lundi 25 janvier 2010

De la vengeance au pardon - 2 T.O p. Vendredi - (1 Sam 24.3sv)

C’est un récit très instructif que la liturgie nous offre aujourd’hui. L’événement - David qui épargne Saül - est si important que la Bible nous offre deux narrations ; la seconde est au chapitre 26ème. Il y a beaucoup de similitudes. Mais la conclusion du récit d’aujourd’hui est très lourde de signification par sa conclusion : “Je sais maintenant, dit Saül à David, que tu règneras sûrement…“

Rappelons le contexte. Saül, “l’homme fort“, qui dépassait tout le peuple “de la tête et des épaules“, a désobéi au Seigneur. Aussi le prophète Samuel lui a signifié que le Seigneur l’avait écarté. Le “petit“ David, le dernier de la famille de Jessé, a été choisi pour lui succéder. Saül devient jaloux de David et cherche à le tuer. Celui-ci se réfugie dans les grottes de En-Gueddi. C’était pratiquement un endroit inexpugnable où se réfugiaient brigands et voleurs pour jouir tranquillement du butin de leurs forfaits. Jérémie et même Notre Seigneur y font allusion à propos du “temple“ que certains prennent comme protection contre toute justice même divine (“Vous en avez fait une caverne de voleurs !“). C’est d’ailleurs en ces endroits qu’eût lieu la dernière révolte juive (vers 132) menée par une certain Bar Korba (qui veut dire “fils de l’étoile) ; et les Romains eurent beaucoup de peine à le vaincre en ces talwegs très escarpés. En fuyant Saül, en se réfugiant dans ces grottes, David mène une vie errante, comme un brigand !

Le paradoxe, c’est que c’est David, le nouvel “Oint du Seigneur“ qui aurait pu supprimer Saül ! Il ne l’a pas fait ! Par respect pour ce roi que Dieu avait naguère choisi ? Probablement ! Mais surtout, David se révèle et se révèlera un personnage très intelligent, un habile calculateur. En agissant ainsi, il prépare la stabilité de son règne à venir. Il sait que ceux qui commen-cent à régner en tuant leur prédécesseur ne tiennent pas longtemps !

Ce qui est très caractéristique de ce récit, c’est la complexité des sentiments de David qui y est exprimée. C’est la complexité de notre cœur !

- D’une part, l’émotion que ressent David en coupant le pan du manteau de Saül est bien réelle, et, plus encore, exprimée : on dit que “le cœur lui battit d’avoir coupé le pan du manteau de Saül“. Cela veut dire que David qui, par ailleurs, était un grand comédien, avait ce jour-là un fond de sincérité profonde : son cœur lui battit d’avoir touché à l’Oint du Seigneur !

- Mais par ailleurs, David sait jouer à fond le respect de l’autorité royale. Il sait très bien qu’en agissant ainsi, c’est sa future autorité qu’il sert ! Il ne veut pas suivre le conseil de ses amis : le Seigneur livre ton ennemi entre tes mains… ! Non ! David, lui, préfère s’en remettre au Seigneur ! Il renonce à tuer ! Mais comme il a la certitude qu’il va régner, cette façon de remettre sa cause et sa vengeance entre les mains du Seigneur, c’est “le fin du fin“ d’un grand “politique“ : David ne pardonne pas purement et simplement, car en remettant sa cause au Seigneur, il la remet entre les mains d’un juge beaucoup plus exigeant que lui. Et ainsi, aux yeux du peuple, David est en train de “capitaliser“, si je puis dire, la faveur du Seigneur sur le dos de Saül qui, lui, cherchait à le tuer ! Oui, le cœur de l’homme est très complexe !

Soulignant cela, je veux dire que le pardon, le véritable pardon n’est pas une démarche facile ! Regardons l’histoire de Joseph en Egypte : il ne pardonne pas tout de suite à ses frères qui l’avaient vendu… Il leur fait même des “tours de cochon“ ! C’est seulement lorsque du cœur de Juda s’échappe un sentiment de grande humanité (Je ne peux pas retourner chez mon père sans le petit Benjamin !) que Joseph ne se contient plus. Et il pardonne d’une façon si subite, totale et gratuite que ses frères, du coup, n’arrivent plus à y croire !

Ainsi, dans la Bible, il y a toute une pédagogie du pardon ! Nous, chrétiens, on en parle (trop facilement parfois) parce que nous savons où en trouver les énergies : On essaye de faire pour les autres ce que Dieu, par le Christ, a fait pour nous !

Le soir de sa résurrection, “alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison étaient verrouillées, Jésus vint, se tint au milieu d'eux et leur dit : 'la Paix soit avec vous '” (Jn 20/19).

Il y a un étonnant rapprochement à faire :
  • D’une part, Jésus ressuscité apparaît à ses apôtres qui n'avaient pas eu une attitude très honorable pendant la Passion, et il leur dit pourtant : "La Paix soit avec vous" !
  • Et, d’autre part, Joseph qu'on croyait mort apparaît à ses frères et il se réconcilie avec eux ! Ils n'arrivent pas à y croire ! Bien plus, Joseph leur dit, quand ils partent : "Ne vous disputez pas en chemin" (Gn. 45/24). Maintenant que je vous ai pardonné, la question n'est pas de savoir qui est responsable…
    On pardonne comme Dieu nous a pardonnés ! Mais cela, c'est au terme de toute une pédagogie dont nous sommes l’objet, sans le savoir, parfois ! De Joseph qui a du mal à pardonner, du calculateur David, au Christ…, à Dieu !

J’aime, disait Gustave Thibon, les histoires de miséricorde ! A mesure que l’on vieillit, on se sent plus indulgent pour les autres. La liberté me semble si mesurée que je ne juge plus. J’ai pitié ! Et puis, cet apologue oriental me touche beaucoup : le Diable dit à Dieu : “Ce qui m’étonne chez Toi, c’est que les hommes ne font que pécher et tu leur pardonnes sans cesse, alors que moi, je n’ai péché qu’une fois, et tu ne m’as jamais pardonné !” - Et Dieu lui répond : “Mais toi, combien de fois m’as-tu demandé pardon ?”

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