dimanche 14 décembre 2014

Vie apostolique

Avent 3.B 14-15

“Qui es-tu ?”, demande-t-on à Jean-Baptiste. Et lui de répondre : “Je suis la voix de celui qui crie !”.  Il se définit comme "porte-parole", autrement dit prophète, missionnaire.
Dès que Dieu envahit une âme, celle-ci devient obligatoirement missionnaire !

Voyez ! Marie reçoit Dieu le jour de l’Annonciation. Elle porte le Seigneur ! Et que fait-elle ? Elle se hâte, dit l’Evangile, vers sa cousine Elisabeth dont l’enfant trésaille d’allégresse en elle. Portant Dieu en elle-même, elle est poussée à le porter aux autres ! Parce que Marie donne déjà Jésus à Jean-Baptiste, celui-ci reçoit cette investiture de précurseur, de témoin du Christ avant même de naître.

Et remarquons-le : en cette première rencontre du Christ et de son précurseur, tout se fait par Marie. Jésus se donne à Jean par sa mère. Et dès lors, la pédagogie divine ne changera pas : Marie veut nous visiter afin que le Christ vienne en nous et nous établisse apôtres, missionnaires, témoins. C’est par Marie que tout apostolat devient fécond. Marie, est bien la "Reine des apôtres !".

Soyons donc à Marie et, comme Jean-Baptiste, nous serons précurseurs du Christ là où nous nous trouvons ! Car “Dieu a besoin des hommes”, a-t-on dit.
Le service apostolique est aussi indispensable à Dieu que la matière des sacrements ; sans eau, pas de baptême. Sans pain et vin, pas de Corps et de Sang du Christ. Dieu, délibérément, a voulu lié sa grâce baptismale, eucharistique à la présence de ces simples matériaux indispensables.
Il en va de même pour le salut du monde : Dieu a confié cette tâche à des hommes. Normalement, sans leur concours visible, tangible, le salut ne sera pas transmis. Il faut un geste de notre part ; un témoignage toujours plus fort que des arguments ! Telle est la nécessité de tout apostolat. St Paul le rappellera fortement à plusieurs reprises, lui qui s'est dit "apôtre du Seigneur" !

Ainsi, servir fidèlement le Christ que nous recevons de Marie, c’est s’offrir immanquablement à l’apostolat aux mille visages, sous toutes les formes prévues et imprévues, avec l’unique souci de frayer la route à Dieu.

Il ne faut surtout pas se dérober sous prétexte que Dieu peut tout, ni sous prétexte que l’exemple silencieux peut suffire. La parole suit la foi comme une conséquence directe : A la Pentecôte, est-il dit, “les apôtres, en présence de Marie, (remarquons-le) furent remplis de l’Esprit-Saint et ils se mirent à parler”. L’enchaînement s’impose. “J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé”, dira St Paul (II Co 4/13). Comment voulez-vous, ajoutera-t-il, que naisse la foi si elle n’est pas engendrée par la parole ? Et dans l’Evangile, il est question de vérité à crier sur les toits, de lumière à ne pas mettre sous le boisseau. La langue muette, la bouche close du chrétien sont les symboles d’une foi dévaluée. La politique de non-intervention ne peut se réclamer de Notre Seigneur. “Malheur à moi, si je n’évangélise pas”, disait encore St Paul.

Et j’ajouterai ici, bien évidemment : disant cela, je ne veux pas sous-estimer la vie contemplative à laquelle Dieu appelle certaines âmes. Au contraire, il y a alors pour elles une contrainte apostolique encore plus grande ! Car leur silence apparent ne doit pas être un vide, mais une débordante plénitude de Dieu ; ce n’est pas une désertion, mais une action d’un autre ordre, “au-delà du son”, un "au-delà" qui doit être plus fort que la parole. Oui, il y a alors exigence d'une plénitude débordante de Dieu ! C'est le critère de tout apostolat, mais principalement celui des moines, des moniales.
A ce propos j'aime bien l'histoire que l'on trouve dans la tradition juive au sujet d'un rabbi, Israël ben Eliezer qui vécut en Pologne au 18ème s. et qui fut le fondateur de l'hassidisme, courant spirituel qui insiste sur la communion joyeuse avec Dieu. Aussi l'avait-on surnommé : "'Baal Shem tov" : le "Maître du bon Nom" (divin). Un jour qu'il priait et qu'il prononçait ces paroles du Cantique des cantiques : "Je t'ai réservé, mon bien-aimé, les fruits nouveaux et les anciens", il s'interrompit. Et il lança à Dieu son offrande : "Oui, tout ce qui est en moi, tout, le nouveau et l'ancien, tout pour toi, pour toi seul !". Alors ses disciples qui l'entouraient lui font observer : "Mais, Rabbi, c'est bien pour nous que tu donnes les paroles de l'enseignement !". - "Oui, oui, dit-il, mais c'est comme le tonneau quand il déborde !".
Etre une débordante plénitude de Dieu ! Voilà le fondement de tout apostolat, “au-delà du son”, bien au-delà des dogmes, des rites et du chant lui-même dont la beauté est facilement occasion de vanité. "Contemplata aliis tradere", dit la tradition scholastique avec St Thomas d'Aquin. Transmettre aux autres ce qu'on perçoit, la Vie même de Dieu en nous !

