dimanche 7 octobre 2012

Dures paroles !


27e Dimanche du T.O. 12/B  - 

Ce passage d’évangile est irritant. Il nous heurte, secoue nos inquiétudes comme nos certitudes. “Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas !”. Comment comprendre et appliquer ces paroles aujourd’hui ?

D’abord, une remarque : quand Jésus prononce ces paroles, il est précisé un peu plus loin : “comme ils étaient en chemin, vers Jérusalem” (10.32). - “… En chemin… !”. Autrement dit, nous ne pouvons pas comprendre en dix minutes ces affirmations de Jésus. Mais accepter ces paroles qui nous jugent, ne pas s'en défendre, y trouver une miséricorde, un sens de vie, cela peut  demander parfois des années. Peut-être même que la vie d'un homme jusqu'en sa mort ne suffit-elle pas à épuiser une parole aussi riche, exigeante, déconcertante !

“Ils étaient en chemin”, dit l’évangile. Nous devons d’abord accepter humblement la situation d’être “en chemin” derrière Jésus. Et quand les disciples se mettent à le suivre, ils sont stupéfaits de peur et d'incompréhension en découvrant le destin de Jésus lui-même et… le leur, à sa suite ! Jésus monte vers Jérusalem pour entrer en son mystère pascal de mort et de vie ! Il parlera souvent de ce mystère et du sacrement qui le rappelle et que nous célébrons, l’Eucharistie, et qui fait de nous ses disciples : “Il faut que le Fils de l’homme soit tué ; trois jours après il ressuscitera… Faites cela en mémoire de moi” ! L’Eucharistie nous invite, en cet instant même, à être “en chemin“ derrière Jésus en son mystère de mort et de vie !  C’est exigeant comme la parole de Jésus aujourd’hui !

Ne soyons donc pas surpris si ces paroles suscitent étonnements, provoquent remous et combats, soulèvent des obstacles en heurtant les domaines les plus fondamentaux de l'existence et les plus sensibles, ceux de l’amour et du mariage. Vivre du mystère pascal du Christ, ce n’est pas facile ni à comprendre ni à accomplir ! Les apôtres eux-mêmes ont manifesté stupeur et embarras devant les exigences de ces paroles. Alors, même chrétiens, ne soyons pas étonnés que ce soit toujours d’actualité… !

Aussi, gardons-nous, sous prétexte d'être gentils les uns pour les autres, d'amenuiser la parole du Christ, de la raboter, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus rien dire du tout et ne gène plus personne. Cela aussi, même pour un chrétien, est tentation toujours d’actualité !

Au contraire, il faut d’abord accepter peut-être de ne pas “comprendre” parfaitement la parole de Jésus. Mais il faut que cette parole nous habite, que nous la portions des semaines, des mois, des années peut-être… Nous sommes “en chemin“… !  L'homme qui nous est proposé en modèle, c’est celui qui, dans la foule, suit Jésus, difficilement, mais qui le suit ! Le chemin du christ en nous, avec nous, c'est son œuvre en notre temps. C'est l'œuvre de toute notre vie. Aussi, acceptions d’abord d’être en chemin !

Voilà donc dans quelle attitude nous devons accueillir cette parole - nous mettre en chemin -, écouter Jésus et lui demander d'ouvrir notre cœur à la compréhension de ce qu'il dit et fait. 

Après cette remarque, une explication : quelle est donc la portée de ce débat sur le mariage ? L'enjeu social, à l'époque biblique, est la protection de la femme. Le législateur - Moïse - a voulu protéger la femme en empêchant qu'elle soit arbitrairement répudiée. Mais cet éclaircissement ne nous permet pas d'aller au fond ni du problème ni du sens de ces paroles. D’ailleurs, Jésus, dans ses explications, rend la répudiation absolument symétrique : pour lui, il ne s'agit plus seulement de protéger la femme, puisqu’il envisage le cas où celle-ci pourrait, elle aussi, renvoyer son mari, hypothèse historiquement étrange ! Jésus déborde donc complètement le cadre juridique tel qu'il se présentait à son époque. Et là encore, c’est toujours d’actualité ! On ne résout pas certaines questions uniquement à coup de décrets !

Jésus vise donc un autre niveau de la réalité. Lequel ? C’est celui des prophètes, des porte-paroles de Dieu, tels Amos, Osée, Isaïe. Et voilà leur message constant : la relation de l'époux et de l’épouse, ils ne l'envisagent pas d'abord comme un problème social, un problème des droits de l'homme ou de la femme, un problème juridique, mais  bien plutôt comme un problème spirituel qui trace les rapports de Dieu et de son peuple, de Dieu et de chacun de nous ! C'est la relation à Dieu de chacun de nous qui va engager la manière de se comporter entre mari et femme.

