8 Décembre -
Vous me
permettrez aujourd'hui, en cette fête de l'Immaculée Conception, de faire
mémoire de Dom Guéranger qui obtint de la Vierge Immaculée tant de grâce
en vue de la restauration de l'Ordre bénédictin en France (Début 11 juillet 1833 -
approbation par le pape Grégoire XVI : 14 Juillet 1837).
Dès son
adolescence, Prosper Guéranger était un passionné par la lecture. L'histoire,
la littérature surtout, retenaient son attention, avec le souci de réfléchir
sur sa foi.
D'instinct,
il aime l'Eglise, vit de la vie des saints, s'alimente aux écrits des
"Pères de l'Eglise" ! Mais bien des livres qui lui tombaient dans les
mains étaient imprégnés de gallicanisme et de soupçon à l'égard des
doctrines romaines.
Aussi, il
n'est pas étonnant de lire dans son autobiographie cet aveu : "J'en demande pardon à la Reine du
ciel, son immaculée Conception était à mes yeux un préjugé sans fondement,
auquel il me semblait qu'il fallait résister" (1). Il avait alors dans
les treize ans. Sur ses dix-sept ans, en 1822, il restait dans les mêmes
sentiments : "Le divin mystère de
l'incarnation était bien l'objet de ma foi ; mais faute d'enseignement, je n'en
percevais guère les conséquences ni les applications. Le rôle de la très Sainte
Vierge dans le plan de Dieu m'était voilé, et il m'arriva cette année encore de
parler légèrement sur l'Immaculé-Conception. Je priais cependant Marie de bon cœur
comme ayant un pouvoir supérieur d'intercession ; mais c'était tout, et je ne
soupçonnais rien de ses grandeurs. Son Assomption corporelle me semblait avoir
contre elle la saine critique" (2).
C'est lorsqu'il
rentre au séminaire qu'il commence, par grâce divine et par grâce mariale
certainement, à entrevoir différemment. Mais, écrit-il, "le 'mens divinior' - traduisons 'l'esprit plus attentif, plus
soumis à Dieu' - ne m'avait pas été donné
encore, et tout mon édifice gallico-janséniste ne tombait que pièce à pièce.
Les yeux du cœur dont parle St Paul - "illuminatos
oculos cordis" -
"l'illumination des yeux du cœur" (Eph. 1.18) - n'étaient pas ouverts, et, par un phénomène étrange, ma nature plus
poétique que rationnelle ne savait pas s'élever au surnaturel autrement que par
le devoir de la foi.
Ce fut alors que la très miséricordieuse et très compatissante
Reine Marie Mère de Dieu vint à mon aide d'une manière aussi triomphante
qu'inattendue. Le 8 décembre 1823, je faisais
le matin ma méditation avec la communauté, et j'avais abordé mon sujet (le mystère du jour) avec mes vues rationalistes comme
à l'ordinaire.
Mais voici qu'insensiblement je me sens entraîné à croire Marie
immaculée dans sa conception ; la spéculation et le sentiment s'unissent
sans effort sur ce mystère, J'éprouve une joie douce dans mon acquiescement ;
aucun transport, mais une douce paix avec une conviction sincère. Marie avait
daigné me transformer de ses mains bénies, sans secousse, sans enthousiasme ;
c'était une nature qui disparaissait pour faire place à une autre. Je n'en dis
rien à personne ; d'autant que j'étais loin encore de sentir toute la portée
qu'avait pour moi une telle révolution. J'en fus ému sans doute alors ; mais je
le suis bien autrement aujourd'hui que je comprends toute l'étendue de la faveur
que la très sainte Vierge daigna me faire ce jour-là. Qu'elle daigne maintenant
faire que je l'en remercie dans l'éternité bienheureuse !".
Le dogme de
l'Immaculée Conception n'était pas encore défini, bien sûr. Mais Dom Guéranger évolua si
bien qu'il fut, par la suite, l'un des plus ardents promoteurs de cette définition
en vue de laquelle il écrivit un mémoire très apprécié par le pape Pie IX qui
promulgua ce dogme le 8 Décembre 1854, trente ans après la grâce insigne que
Dom Guéranger avait reçue sur Marie.
