jeudi 2 mai 2013

Conflits et charité


Saint Athanase   -   2 Mai


Le milieu en lequel St Athanase naquit à Alexandrie en 295 (+ 373) offrait une grande diversité. Les Juifs étaient nombreux, puissants mais repliés sur eux-mêmes. Les païens adoraient multiples divinités. Et parmi les chrétiens, certains se rattachaient à diverses sectes (manichéens, gnostiques de tous poils...). De plus, Athanase, encore enfant lors de la persécution de Dioclétien (303-4), entendit parler des martyrs, des confesseurs de la foi durant cette période ; il apprit ainsi jusqu'où pouvait aller l'amour pour le Christ, pour Dieu !

C'est dans ce contexte bariolé qu'il approfondit sa foi. D'abord auprès de l'évêque d'Alexandrie, Pierre ; puis il fréquenta Antoine, le patriarche des solitaires d'Egypte auxquels il sera toujours lié. Il étudia beaucoup. Grégoire de Nazianze nous dit qu'il possédait une étonnante connaissance de la Bible. Ses écrits, d'ailleurs, le prouvent par leurs nombreuses citations scripturaires.

Ainsi, le dynamisme de l'Egypte, la culture grecque, la doctrine chrétienne et le témoignage des martyrs contribuèrent fortement à former la physionomie intellectuelle et morale du futur écrivain et défenseur de la foi chrétienne. Dans son premier ouvrage, en 320 - il a 25 ans -, il écrivait, faisant allusion aux persécutions : "Quand le Sauveur ressuscité a tous les jours une telle action parmi les hommes qu'il les persuade tous à son enseignement, ce n'est point là l'œuvre d'un mort, mais d'un vivant ; bien plus, c'est l'œuvre d'un Dieu !".

Cette phrase résume l'action d'Athanase dont toute la vie fut consacrée à défendre la divinité du Christ. D'abord en sa ville natale où deux courants de pensée s'opposaient, celui de l'orthodoxie représenté par l'évêque et celui de l'intellectualisme représenté par la célèbre école "La Didascalée", courant intellectuel remontant à celui des Juifs dont la "Septante" est une illustration magnifique. Le grand représentant de cette école fut Origène (184-253) ; mais bien des auteurs célèbres la fréquentèrent : Grégoire le Thaumaturge (214-270), Grégoire de Nazianze (329-390), plus tard Cyrille d'Alexandrie (376-444)... Athanase lui-même en fut un auditeur, curieux qu'il était des courants intellectuels et spirituels de son temps.

Une Eglise d'Alexandrie mouvementée ! D'autant que, durant la persécution, certains chrétiens avaient failli et sacrifié aux idoles. L'évêque Pierre eût envers eux grande indulgence pour les réinsérer dans l'Eglise. Cependant, un certain Mélèce de Lycopolis (Egypte), au passé pourtant obscur durant la persécution, s'opposa fortement à la bienveillance de l'évêque à l'égard des renégats repentis. Il s'entoura de partisans rigoristes - intégristes, dirions-nous , créant ainsi avec une hiérarchie parallèle un shiisme local. Mais, ce n'était qu'un début ! Peu après, Arius, prêtre d'Alexandrie, transposa la querelle disciplinaire sur le terrain dogmatique. Il expliqua que le Verbe de Dieu n'est pas éternel, qu'il a été créé dans le temps par Dieu le Père, et que, dès lors, il ne mérite qu'improprement, par métaphore, le titre de Fils de Dieu !
Vous connaissez la suite : le Concile de Nicée, en 325..., etc. Toute la vie d'Athanase fut dès lors une succession de conflits.

Si je me suis étendu sur le contexte mouvementée de la vie d'Athanase dès sa prime jeunesse, c'est pour inviter à réfléchir sur les divers conflits en l'Eglise... Les conflits, dans l'Eglise, sont nés avec elle. Rappelons celui de Paul avec Barnabé au sujet de Marc : “leur désaccord s'aggrava tellement qu'ils partirent chacun de leur côté” (Ac. 15/39) - ça dû chauffer sérieusement ! - L'histoire de l'Eglise est jalonnée de conflits : schisme d'Orient, Grand Schisme, schismes de la Réforme, des Vieux Catholiques etc... - Et sans parler des difficultés internes : docétisme, arianisme, nestorianisme, donatisme, pélagianisme, catharisme, jansénisme, intégrisme, etc.. - Sans oublier les luttes mémorables entre St Thomas d'Aquin et Siger de Brabant, St Bernard et Abélard, entre augustiniens et thomistes ! Entre Thérèse d'Avila et le Maître général de l'Ordre,  St Jean de la Croix et ses propres frères !… etc.

