mercredi 11 avril 2012

Malades dans le temple !

Mercredi de Pâques 12 - Ac 3, 1-10 - Lc 24, 13-35

La guérison de l’infirme se fait à l’entrée du temple, hors du temple. Il faut se rappeler que les infirmes n’entraient pas dans le temple d’après une loi qu’on trouve dans le Lévitique : “Aucun homme ne doit s'approcher s'il a une infirmité, que ce soit un aveugle ou un boiteux, un homme défiguré ou déformé !“ (Lv 21,18)

Les aveugles et les boiteux sont particulièrement visés. Pour comprendre quelque peu l’origine de cette prescription, il faut se rappeler le récit de la prise de Jérusalem par David, racontée en 2 Samuel :
“David avec ses gens marcha sur Jérusalem contre les Jébuséens qui habitaient le pays, et ceux-ci dirent à David : « Tu n'entreras pas ici ! Les aveugles et les boiteux t'en écarteront », c'est-à-dire : David n'entrera pas ici. Mais David s'empara de la forteresse de Sion ; c'est la Cité de David ! … Quant aux boiteux et aux aveugles, David les hait. C'est pourquoi on dit : « Aveugle et boiteux n'entreront pas au Temple »“. (2 Sam 5,6-8)

Jésus contrevient plusieurs fois à cette loi. Ainsi en St Matthieu : “Il y eut aussi des aveugles et des boiteux qui s'approchèrent de lui dans le Temple, et il les guérit… les grands prêtres et les scribes furent indignés“ ( Mt 21,14.15)

St Jean, lui, il a retenu, parmi les sept (1) signes qui composent son Evangile, deux miracles opérés dans les deux piscines qui se trouvent l’une au nord et l’autre au sud du temple. Le boiteux de Bethesda et l’aveugle-né de Siloé qui, une fois guéris, entrent dans le temple qui leur était interdit tant qu’ils étaient atteints par leur infirmité.

Ainsi, le miracle, que nous rapporte la lecture, s’inscrit parfaitement et totalement dans cette iconographie des boiteux et aveugles à Jérusalem. Et l’épisode rappelle la grande mutation qui s’opère dans le passage de l’Ancien Testament au Nouveau : dans l’Ancien Testament, les maladies et les infirmités sont un handicap dans le rapport avec Dieu. Dans le Nouveau Testament, elles sont assumées par le Christ qui est venu guérir nos infirmités comme nos péchés ; et les miracles préfigurent la restauration totale de notre humanité dans le Royaume. Voyez ! Le paralytique guéri par Pierre entre dans le temple en franchissant la Belle Porte : “d'un bond, il fut debout, et il marchait Il entra avec eux dans le Temple, il marchait, bondissait et louait Dieu“. Nous entrerons, nous aussi, avec notre humanité glorifiée à la suite du Ressuscité dans le Temple de Dieu, la Jérusalem céleste si bien décrite par l’Apocalypse !

L’évangile nous décrit la présence du Christ près des deux disciples marchant vers Emmaüs. Le célèbre Renan a dit que ce texte est le plus beau morceau de littérature qui n’ait jamais été écrit.

La présence de Jésus ressuscité est plus réelle que jamais, mais elle n’est plus perceptible immédiatement comme elle l’était auparavant. On a déjà vu cela dans l’Evangile d’hier avec Marie Madeleine qui croit d’abord voir le gardien du jardin. De plus, Cléophas et son compagnon partagent la mentalité courante du judaïsme de l’époque qui attend un Messie restaurant la Royauté Davidique et chassant l’occupant romain.

Jésus chemine un certain temps avec eux et leur donne l’occasion d’exprimer leur déception et leur scepticisme à propos du témoignage des femmes qu’ils considèrent comme des racontars de pure imagination. C’est une bonne façon d’apostolat que propose Jésus : il laisse d’abord ses disciples s’exprimer pour que, peu à peu, ils puissent prendre eux-mêmes un certain recul par rapport à leurs idées toutes faites. Prendre son temps ! “Perdre son temps“ diront certains ! Et non ! Prendre son temps est souvent la meilleure manière pour disposer son interlocuteur à écouter, à accueillir le message qui lui est destiné. Ce n’est qu’ensuite que la grande leçon de la lecture chrétienne de la Bible est proposée : “Alors il leur dit : « O cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu'ont annoncé les Prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire ? ». Et, commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait“. (Lc 24,25-27)

On a beaucoup parlé, dans les cercles bibliques, et on parle encore d’“herméneutique“ et d’“exégèse“, mots savants dont on se gargarise parfois, mots un peu abscons pour mieux évoquer le mystère ! Evidemment ! Avec ces mots, on peut élever les intelligences, n’est-ce pas ? Si l’on veut ! Mais ce n’est certes pas ma préférence !

Le mot “herméneutique“ vient simplement de ce passage d’évangile selon St Luc : “il leur interpréta“ (dièrmèneusen). La véritable “herméneutique“ (2), c’est Jésus qui vient en notre cœur pour “interpréter“ la Parole de Dieu ; D’ailleurs, la Parole de Dieu ne s’explique bien que par la Parole de Dieu ! Et les effets de cette bonne “herméneutique“, St Luc le rappelle : “Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et qu’il nous faisait comprendre les Ecritures ?“

On se préoccupe moins actuellement de savoir où se trouvait la maison de Cléophas. A Latrum ? A Abou Gosh ? à Quibaibé ou… etc... ? Actuellement, quand on sort de Jérusalem vers l’ouest, on comprend surtout que la “route d’Emmaüs“ est d’abord et avant tout, dans l’esprit de St Luc, une catéchèse d’une lecture biblique et en même temps une catéchèse eucharistique liant indissociablement la liturgie de la Parole et la fraction du Pain : “Ils le reconnurent à la fraction du pain !“.

La “table de la Parole“ et la “table du Pain de Dieu“. Sachons nous nourrir à ces deux tables !



(1) Les deux miracles de Cana - Multiplication - Lazare - Cène - les deux miracles précités

(2) S’il faut paraître “savant“, je vais le faire. C’est pourtant un très grand défaut ! Le mot “herméneutique“ vient de deux mots grecs :
- celui du nom d’un dieu, Hermès, qui est le dieu qui transmet et explique les paroles, les ordres des autres dieux !
- celui de “tèknè“ : art manuel, habileté (d’où vient le mot “technique“)
Donc, “herméneutique“ : l'art de Hermèe ; l’art, l’habileté à transmettre, expliquer la Parole de Dieu !

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