dimanche 14 octobre 2012

Etre et faire !


28ème Dim. T.O. 12/B

Notre époque honore et célèbre surtout ceux et celles qui se sont distingués dans le registre de l’agir, de l’action : registre des sciences (Einstein…), registre militaire et politique (Lyautey, De Gaulle…), registre humanitaire (Vincent de Paul, Mère Térésa…)… Et c’est bien ! Cependant, l’Eglise propose souvent comme modèles, en les élevant parfois à l’honneur des autels comme l’on dit, des hommes, des femmes qui se sont fait remarquer non pas tant par ce qu’ils ont fait, mais pour ce qu’ils ont été, non pour leur agir, … mais pour leur être ! Tout simplement !

Tel fut, me semble-t-il, St Benoît ; tel fut, plus près de nous, Dom Guéranger… et à leur suite les moines, moniales en particulier, les religieux, religieuses en général… et nombres de chrétiens qui ont simplement témoigné de leur foi. Des hommes, des femmes qui veulent cultiver, avant tout, ce qu’ils sont, ce qu’ils doivent être : des chrétiens, des chrétiennes ! C’est leur identité. Et ils désirent mettre en avant cette identité bien plus que ce qu’ils font ou pourraient faire ! Le pape Benoît XVI mettait en avant, pour une “nouvelle évangélisation“, cette disposition importante que doit avoir tout chrétien : témoigner avant tout de ce qu’il est : le chrétien doit transpirer de la vie du Christ en lui ! Ne pas en avoir peur !

Et puisque nous sommes dans un monastère, et que les textes d’aujourd’hui m’y invitent, permettez-moi - une fois n’est pas coutume - de parler de cet idéal : cette culture de ce que l’on est, bien plus que de ce que l’on fait, cet idéal que St Benoît a imaginé, décrit et vécu, cet idéal proposé aussi à tout chrétien, cet idéal que l’on pourrait appeler à bon droit : un “humanisme chrétien“, expression employée naguère par Jacques Maritain et reprise dernièrement par un membre du Synode à Rome. Un idéal qui propose une vie profondément humaine et chrétienne tout à la fois, et humaine parce que chrétienne. L'idéal monastique et chrétien s’inscrit dans ce désir de trouver, de réaliser ce merveilleux équilibre entre humanisme et christianisme. Cet idéal affirme fortement que plus on est chrétien, plus on est homme : la foi chrétienne achève l'homme. N’est-ce pas une des raisons pour laquelle St Benoît a été déclaré “Patron de l’Europe”.

Quelle est donc alors cette force “humanisante“ et civilisatrice de la foi chrétienne que St Benoît et beaucoup après lui ont vécue et distillée en notre civilisation ?
Les trois lectures d’aujourd’hui nous le disent amplement.

Le monachisme et donc la foi chrétienne tout court sont une sagesse. C'est ce que nous dit la première lecture. “J'ai prié et l'intelligence m'a été donnée, j'ai supplié et l'esprit de sagesse est venu en moi... ; à côté d'elle, j'ai tenu pour rien la richesse. Je ne l'ai pas mise en comparaison avec les pierres précieuses ; tout l'or du monde auprès d'elle n'est que du sable...”.
St Benoît et tous ses disciples ont voulu, veulent cultiver cette sagesse de la sobriété, de l'oubli de soi, du renoncement afin de mieux chercher la connaissance, le sens de l’existence, la plénitude de la vie, non pas d’abord dans les sciences humaines qui engagent à agir, mais dans la contemplation silencieuse des mystères du Christ.

Et cet idéal du moine - et donc aussi du chrétien - s’exprime dans des livres d’une profonde sagesse, livres qui s’écrivent avant tout dans le cœur de l’homme, avant de paraître éventuellement sur du papier. Ces livres de sagesse chantent tous la Parole de Dieu, le mystère pascal du Christ, Parole et mystères si inépuisables qu’ils peuvent conduire jusqu’à un certain épuisement, s’il le faut : “J'ai aimé la sagesse plus que la santé”. Cette Sagesse qui est, dans la Bible, Parole divine, s’est pleinement manifestée dans le Christ, “Verbe de Dieu“ (Cf. St Jean), “Parole de Dieu“.

