lundi 23 avril 2012


Pâques 3 - Lundi   - Le vrai Temple de Dieu !   (Ac 6, 8-15)


La lecture d’aujourd’hui et celle de demain centrent notre attention sur le premier des diacres, St Etienne. Et à propos de leur institution, nous avons déjà vu  qu’une division s’était infiltrée à l’intérieur de l’Eglise primitive.

Il y a d’une part les « Hellénistes » : des juifs qui avaient vécu hors de Palestine et disposaient à Jérusalem de synagogues particulières où la Bible se lisait en grec. Avec la langue grecque, ils adoptaient assez naturellement certaines manières de penser et de vivre que réprouvaient les juifs autochtones, les « Hébreux » qui parlaient l’araméen, mais avaient cependant maintenu dans leurs synagogues l’usage de lire la Bible en hébreu.

L’initiative des missions partira du premier groupe, les « Hellénistes » dont font parti les diacres qui portent tous des noms grecs, sauf un seul, Nicolas. Il n’est pas Juif de naissance, non plus ! C’est un prosélyte, un ces païens complètement convertis au judaïsme, qui avaient accepté la circoncision, et étaient devenus ainsi membres du peuple élu. Ils se distinguent en cela d’une troisième catégorie de gens qu’on appelle les « Craignant Dieu » qui sympathisent avec le judaïsme, fréquentent leurs synagogues, mais ne vont pas jusqu’à la circoncision et la pratique rituelle de la Loi.

Il est important de bien situer ces trois catégories de gens pour bien suivre les péripéties de l’éclosion universelle du peuple de Dieu.

Avec Etienne, on est au point de départ de cette éclosion universaliste. La discussion à laquelle nous assistons aujourd’hui se place à la synagogue des « Affranchis ». On pense que ces dits « Affranchis » sont des descendants de juifs emmenés à Rome par Pompée en 63 av. J.C. et vendus comme esclaves ; beaucoup furent affranchis. Ils constituaient à Rome une colonie prospère et influente. Rien d’étonnant qu’ils aient eu leur synagogue à Jérusalem.

Etienne fut donc lapidé “hors de la ville“ ! Les Grecs vénèrent le lieu du martyre du côté de Gethsémani, près du pont qui traverse le Cédron. Les Latins ont repris une tradition byzantine qui situe l’évènement au nord de la porte de Damas, là où le P. Lagrange a fondé l’“Ecole biblique“ sur les ruines d’une basilique que construisit l’impératrice Eudoxie (début 5ème s.).

La “dispute“ qui aboutit à la lapidation d’Etienne se fait donc à la “synagogue des Affranchis“, dans le milieu hélléniste. Saul de Tarse devait déjà s’y trouver, lui qui gardera les vêtements de ceux qui lapidèrent le protomartyre. Il doit peut-être sa vocation, en partie, au sacrifice d’Etienne, s’il est vrai que “le sang des martyrs est une semence de chrétiens“ (Tertullien).

Dans la synagogue, la discussion se transforme en émeute. Etienne, accusé de blasphème, est traîné devant le Grand Conseil où commence un procès avec des accusations très semblables à celles qui furent portées contre Jésus, au sujet du Temple et de la Loi. On produisit, est-il dit, “ de faux témoins qui déclarèrent : "Cet individu ne cesse pas de tenir des propos contre ce saint Lieu. Nous l'avons entendu dire que Jésus, ce Nazôréen, détruira ce Lieu-ci…

C’est l'attaque la plus violente contre le temple ! Voici le thème qu'Etienne aurait développé : le temple n'a plus de raison d'être.  A la mort de Jésus, le voile du temple s’étant déchiré, la victime a été offerte une fois pour toutes et pour toute l'humanité. Les sacrifices du temple sont désormais caducs et inutiles ! Voilà ce que dit Etienne, selon les témoins.

