3ème
Dimanche de l'Avent 16/A
"Devons-nous
en attendre un autre ?",
demandait Jean-Baptiste.
Au
moment où Matthieu écrit son évangile, la communauté chrétienne n'attend personne
d'autre que Jésus ressuscité dans son retour en gloire, comme nous-mêmes le
proclamons dans notre énoncé de foi : "J'attends
la résurrection des morts et la vie du monde à venir".
Pourtant
à travers la plus grande figure de l'Ancien Testament qu'est Jean-Baptiste,
Matthieu semble nous faire percevoir, encore ancrée dans l'Eglise palestinienne
à qui il s'adresse, l'attente juive séculaire, attente si souvent déçue.
Chaque
fois que le peuple juif a pensé avoir trouvé l'homme qui allait réaliser enfin
le destin de toute la nation, il a été déçu, il a dû enterrer ses illusions et
rassembler ses dépouilles d'espérance dans son baluchon usé de peuple souvent
itinérant.
Alors
: "Devons-nous en attendre un autre
?" La question était si souvent répétée !
Et
la première communauté chrétienne, composée principalement de Juifs, a sans
doute conservé au fond d'elle-même des relents de prudence instinctive face aux
aventures libératrices.
Même
si son espérance est née au matin de Pâques, dans l'illumination du Christ
ressuscité, certains de ses membres portent probablement dans le secret de leur
foi encore neuve une inquiétude mal dissimulée (trop humaine) : "Devons-nous en attendre un autre
?".
Et
les questions légitimes sur la personne de Jésus...
questions
qui éclateront durement, dramatiquement parfois, quelques dizaines d'années
plus tard...,
questions
qui trouveront laborieusement leurs solutions à travers les grands conciles des
3ème-4ème siècles de Nicée à Chalcédoine...,
ces
questions légitimes ne sont certainement pas pour calmer cette inquiétude. "Devons-nous en attendre un autre
?"
A
nous aussi, aujourd'hui,
la question est posée même si nous ne participons pas à l'inquiétude naturelle
du peuple de l'Ancien Testament : "Devons-nous
en attendre un autre ?"
Car
les questions sur la personne de Jésus
n'ont pas diminué à travers les âges. Les textes qui nous le font connaître
nous semblent difficiles, et les interprétations en sont nombreuses et parfois
divergentes …
De
plus, Jésus est homme, mais un homme d'un autre temps, d'une autre civilisation qui ne
sont plus nôtres - du moins en apparence -. Jésus apparaît à beaucoup comme
"déphasé" - on le dit tellement -. Même le thème central de sa
prédication - le "Royaume de Dieu" porte dans le contexte
d'aujourd'hui - comme je le soulignais en la fête du Christ-Roi - des images si
dépassées qu'il est difficile d'y trouver un "message pour notre
temps", dit-on !
Alors,
"devons-nous en attendre un autre
?"
Ajoutons
à cela que, depuis la mort et la résurrection de Jésus, l'histoire des hommes
n'a guère changé :
-
les guerres non seulement continuent, mais se multiplient et deviennent plus
barbares ;
-
le nombre des hommes qui ont faim passe du million au milliard ;
-
l'exploitation de l'homme par l'homme puise dans la technique moderne une
variété et une subtilité de moyens insoupçonnés au temps de Jésus, ne serait-ce
que les moyens de propagandes utilisés par les mass-médias.
Dès
lors, même si je suis chrétien et en tant même que chrétien, la question peut
parfois devenir brûlante : "devons-nous
en attendre un autre ?"
Disons
d'abord que poser la question
ou la porter secrètement en soi, c'est déjà avoir un signe de foi.
Parce
qu'elle exprime déjà une espérance. La question porte en effet le mot "attendre".
Elle exprime donc, derrière le doute de l'homme et même du chrétien, une
ouverture sur l'avenir ; elle est un premier jalon vers la foi inébranlable en
l'"à-venir" de Dieu.
Or
n'est-ce pas justement ce que Jésus est venu dévoiler à l'homme : Oui, nous
sommes en attente et notre attente n'est pas vaine, parce que Dieu vient. Dieu
vient toujours ! Se demander s'il faut "en attendre un autre", c'est
déjà communier à l'attente des hommes et l'expliciter. C'est, en même temps,
exprimer sa conviction que quelqu'un, parmi les hommes, est capable de sortir
l'humanité de son bourbier.
Et
n'est-ce pas justement ce que la Communauté chrétienne, l'Eglise, a finalement
toujours reconnu en Jésus ressuscité : le sauveur du monde. Et l'Eglise
- c'est-à-dire tous les chrétiens -, l'affirme encore !
Alors,
si aujourd'hui, comme chrétien, malgré mes hésitations et mes doutes, je
renonce finalement à "en attendre un autre", c'est moins à cause du
Jésus de l'histoire qu'à cause de Jésus ressuscité, toujours vivant autour
de moi, en moi.
Ce
que les contemporains de Jésus, comme Jean Baptiste, ne pouvaient pas savoir,
je le sais maintenant dans la foi : Jésus, par sa résurrection, a accompli
toutes les attentes des hommes ; et il continue à les accomplir
aujourd'hui si je veux bien l'accueillir comme dans un "Noël"
permanent.
Même
si le monde ne change guère, même si j'ai parfois l'impression qu'il va de mal
en pis, je sais qu'il y a pourtant en ce monde, en moi-même, grâce au Christ
toujours vivant, un germe d'accomplissement total et que la mort
elle-même est ouverture sur la vie.
Et
puis, bien davantage, reconnaissons-le :
le problème ne se situe peut-être pas au niveau de Jésus, mais au niveau de
moi-même : celui que j'attends, ne serait-il pas finalement cet autre
moi-même que je discerne déjà en toute ma vie, cet autre moi-même qui rendra
vraiment visible l'homme totalement accompli que je dois devenir grâce au
Christ ressuscité..., lorsque je pourrai dire comme St Paul : "Ce n'est plus moi qui vis, c'est le
Christ qui vit en moi" !
Souvent
dans l'évangile - surtout en celui de St Luc - Jésus répond à une question par
une autre question. A cette question
posée aujourd'hui : "Devons-nous en
attendre un autre ?", il aurait facilement répondu : "Et moi, dois-je toujours attendre,
attendre l'homme nouveau que vous devez réaliser ?". Par et avec moi,
en mon "Noël" permanent.
"Devons-nous en
attendre un autre ?"
Mais, cet "autre", n'est-il pas cet homme nouveau qui se dévoile peu
à peu en moi-même, grâce au Christ ressuscité ?
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