Avent
3.B 14-15
“Qui
es-tu ?”,
demande-t-on à Jean-Baptiste. Et lui de répondre : “Je suis la voix de celui qui crie !”. Il se définit comme "porte-parole",
autrement dit prophète, missionnaire.
Dès que Dieu envahit une âme, celle-ci
devient obligatoirement missionnaire !
Voyez ! Marie reçoit Dieu le jour de
l’Annonciation. Elle porte le Seigneur ! Et que fait-elle ? Elle se hâte, dit
l’Evangile, vers sa cousine Elisabeth dont l’enfant trésaille d’allégresse en
elle. Portant Dieu en elle-même, elle est poussée à le porter aux autres
! Parce que Marie donne déjà Jésus à Jean-Baptiste, celui-ci reçoit cette
investiture de précurseur, de témoin du Christ avant même de naître.
Et remarquons-le : en cette première
rencontre du Christ et de son précurseur, tout se fait par Marie. Jésus
se donne à Jean par sa mère. Et dès lors, la pédagogie divine ne changera pas :
Marie veut nous visiter afin que le Christ vienne en nous et nous établisse
apôtres, missionnaires, témoins. C’est par Marie que tout apostolat devient
fécond. Marie, est bien la "Reine des apôtres !".
Soyons donc à Marie et, comme
Jean-Baptiste, nous serons précurseurs du Christ là où nous nous trouvons ! Car
“Dieu a besoin des hommes”,
a-t-on dit.
Le service apostolique est aussi
indispensable à Dieu que la matière des sacrements ; sans eau, pas de baptême.
Sans pain et vin, pas de Corps et de Sang du Christ. Dieu, délibérément, a
voulu lié sa grâce baptismale, eucharistique à la présence de ces simples
matériaux indispensables.
Il en va de même pour le salut du monde :
Dieu a confié cette tâche à des hommes. Normalement, sans leur concours
visible, tangible, le salut ne sera pas transmis. Il faut un geste de notre
part ; un témoignage toujours plus fort que des arguments ! Telle est la
nécessité de tout apostolat. St Paul le rappellera fortement à plusieurs
reprises, lui qui s'est dit "apôtre du Seigneur" !
Ainsi, servir fidèlement le Christ que nous
recevons de Marie, c’est s’offrir immanquablement à l’apostolat aux mille
visages, sous toutes les formes prévues et imprévues, avec l’unique souci de
frayer la route à Dieu.
Il ne faut surtout pas se dérober sous prétexte que
Dieu peut tout, ni sous prétexte que l’exemple silencieux peut suffire. La
parole suit la foi comme une conséquence directe : A la Pentecôte, est-il dit, “les apôtres, en présence de Marie, (remarquons-le) furent remplis de l’Esprit-Saint et ils se
mirent à parler”. L’enchaînement s’impose. “J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé”, dira St Paul (II Co 4/13). Comment
voulez-vous, ajoutera-t-il, que naisse la foi si elle n’est pas engendrée par
la parole ? Et dans l’Evangile, il est question de vérité à crier sur les
toits, de lumière à ne pas mettre sous le boisseau. La langue muette, la bouche
close du chrétien sont les symboles d’une foi dévaluée. La politique de
non-intervention ne peut se réclamer de Notre Seigneur. “Malheur à moi, si je n’évangélise pas”, disait encore St
Paul.
Et j’ajouterai ici, bien évidemment :
disant cela, je ne veux pas sous-estimer la vie contemplative à laquelle Dieu
appelle certaines âmes. Au contraire, il y a alors pour elles une contrainte
apostolique encore plus grande ! Car leur silence apparent ne doit pas être un
vide, mais une débordante plénitude de Dieu ; ce n’est pas une
désertion, mais une action d’un autre ordre, “au-delà du son”, un
"au-delà" qui doit être plus fort que la parole. Oui, il y a alors
exigence d'une plénitude débordante de Dieu ! C'est le critère de tout apostolat,
mais principalement celui des moines, des moniales.
A ce propos j'aime bien l'histoire que l'on
trouve dans la tradition juive au sujet d'un rabbi, Israël ben Eliezer qui
vécut en Pologne au 18ème s. et qui fut le fondateur de
l'hassidisme, courant spirituel qui insiste sur la communion joyeuse avec Dieu.
Aussi l'avait-on surnommé : "'Baal Shem tov" : le "Maître du bon
Nom" (divin). Un jour qu'il priait et qu'il prononçait ces paroles du
Cantique des cantiques : "Je t'ai
réservé, mon bien-aimé, les fruits nouveaux et les anciens", il
s'interrompit. Et il lança à Dieu son offrande : "Oui, tout ce qui est en moi, tout, le nouveau et l'ancien, tout
pour toi, pour toi seul !". Alors ses disciples qui l'entouraient lui
font observer : "Mais, Rabbi, c'est
bien pour nous que tu donnes les paroles de l'enseignement !". - "Oui, oui, dit-il, mais c'est comme le tonneau quand il déborde
!".