Il faut beaucoup réfléchir et prier St Athanase pour comprendre que toute opposition, même forte, ne blesse pas nécessairement la charité fraternelle. Inversement, il est des ententes qui blessent mortellement la charité.

Qu'est-ce donc que la charité et quels sont les conflits qui la blessent ?
La charité, dit St Thomas d'Aquin, est une vertu théologale, c'est-à-dire une disposition créée gratuitement par Dieu qui permet à notre volonté
+ de l'aimer Lui, parce qu'll est le seul Bien,
+ et d'aimer nos frères parce qu'ils sont, comme nous le sommes, aimés du Père et appelés à la jouissance de la divine béatitude.
L'acte de la charité requiert donc d'aimer Dieu en Lui-même et  de l'aimer dans chacun de nos frères. Il est donc impossible d'aimer Dieu en Lui-même et ne pas l'aimer dans nos frères. Ce qui blesse la charité fraternelle blesse aussi la charité envers Dieu. L'une ne va pas sans l'autre.

Aussi, qu'est-ce qui blesse la charité fraternelle en de nos divers conflits ?
Pour comprendre, il faut distinguer
+ la charité fraternelle
+ de l'affection naturelle, amicale
Différente de l'amitié naturelle, même vertueuse, la charité exige que nous aimions notre prochain pour Dieu et en Lui.

Il pourra donc arriver que l'amitié, l'affection envers une personne, soit blessée sans que la charité soit détruite. Le cas extrême est l'"amour des ennemis" dont parle Notre Seigneur. Si on ne peut les aimer d'une amitié naturelle, il nous reste à garder pour eux le lien de la charité, désirer pour eux la béatitude éternelle -  désir pouvant amener à une réconciliation -.
Inversement, il peut arriver que la charité soit détruite et que naisse ou subsiste une amitié naturelle. Un exemple frappant se trouve dans l'évangile, lors de la condamnation de Jésus par Hérode et Pilate : "Ils devinrent amis, est-il dit, eux qui auparavant étaient ennemis" (Lc 23.12)..

Il y a donc des conflits qui blessent la charité ; mais il y en a d'autres qui tout en secouant très fort les sensibilités peuvent être l'occasion d'un progrès dans la charité ou même sont commandés par elle. Prions St Athanase qui vécut moult conflits de nous éclairer fortement sur ce point !

Car ce n'est pas facile de discerner.
Il y a des communautés de vie en lesquelles les conflits n'existent pas parce que avant tout "on ne veut pas d'histoire !". Et parce que "on ne veut pas d'histoire", on devient vite étrangers, indifférents aux autres. Ce n'est pas le lien de la charité qui unit, c'est celui de la tolérance. Chacun s'isole dans son univers humain ou spirituel. Ces communautés, nous les connaissons bien, ce sont celles que fabrique notre société moderne et libérale.

Au contraire, en d'autres communautés de vie, les conflits prennent vite l'allure d'un scandale. Ce sont celles où le lien de la charité est confondu avec l'intensité du lien affectif. Tout ce qui blesse le consensus psycho-affectif, devient alors cause de conflit et est considéré comme un manque de charité. En réalité ce qui est ressenti et qui fait mal n'est pas tant la “faute” contre la charité que l'ébranlement de la sécurité affective. On recherche la tendresse, la sympathie, l'amitié humaine en aimant l'autre et la communauté elle-même pour ce qu'ils peuvent m'apporter mais en oubliant que la charité unit d'abord à Dieu et que c'est Lui qui est la raison d'aimer ses frères.

La communauté ecclésiale n'est donc pas toujours une société en laquelle les conflits n'existent pas. Car elle n'est pas un “ghetto” qui étouffe la libre motion de l'Esprit. Les conflits existent car l'Esprit souffle où il veut ! L'histoire du Concile Vatican II en est un bon exemple !

Les affrontements que nous pouvons connaître entre chrétiens ne blessent pas toujours la charité. Souvent ils permettent de faire le point sur nos motivations profondes et sur notre disponibilité à être au service du Seigneur. Ils peuvent aussi faire prendre conscience parfois que nous avons perdu “la ferveur de notre premier amour” (Apoc. 2, 4).
Les conflits blessent la charité quand ils nous portent à pécher ; et cela se produit toujours quand, dans nos affrontements, nous passons du dialogue viril à des jugements qui condamnent. On n'aime plus l'autre en Dieu !
Mais il arrive aussi que l'attitude qui cherche à éviter tout conflit pour “ne pas manquer à la charité” soit une faute réelle contre la vraie charité, car la charité recouvre obligatoirement la vérité !

Que c'est difficile, très difficile ! Prions aujourd'hui St Athanase de nous aider à défendre, à découvrir toujours plus la vérité dans la charité, dans l'amour de Dieu et de nos frères tout à la fois !

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