Mais ce que
je retiens personnellement, ce sont les termes en lesquels Dom Guéranger relate
sa transformation intérieure. On découvre par l'emploi de ces termes ce qu'est
véritablement un acte de foi : acte de l'intelligence conduit par la
volonté, elle-même mue par la grâce de Dieu. "Insensiblement, disait-il, je me sens entraîné à croire Marie immaculée dans sa conception"
: doutes et difficultés intellectuelles s'effacent pour faire place à une
certitude intime venant de Dieu. "La
spéculation et le sentiment s'unissent sans effort sur ce mystère, j'éprouve
une joie douce dans mon acquiescement ; aucun transport, mais une douce paix
avec une conviction sincère" : l'adhésion n'est pas forcée, mais donnée
par Dieu et donnée aussi par l'âme qui la reçoit librement. C'est
vraiment ce que la tradition spirituelle appelle la force et la douceur dans le
consentement.
Marie
immaculée a ressenti cette disposition de sa volonté mue par la grâce
divine, disposition à elle donnée dès sa conception ; elle a été, sa vie
durant, ce "oui" permanent à l'action de Dieu, un
"oui" manifesté par sa volonté, en son cœur.
Qu'elle nous
ouvre doucement à Dieu et aux autres, en triomphant de toutes les duretés ou
fermetures qui nous paralysent !
Car Dieu parle sans cesse et sa parole est toujours agissante.
Sa Parole fait ! Lors de la création, Dieu dit, et ce fut !
Il est bon d'ailleurs de remarquer qu'en hébreu, Parole divine
et acte divin, c'est le même mot ("dabar").
Alors
que dans le grec classique, le mot "Logos", s'entend seulement
du "discours", dans le grec biblique, ce mot "Logos" traduit le mot hébreu "dabar"
et signifie "une parole qui fait, qui agit… ",
-
une parole agissante : au jour de la création, Dieu dit et ce qu'il dit existe
!
- une
parole qui se fait chair.
Aussi,
le Concile Vatican II (Dei Verbum 4) affirme que "Jésus est 'Parole faite chaire' (…) ; et il prononce les paroles de Dieu, et ainsi il achève l’œuvre de salut du Père… par ses paroles et ses œuvres…".
Jésus
n'avait dit-il pas dit : "Ce que je
dis, je le dis comme le Père me l'a dit !" (Jn
12.50). Et il s'adressait à Dieu en disant : "Je leur ai donné ta parole... Et ta parole est vérité.
Consacre-les (mes
disciples)
dans la vérité" (Cf. Jn 17.14-19). C'était son œuvre ! "Mon Père est à l'œuvre et moi aussi je
suis à l'œuvre !" (Jn 5.17). Or
"l'œuvre de Dieu, c'est de croire en
celui qu'Il a envoyé !" (Jn 6.29).
La
foi est cet accueil de la Parole agissante de Dieu. Dieu parle.
C'est une parole d'amour, fondant une amitié, puis introduisant, déjà, dans
cette société d'amour qu'est la Sainte Trinité, prémices de la vision dans
l'au-delà !
Ainsi,
comme le soulignait Dom Guéranger, la foi va bien au-delà du raisonnement,
nécessaire cependant ; elle est accueil de la Parole de Dieu qui agit
en notre cœur pour que lui aussi comprenne la "Parole" et la
mette en œuvre, l'applique...
Que
Marie, l'Immaculée, qui a toujours dit "oui" à Dieu, aide notre
volonté à toujours accueillir la Parole efficace de son divin Fils... C'est lui
qui nous conduit au Père par leur Esprit commun ! "L'esprit viendra en toi", avait dit l'ange à Marie !
(1) Éd. des
Archives Dom Guéranger, V, Solesmes, 1996, p. 8.
(2) Ibid.,
p. 14.
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