des Oliviers, va le terrasser d'angoisse.
Il aimera jusque-là ; il aimera en voulant rejoindre l'homme au plus profond de l'absurde, cette mort, le mal par excellence. Il ne fuira pas ; il continuera à aimer quand le mal s'acharnera. Il ira lui-même, librement, au-devant de la mort. Il n'expliquera pas le mal ; il le remplira de sa présence divine ! "Ma vie, disait-il, personne ne me l'enlève, mais je m'en dessaisis de moi-même !" (Jn 16.18). C'est lui qui offre sa vie avant même qu'on veuille la lui prendre ! Parce que “Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime”, le Jeudi saint, Jésus s'engage à donner sa vie. Quand, le vendredi, les soldats mettent Jésus en croix, il n'y a plus rien à prendre : sa vie est déjà donnée. Avec une grande liberté, il a donné sens à ce qui semblait absurde.

C'est lui qui domine la mort ; ce n'est pas la mort qui le domine, parce que la vie, "j'ai le pouvoir, dit-il encore, de m'en dessaisir ; et j'ai le pouvoir de la reprendre" (Jn 16.16).

Oui, le Jeudi saint permet de comprendre le Vendredi saint. Si Jésus est là, sur la croix, ce n'est pas tant une bavure policière, un échec de plus dans la sombre actualité quotidienne ; c'est bien davantage, déjà, une victoire : celle de l'amour qui rejoint l'homme là où il en est, afin de le guérir totalement..

Les artistes de tous les temps l'ont bien compris, eux qui ont su faire d'un instrument de supplice une œuvre d'art. Dans les premiers temps de l'Eglise, ils ne représentaient pas le Christ souffrant ! Non seulement parce qu'ils savaient, eux, mieux que nous aujourd'hui, l'atrocité d'un crucifié, mais surtout parce qu'ils apercevaient la beauté au cœur même de la souffrance, la lumière dans les ténèbres. Ils devinaient dans le gibet de la croix le trône de l'amour rédempteur. C'est le sens, me semble-t-il, de la croix qui a été récemment érigée en notre cathédrale du Mans.

Les apparitions, celle d'Emmaüs et les autres, permettent de comprendre pourquoi le tombeau était vide. Elles font percevoir que l'histoire d'amour, - cette histoire de charité divine - commencée avec Jésus, se poursuit : “L’amour ne passera pas”, dira St Paul. Jésus n'est plus de ce monde, mais il est toujours avec eux, avec nous : “Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps”.

Et c’est en voyant Jésus prendre à nouveau le pain et le rompre - signe de sa présence, signe de son amour - que les disciples d'Emmaüs comprennent : la vie “se boucle” non pas dans la mort, mais dans un ailleurs, dans un au-delà de la mort, en Dieu. La mort n'a pu garder sa proie, l'amour est plus fort que le mal.
Et du même coup, ils comprennent : s'ils veulent participer à cette victoire, il leur suffit de faire de même, en mémoire de lui : prendre leur vie en main et la donner. Et dire eux aussi : “Prenez, ceci est mon corps, ma vie… livrée par amour !”.

Un jour, Raoul Follereau, l'apôtre des lépreux, visitait une léproserie : des malades étaient là, abandonnés à eux-mêmes, seuls, sans espoir et sans but. Il remarqua cependant l'un d'eux qui avait l'air vivant et heureux. Il chercha à découvrir le secret de son sourire.
C’est alors qu’il vit un petit visage de femme, gros comme le poing, apparaître par-dessus le mur de la léproserie. “C'est ma femme, déclara notre lépreux. Elle n'a pu me soigner au village, mais elle ne m'a pas abandonné pour autant. Chaque jour, elle vient me voir. Par elle, je sais que je suis vivant !”.

Jésus est apparu par-dessus le mur de la mort. Il apparaît chaque jour : “Ceci est mon corps. Prenez. Je suis avec vous… pour vous donner ma vie…!”. Grâce à lui, les disciples savent qu'ils sont vivants, des vivants pour toujours ! Ils peuvent continuer à vivre dans cette “vallée de larmes”, dans ce camp retranché de la mort. Ils ne sont plus seuls. Déjà, le Vivant les anime de sa vie.

Dans l'auberge d'Emmaüs, la vie des deux disciples a basculé. Il fallait tout reprendre à neuf. Et cette relation avec Jésus, le Vivant, va leur donner toutes les audaces. Avec lui, ils suivront le même chemin, celui qui traverse la mort pour rencontrer la Vie. Ils mettront leurs pas dans les pas de celui qui a fait une brèche dans l'impossible apparent, dans le mur de la mort. Jésus est comme ce personnage de la "Divine Comédie" de Dante qui affronte les ténèbres. Il tient une lampe à la main, mais c'est dans son dos qu'il la tient pour éclairer ceux qui le suivent

Bien plus, les disciples d'Emmaüs n'ont pu garder cette "Bonne nouvelle" rien que pour eux. Il fallait que, sans tarder, ils aillent la dire aux frères de Jérusalem. Ainsi est née l'Église. L’Eglise n'est pas une institution, une de plus - avec des codes de conduite plus ou moins nombreux et que certains semblent vouloir amplifier - ; l'Eglise est une amitié qui se poursuit avec Jésus et qui unit les compagnons dans une même joie, celle de la Résurrection. Ceux que la tourmente du Golgotha avait dispersés sont à nouveau réunis et Jésus est présent au milieu d'eux.

Aujourd'hui comme hier, notre Église passe par des moments difficiles, d’incertitude. Avec le pape François, sachons redécouvrir la "joie de l'Evangile", la joie de la "Bonne Nouvelle du Ressuscité. !I y a urgence : sans cesse, il faut “rebâtir l'Église”, comme disait Jésus à François d’Assise.

Les apôtres et leurs successeurs ont bâti cette Église tellement ils ont été bouleversés par la nouvelle de Pâques. Il nous faut poursuivre cette œuvre, retourner à Jérusalem pour y retrouver nos frères en partageant avec eux le Pain du Christ.

Notre première tâche de croyant est de “faire Eglise”, d'une manière ou d'une autre. L'individualiste avec ses préoccupation égocentriques ne peut être chrétien ! Il faut sans cesse "rebâtir l'Eglise", "faire Eglise" pour être signe qu'un monde fraternel a commencé sur les dépouilles de la mort. “L'empire romain ne se serait pas converti, a-t-on écrit, si les premiers chrétiens ne s'étaient pas tant aimés et réunis”.
Certes, l'Église restera toujours ce vase fragile, dont nous nous plaignons parfois, que nous critiquons, mais qui cependant est porteur d'une "Bonne Nouvelle" capable de rendre l'espérance à tous les hommes. Qu'attend en effet notre humanité sinon d'être débarrassée du mal et de la mort ? En Jésus Christ, c'est déjà chose faite. A nous de lui laisser remporter cette victoire dans nos existences.

Avec le Christ ressuscité, pour la première fois dans l'histoire des hommes, un cimetière a commencé à se vider, la mort a dû lâcher sa proie, une tombe a été ouverte par la vie. Le Christ est vivant et il fait de nous des ressuscités. Soyons de ces communautés chrétiennes dont l'unité est une permanente parabole de ce monde nouveau, né de cette victoire inouïe de la Vie. Alléluia ! 

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