Pour comprendre ce que Jésus dit au sujet du mariage et de la fidélité, nous ne devons donc pas partir du point de vue de l'expérience sociale.
D’ailleurs, de ce point de vue, on le sait, lorsque la loi est contraignante, l’histoire prouve qu'à côté d'avantages certains il y a aussi des inconvénients. Les infidélités sont toujours présentes et les souffrances ne sont pas moins grandes. Sans parler de l'hypocrisie. Et puis, on ne peut pas obliger les hommes et les femmes, par contraintes légales, à la fidélité. Le maintien de l'ordre n'a jamais suffi à rendre les gens vertueux.
A l'inverse, si le législateur devient tolérant, ce n'est pas pour autant que les relations soient plus humaines, meilleures, et que les êtres humains se fassent moins souffrir. Il faut être réaliste !

Jésus se place donc à un autre point de vue, celui qui nous projette dans le mystère de l'amour tel que Dieu lui-même le propose à son peuple, à chacun de nous. Il invite hommes et femmes qui veulent répondre à son alliance divine, à rendre leur union humaine semblable à la sienne : lui, l’Epoux divin a conclu avec Israël, son Epouse, - avec chacun de nous par le baptême - une alliance indéfectible. Aussi, que l’union de l’homme et de la femme soit signe de cet Amour divin indéfectible, manifesté aux hommes pour le salut de tous.
Pour le chrétien, il s'agit d'entrer dans la compréhension d'un mystère. Dieu, Époux, va-t-il rompre son alliance et renvoyer son peuple parce qu'il n'a pas été totalement fidèle à son amour ? Dieu, lui, pardonne toujours, son amour est sans limites, irrévocable.

Voilà le “commencement“, “ce qui était au commencement“ ! C'est donc ce mystère divin de fidélité, de pardon, de miséricorde qui permet de comprendre ce qui était à l'origine. Ce qui est à l'origine, c’est la fidélité absolue de Dieu qui crée l'homme à son image et propose à l'homme et à la femme de faire de leur union le signe visible et la manifestation de l'amour indéfectible de Dieu. Ce qui est une manière proprement divine de vivre. Ce qui est impossible à l'homme sans la force de Dieu. Et c’est toujours d’actualité pour un chrétien !

Une telle exigence au sujet du mariage ne peut être comprise que dans ce climat qui englobe la miséricorde divine, comme le fait Jésus devant la Samaritaine ou la femme outrageusement appelée adultère. Selon la loi, elle doit être lapidée. Jésus, en silence, la délivre de toute accusation : “Femme, où sont tes accusateurs ? ”. C'est un mystère de miséricorde en même temps qu'un appel à la sainteté : “Va, désormais ne pèche plus.”

Et ce mystère de miséricorde ne se comprend que parce que l'Amour divin est livré aux hommes dans le mystère pascal du Christ que rappelle l’Eucharistie. En ce sacrement, la fidélité divine est renouvelée. En ce sacrement, le peuple chrétien, malgré son incompréhension, ses faiblesses, est appelé à cette vocation divine de mettre en ce monde la présence du sacrement de l'Amour divin et indéfectible. Dieu fait toujours alliance !  Mais redisons-le : nous sommes “en chemin“, chemin difficile ; mais restons en chemin, avec le Christ. Que cette persévérance soit notre consolation !

Aussi, je terminerai par un regard particulier sur ceux ou celles qu'un échec conjugal a meurtris, sur ceux et celles qui se sentent, pour  diverses raisons, éloignés de cet idéal proposé par Notre Seigneur. Au milieu même de grandes difficultés, il reste toujours un sens profond à toute vie. Si une union brisée, par exemple, ne peut plus signifier l'amour du Christ pour l'Eglise, de Dieu pour l'homme, la réalité de cet amour du Seigneur demeure : "Il a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle", il aime l'Eglise, Il aime chacun de nous et tout particulièrement ceux qui connaissent de dures épreuves ! - Les solutions ne se trouvent que très rarement sur un plan purement humain, “sociétal“, comme l’on dit. D’ailleurs, sur ce plan comme sur bien d’autres, le chrétien ne peut qu’affirmer : “Je suis en chemin !“. Et ce chemin est le mystère pascal du Christ ! Et le Christ est là sur ce chemin, avec nous !

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