On nous dit que ce sont de faux témoins ! Sans doute ! Mais ce qui est frappant, c'est de voir que dans le plaidoyer d'Etienne lui-même (dans la suite du texte), ce thème revient. Autrement dit, les faux témoins avaient sûrement durci l’accusation, mais pas fondamentalement déformé la pensée d'Etienne. “Le Très-Haut n'habite pas des demeures faites de main d'homme, dira-t-il, Comme le dit le prophète : « Le ciel est mon trône et la terre l'escabeau de mes pieds : quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, et quel sera le lieu de mon repos ? »” (Act. 7:48) 

Le temple de Jérusalem n’a plus de valeur ! Voilà l’affirmation qui condamne Etienne ! Mais sous sa pensée et celle des premiers chrétiens, on retrouve, là, cette vieille tradition, aux multiples facettes, qui revient, s’accentue et s’approfondit :
- L’homme ne peut pas “loger” Dieu ! Les prophètes l’avaient déjà affirmé face aux dérives de l’institution du temple !
- Cependant, Dieu peut très bien chercher un “lieu pour y faire habiter son Nom”. Les prophètes eux-mêmes le reconnaissaient, tout en refusant certaines dérives de cette localisation du Nom de Dieu : bénéfices commerciaux, considération exagérée d’une caste … etc…
- Par contre, que Dieu, de sa propre initiative, vienne “habiter”, “voisiner” avec les hommes, c’était, là, une perspective un peu nouvelle !

Certes, dans le désert, il y avait la “Demeure” de Dieu, la “shékhinah”. La racine de ce mot signifiant “le voisin”, c’était déjà reconnaître le “divin voisinage” : Dieu qui se faisait mitoyen de l’homme en établissant sa “Demeure” à l’intérieur de la Cité, si l’on peut dire. C’était la Gloire divine “domestiquée” - la “Maison” de Dieu étant au milieu des maisons des hommes (comme dans un monastère) ! - Mais une Gloire “domestiquée” non par l’homme, comme s’il pouvait être le “dompteur” de la Gloire divine.  Cette “inversion sacrilège” serait la pire de toutes ! Mais que la Gloire divine elle-même accepte de s’approcher de l’homme, de voisiner avec l’homme, cette pensée devenait non seulement concevable, mais évidente de plus en plus. C’était, en quelque sorte, amplifier l’affirmation du livre des Proverbe qui fait dire à la “Parole de Dieu”, à la “Sagesse de Dieu” : “J’ai trouvé mes délices à être avec les enfants des hommes !” (Pr. 8.31)

Ce thème-là devient très chrétien, sera post-chrétien. Il était  pré-chrétien, en ce sens qu’il était déjà profondément inscrit dans la foi juive et dans l’Ecriture ! Il sous-tend déjà un texte comme celui de S. Jean : "Et le Verbe s'est fait chair ; il a demeuré parmi nous" ! Et sous le verbe grec “demeurer“, on peut deviner le terme hébreu : il a établi sa "shekhinah" parmi nous.

Mais il n’en reste pas moins vrai que “le Très-Haut n’habite pas des demeures faites de mains d’homme”, comme le disait Etienne !

C’était, probablement, un fougueux, cet Etienne, très, trop fougueux même ! Avec plus d’habileté, il aurait pu, peut-être, faire comprendre que le temple était au fond un archétype, un idéal, un pressentiment du dessein de Dieu de venir habiter parmi les hommes. Et les sacrifices offerts dans ce temple n’étaient que des présages, des signes annonciateurs du sacrifice pascal du Christ.

Sans doute, n’aurait-il pas eu plus de succès ! Car ces présages, ces pressentiments avaient été trop institutionnalisés ! Et c’est souvent le drame ! Car l’institutionnalisation de la “Demeure de Dieu” n’est pas la “Demeure authentique” dont Dieu a l’initiative. L’institutionnalisation du “sacrifice” n’est pas le “Sacrifice authentique” dont Dieu seul a l’initiative. Le drame fut de transformer les promesses en institutions. Ce fut le danger dans l’Ancien Testament ; les prophètes en sont les témoins !

Mais ne nous moquons pas ! Ce danger est toujours actuel. Certes, pour nous, chrétiens, il ne s’agit plus de promesses, mais de germes du grand dessein d’Amour de Dieu pour l’homme. Ces germes du “salut éternel” pour l’homme nous sont bien donnés, par les sacrements, notamment ! Deo gratias ! Mais le danger, c’est de transformer ces germes en musées de semences. C’est grave parce que les germes ne sont pas faits pour être mis dans un musée ; et les semences ne sont pas faites pour être présentées sous globe de verre. Et affirmer cela risque parfois, plus ou moins, de conduire au même destin que celui d’Etienne !

Finalement, Etienne est un personnage rayonnant qui nous invite à un “culte en esprit et vérité“ en attendant d’entrer définitivement “dans la ville qui a pour architecte et constructeur Dieu lui-même“ ! (Heb. 11.10)

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