Etre une débordante plénitude de
Dieu ! Voilà le fondement de tout apostolat, “au-delà du son”, bien au-delà des
dogmes, des rites et du chant lui-même dont la beauté est facilement occasion
de vanité. "Contemplata aliis
tradere", dit la tradition scholastique avec St Thomas d'Aquin.
Transmettre aux autres ce qu'on perçoit, la Vie même de Dieu en nous !
Les hauts-lieux de prières où certains
chrétiens se retirent doivent être comme de grandes installations qui captent
le courant à haute tension et alimentent toute une région. Et s’il faut
reconnaître que nous en sommes bénéficiaires, c’est pour mieux transmettre
nous-mêmes le courant de la grâce divine. Et Marie, Reine des Apôtres, nous
aide à faire cheminer cette énergie divine en ceux que nous rencontrons et qui
n’en profitent pas encore.
Etre apôtre ! “Mais, c’est une tâche, dit-on encore, qui n’est pas à notre portée. Il n’y a que
les saints qui sauveront le monde… Et nous ne sommes pas des saints !”. Humilité
trop facile qui s'affiche pour mieux se dérober par crainte ou lâcheté !
Certes, pour convertir le monde, il faut
des saints. Et prions pour que Dieu nous envoie des Augustin, des François, des
Dominique, des Thérèse, des Françoise… Mais on n’a pas le droit d’en conclure
que seuls les Saints ont charge d’âmes et sont seuls responsables du salut de
leurs frères.
D’ailleurs, tout baptisé n'est-il pas sorti
“sanctifié” des eaux du baptême ? Nous n’avons pas à devenir des saints, mais à
le rester. Nous avons à déployer la grâce reçue, cette sainteté initiale du
baptême. En toute rigueur, ce n’est pas parce que nous imitons Notre Seigneur
que nous devenons des saints, mais c’est parce que nous sommes saints - de par
le baptême - que nous avons à l’imiter. Si seuls des êtres exceptionnels
avaient à remplir le devoir d’annoncer l’Evangile, les papes qui appellent... -
et avec quelle insistance depuis Vatican II - ...les papes qui appellent tous
les laïcs à l’apostolat, formuleraient une impossible exigence.
Non, chacun de nous est appelé à crier
l’évangile par toute sa vie. Et Marie qui, sans cesse, nous conduit à son Fils,
nous donnera le moyen d’être constamment "débordants" de la
plénitude de Dieu ! Malgré notre indignité, être "débordants" de
grâces.
D’ailleurs, ce serait faire affront à Dieu
de considérer son action comme impuissante à cause de nos faiblesses, voire de
nos péchés. Toute théologie sacramentelle affirmera cette souveraine
indépendance de la grâce divine qui poursuit son œuvre même si celui qui
confère le sacrement en est indigne. - “Comment cela se fera-t-il”, avait
demandé Marie qui, elle, l'Immaculée, se sentait indigne de la plénitude de
Dieu. Elle saura donc nous transmettre
la réponse qui lui fut faite : “L’Esprit
Saint viendra en toi !”
Certains diront encore : “Mais je n’ai pas la science suffisante
pour porter l’Evangile ! Je ne connais que mon catéchisme, et encore !”.
Mais Dieu n’a pas lié sa parole à quelque parchemin universitaire. Son choix de
l’humble petite fille de Nazareth, celui des douze pêcheurs de Galilée
n’indiquent certainement pas qu’un haut standing intellectuel soit
indispensable pour fonder le Royaume de Dieu.
Il y a même, dans l’Evangile, ce cri de
Jésus devant les petits et les humbles, parce que c’est à eux que sont réservés
les secrets de Dieu. Et l’histoire de
l’Eglise nous montre que dès l’origine le plus grand nombre de conversions
s’opère par des gens très simples.
Les savants, ensuite, sont venus, mais ils
n’étaient pas les premiers, pas plus que les mages à la crèche. Certes, à un
stade ultérieur, le recours à la science est fort utile. Mais ce n’est certainement
pas la première démarche qui risque toujours de nous enfermer dans une certaine
suffisance, le poison de tout apostolat. On ne découvre pas la foi à coup de
syllogismes. “Le temps de la réflexion et
des projets est passé, c’est heure de l’action”, disait le pape Pie XII lui-même
(1947). Marie qui savait
méditer en son cœur, n’hésitait pas à dire, en toute simplicité, à ceux qui l’entouraient,
en désignant son Fils : “Faites tout ce
qu’il vous dira !”
Oui, que toute notre vie soit comme un
cri, une annonce de Celui qui vient, à l’exemple de Jean-Baptiste que Notre
Dame avait visité en lui révélant la présence de Dieu qui se faisait
"Emmanuel" - "Dieu avec nous" ! Accueillons, nous aussi,
Marie, unissons-nous à elle, surtout en ce temps de l'Avent ; et nous
deviendrons de nouveaux précurseurs, nouveaux apôtres dont Dieu a besoin.
Malgré nos défaillances et nos fautes, malgré l’insuffisance de nos
connaissances, nous saurons, unis à Notre Dame, parfaitement transmettre Dieu
fait homme ...par Marie.
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