Et si cette Sagesse qui révèle les mystères du Christ, s’exprime parfois dans des livres, c’est après qu’elle fut d’abord reçue, méditée, vécue en des âmes… “Tous les biens me sont venus par elle, et par les mains de la sagesse une richesse incalculable”. … Et “Ce que j'ai appris avec simplicité, j'en ai fait part sans réserve”. Et nous en faisons l’expérience : de certaines personnes qui n’ont nullement été dans les “grandes écoles“ comme l’on dit, qui ne manifestent aucune action extraordinaire, de ces personnes cependant émane une Sagesse de vie que leur accorde la présence du Christ en elles ! Le moine, le chrétien doivent être de ces sages selon la sagesse même de Dieu qui nous est donnée par et dans le Christ ! Et ils en rayonnent !

Et la deuxième lecture de ce jour en dit tout autant sur cet “humanisme chrétien“ : c'est l'amour de la Parole de Dieu. “Elle est vivante, la Parole de Dieu, énergique et plus coupante qu'une épée à deux tranchants ; elle pénètre jusqu'au fond de l'âme, jusqu'aux jointures et pensées du cœur”.
 À une certaine époque où la littérature spirituelle avait presque oublié les sources originelles et vives de la vie spirituelle, Dom Guéranger, par exemple, a remis la littérature spirituelle dans son axe biblique et liturgique. De la sorte, il a formé toute une génération et l'a sauvée des déviations piétistes et mièvres, en remettant la littérature dans son ”lieu naturel” : la Parole de Dieu et la liturgie.
Et Vatican II dont nous faisons légitimement mémoire ces temps-ci a amplifié largement ce ressourcement pour tous les chrétiens. Depuis lors, la spiritualité ne relève plus du subjectif, mais du monde objectif de la Parole de Dieu et de la liturgie ; Cette Parole de Dieu devient thérapeutique pour une génération qui préfère trop, parfois, les émotions et les sentiments fugaces. Le moine et tout chrétien sont épris, doivent être épris de la Parole de Dieu, Sagesse de Dieu.

Enfin, l'évangile nous révèle le dernier secret de cet humanisme chrétien : le moine - et donc le chrétien aussi, selon ses engagements divers - suit le Christ en renonçant dans la joie à bien des choses… à tout le reste s’il le faut.
Il a entendu les paroles de Jésus : “Va, vends tout, donne-le aux pauvres et suis-moi”. Le moine doit montrer que le bonheur de l'homme ne se trouve pas au bout de nos besoins premiers mais qu'il est objet d'un désir qui transcende le bien-être immédiat. Le vrai disciple du Christ est un homme de désir ; il a compris que ni les richesses, ni la sexualité, ni le pouvoir, ni l'autonomie de soi… et que sais-je encore ne procurent le bonheur véritable. C’est cela que le Christ est venu nous révéler par sa parole et par l'exemple de sa vie.

Et tout disciple doit proclamer que ce chemin qui semble parfois ardu, ce chemin de l'imitation du Christ ne tronque pas l'homme, mais est un véritable humanisme. Il rend à l'homme sa véritable image, tel qu'il est sorti des mains de Dieu lors de la création. C'est en renonçant, parfois, à beaucoup de choses que l'homme gagne tout au centuple. Jésus dit : “Vraiment, je vous le dis : personne n'aura quitté, à cause de moi et de l'Evangile, une maison, des frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu'il reçoive en ce temps déjà le centuple : maisons, frères, sœurs, mère, enfants et terres, avec des persécutions, et dans le monde à venir, la vie éternelle”. Il faut méditer ces paroles qui indiquent les chemins secrets du bonheur.

Sachons contempler cet idéal qui est un appel à y répondre selon les modalités de vie de chacun, avec aussi ses propres forces, humblement. Et bénissons le Seigneur d'avoir suscité dans son Église, depuis des siècles, des hommes et des femmes sages de la sagesse divine, avides de la Parole de Dieu et qui deviennent guides sur le chemin du bonheur véritable. Ce sont de véritables “humanistes“ qui tentent, à travers les vicissitudes de l'histoire de l'Église et de leurs propres faiblesses individuelles et collectives, de restaurer l'image originelle de l'homme tel que Dieu l'a imaginé à l'aube de sa création. 

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