Les hauts-lieux de prières où certains chrétiens se retirent doivent être comme de grandes installations qui captent le courant à haute tension et alimentent toute une région. Et s’il faut reconnaître que nous en sommes bénéficiaires, c’est pour mieux transmettre nous-mêmes le courant de la grâce divine. Et Marie, Reine des Apôtres, nous aide à faire cheminer cette énergie divine en ceux que nous rencontrons et qui n’en profitent pas encore.

Etre apôtre ! “Mais, c’est une tâche, dit-on encore, qui n’est pas à notre portée. Il n’y a que les saints qui sauveront le monde… Et nous ne sommes pas des saints !”. Humilité trop facile qui s'affiche pour mieux se dérober par crainte ou lâcheté !
Certes, pour convertir le monde, il faut des saints. Et prions pour que Dieu nous envoie des Augustin, des François, des Dominique, des Thérèse, des Françoise… Mais on n’a pas le droit d’en conclure que seuls les Saints ont charge d’âmes et sont seuls responsables du salut de leurs frères.
D’ailleurs, tout baptisé n'est-il pas sorti “sanctifié” des eaux du baptême ? Nous n’avons pas à devenir des saints, mais à le rester. Nous avons à déployer la grâce reçue, cette sainteté initiale du baptême. En toute rigueur, ce n’est pas parce que nous imitons Notre Seigneur que nous devenons des saints, mais c’est parce que nous sommes saints - de par le baptême - que nous avons à l’imiter. Si seuls des êtres exceptionnels avaient à remplir le devoir d’annoncer l’Evangile, les papes qui appellent... - et avec quelle insistance depuis Vatican II - ...les papes qui appellent tous les laïcs à l’apostolat, formuleraient une impossible exigence.

Non, chacun de nous est appelé à crier l’évangile par toute sa vie. Et Marie qui, sans cesse, nous conduit à son Fils, nous donnera le moyen d’être constamment "débordants" de la plénitude de Dieu ! Malgré notre indignité, être "débordants" de grâces.
D’ailleurs, ce serait faire affront à Dieu de considérer son action comme impuissante à cause de nos faiblesses, voire de nos péchés. Toute théologie sacramentelle affirmera cette souveraine indépendance de la grâce divine qui poursuit son œuvre même si celui qui confère le sacrement en est indigne.  - “Comment cela se fera-t-il”, avait demandé Marie qui, elle, l'Immaculée, se sentait indigne de la plénitude de Dieu.  Elle saura donc nous transmettre la réponse qui lui fut faite : “L’Esprit Saint viendra en toi !”

Certains diront encore : “Mais je n’ai pas la science suffisante pour porter l’Evangile ! Je ne connais que mon catéchisme, et encore !”. Mais Dieu n’a pas lié sa parole à quelque parchemin universitaire. Son choix de l’humble petite fille de Nazareth, celui des douze pêcheurs de Galilée n’indiquent certainement pas qu’un haut standing intellectuel soit indispensable pour fonder le Royaume de Dieu. 
Il y a même, dans l’Evangile, ce cri de Jésus devant les petits et les humbles, parce que c’est à eux que sont réservés les secrets de Dieu.  Et l’histoire de l’Eglise nous montre que dès l’origine le plus grand nombre de conversions s’opère par des gens très simples.
Les savants, ensuite, sont venus, mais ils n’étaient pas les premiers, pas plus que les mages à la crèche. Certes, à un stade ultérieur, le recours à la science est fort utile. Mais ce n’est certainement pas la première démarche qui risque toujours de nous enfermer dans une certaine suffisance, le poison de tout apostolat. On ne découvre pas la foi à coup de syllogismes. “Le temps de la réflexion et des projets est passé, c’est heure de l’action”, disait le pape Pie XII lui-même (1947). Marie qui savait méditer en son cœur, n’hésitait pas à dire, en toute simplicité, à ceux qui l’entouraient, en désignant son Fils : “Faites tout ce qu’il vous dira !”

Oui, que toute notre vie soit comme un cri, une annonce de Celui qui vient, à l’exemple de Jean-Baptiste que Notre Dame avait visité en lui révélant la présence de Dieu qui se faisait "Emmanuel" - "Dieu avec nous" ! Accueillons, nous aussi, Marie, unissons-nous à elle, surtout en ce temps de l'Avent ; et nous deviendrons de nouveaux précurseurs, nouveaux apôtres dont Dieu a besoin. Malgré nos défaillances et nos fautes, malgré l’insuffisance de nos connaissances, nous saurons, unis à Notre Dame, parfaitement transmettre Dieu fait homme ...par Marie.

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