jeudi 5 décembre 2013

Fécondité - Production !

Avent 1.A 13-14 Jeudi  -        

Aujourd'hui, les lectures parlent de construction..., de construction sur le roc.
+ Il y a Isaïe qui affirme : "Nous avons une ville forte... Tu construis, Seigneur... Le Seigneur est un rocher pour toujours...!".
+ Et dans notre évangile, Jésus termine son "Discours sur la montagne" par une parabole tirée de son métier, car, de son temps, le charpentier était aussi un bâtisseur !

Il est à remarquer que c'est la seule fois où Jésus fait allusion à son métier. Ses exemples, ses paraboles proviennent, d'ordinaire, de son observation de la nature : blé, ivraie, graine de sénevé, figuier, eau, etc... Pourquoi ? Est-ce parce qu'il raisonnait en pensant plutôt fécondité (à l'exemple de la nature) que production (d'une entreprise) ? C'est possible, car c'est l'un des enseignements de toute la pédagogie divine à l'égard d'Israël... et à notre égard.

- Les Hébreux étaient sortis d'un pays - l'Egypte - en lequel on les contraignait à faire des briques et encore des briques dans l'esclavage de la superproduction (cette fameuse superproduction toujours actuelle). En pays de production, comme en Egypte, l'eau - disons la richesse - vient d'en-bas uniquement : on s'active et on s'active encore, penché vers la terre dans une dimension horizontale, pour produire des briques et encore des briques...

- Une fois libérés, les Hébreux furent invités à un recyclage de quarante ans dans le désert. C'est le lieu, selon Amos, où Dieu peut parler au cœur de l'homme (1). Car, dans le désert, on manque de bien des choses ; on vit dans un état de dépendance et de pauvreté.
Le regard alors s'élève vers Dieu, vers Dieu-Providence, vers "Dieu-Emmanuel", "Dieu avec nous", celui que nous-mêmes fêterons à Noël. Et, peu à peu, on apprend à vivre dans la dimension verticale en s'apercevant que tout vient de Dieu ! On apprend encore à rebondir dans la reconnaissance et l'action de grâce, à faire "eucharistie" (2). C'est dans l'"eucharistie", l'action de grâce que le peuple de Dieu (qu'un chrétien) peut le mieux exprimer sa véritable identité : dans cette dimension verticale d'action de grâce qui dresse comme une échelle de Jacob entre ciel et terre !

- Une fois sorti du désert - quel qu'il soit -, comme les Hébreux entrés en "terre promise", on sait que l'eau - disons toujours la richesse - ne vient pas uniquement d'en-bas, elle vient bien d'en-haut. Mais, elle vient ou elle ne vient pas. Car Dieu garde la clef des nuages. Et on reste, vis-à-vis de lui, en état de dépendance que l'on a connu dans le désert.

Ainsi, nous-mêmes, nous sommes invités à vivre dans les deux dimensions tout à la fois, harmonieusement conjuguées. Les enfants des hommes cultivent bien la terre - richesse à eux confiée dès la création - ; mais ils doivent continuer à regarder vers le ciel d'où vient la véritable richesse, richesse divine - grâce divine - qui a fécondé le sein de la Vierge Marie en vue d'une autre fécondité extraordinaire : "que nous soyons appelés enfants de Dieu ; et nous le sommes !", dira St Jean (I Jn 3.1).  Et St Paul dirait que l'Esprit de Dieu nous est donné en vue des épanouissements de cette fécondité, un Esprit qui ne peut nous rendre esclaves (Rm 8.15 etc), - même pas de la Loi (Rm 7.3 sv) - mais bien libres de cette liberté d'enfant de Dieu (Cf.Gal 2.4 ; 2 Co 3.17).

Toute notre vie doit être ainsi féconde et pas seulement productive, dans cette attitude non plus de "servitude", mais de "service", de service filial : servir le Dieu Très-Haut qui, dans l'alliance qu'il ne cesse de proposer, donne pain et eau, pluie et soleil... etc, et tout ce qu'il faut à l'homme ici-bas, mais en vue d'une fécondité divine : sa plénière "naissance" au ciel !

Il faut méditer à ce propos un passage du livre du Deutéronome (Dt 11.10-15) pour comprendre toute la pédagogie divine à notre égard, pédagogie qui nous aide à passer des esclavages de la production aux épanouissements de la fécondité. Cela implique éventuellement - même dans un monastère - une modification de tout un style de vie pour éviter la superproduction ou - pis encore - d'être, comme dirait St Paul - "affairé sans rien faire" (2 Thes. 3.11).

C'est très grave pour le Peuple de Dieu - pour un chrétien - de perdre la dimension verticale, ou de vivre, de façon dissociée, la dimension verticale et la dimension horizontale
- ce qui peut arriver de façon plus ou moins inconsciente même dans un monastère : à l'église on est avec Dieu, bien sûr ! Mais au-dehors de l'église on est facilement dans les "affaires du monde". "Il faut bien !", dit-on alors ! -.
C'est dans les deux dimensions à la fois qu'un chrétien trouve son équilibre, sa raison d'être et qu'il peut devenir "lumière des nations", à la suite du Christ, selon la prédiction du vieillard Syméon. Un chrétien doit avoir parfaitement les pieds sur terre avec, déjà, un cœur d'éternité !

Je pense que pendant les trente ans de sa vie cachée à Nazareth Jésus a vécu, avec Marie et Joseph, cette logique de fécondité, caractéristique du "Peuple de l'Alliance". C'est qu'il prévoyait de construire, en trois ans, sur le roc de la terre, cette "ville forte" dont parle Isaïe, cet édifice d'éternité qu'est l'Eglise sur laquelle les portes de l'enfer ne pourront jamais l'emporter (Cf Mth 16.18).

Et je terminerai en soulignant que dans la tradition juive, il y a une fécondité plus importante que la fécondité biologique. C'est la fécondité dans la transmission du patrimoine culturel et surtout spirituel..., comme le rapporte le psaume 78ème  :
"Que les pères se lèvent et transmettent à leurs enfants :
Qu'ils mettent en Dieu leur espoir
Qu'ils n'oublient pas les hauts faits de Dieu
Et qu'ils observent ses commandements" (Ps 78.5).

Ne sommes-nous pas héritiers de cette tradition ? Si nous ne le sommes pas, nous sommes alors très vulnérables. Ne vivant que peu cette dimension à la fois horizontale et verticale, notre identité devient une "maison bâtie sur le sable", un château de cartes qui ne peut que tomber. Et nous irons facilement nous fondre dans la masse des travailleurs-esclaves en vue d'une soi-disant superproduction mondiale.

(1) Amos 2.16 : "mldbar dibarti" - "au désert, je parlerai" !

(2) C'est le sens de ce mot "Eucharistie" : action de grâce !

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