dimanche 2 septembre 2012

Loi et liberté !


22ème  Dimanche du T.O. 12/B            

          Les “Pharisiens”, vous connaissez ? Ce mot est resté péjoratif. Mais qui étaient-ils donc ces hommes que très souvent Jésus affronte rudement ?   “Pharisien” signifie “séparé”. A cause des particularités de leur comportement ? Peut-être. On ne sait pas très bien.

En tous les cas, il faut chercher leur origine dans les cercles juifs qui organisèrent la “résistance” contre l'invasion du “style de vie” païen des Grecs au 2e s. avant notre ère. On luttait alors pour conserver toute la pureté de la religion du Dieu Unique, du Dieu de l’Alliance. Une fois passé le péril le plus grave, un certain nombre - quelques prêtres, mais surtout des laïcs - resteront groupés en “associations pieuses“ (c’est un “instinct“ de tous les temps ; on ne discute pas les instincts !) : on y observait méticuleusement la Loi et les traditions des anciens, et particulièrement les préceptes de pureté.

Ces hommes attendaient que Dieu intervienne en personne. Ils formaient, pensaient-ils, l'authentique peuple de Dieu, préparant sa venue! Ils étaient environ six mille au milieu de la population juive du temps de Jésus que l'on estime à un demi-million.

Ce jour-là, des Pharisiens étaient offusqués parce que les disciples de Jésus se mettaient à table sans se laver les mains. Ce n'était certes pas simple affaire d'hygiène. C'était pour un motif religieux. Eux se lavaient les mains comme les prêtres avant qu’ils consomment les offrandes. Ce faisant, ils se présentaient comme le véritable peuple de prêtres, l'Israël saint et pur qui appelait la venue du Dieu trois fois saint !

Jésus les traite souvent d'“hypocrites”. “Hypocrites, avait-il lancé un jour, qui dites : « Si l’on jure par le sanctuaire, c’est nul ; mais si l’on jure par l’or du sanctuaire, on est engagé ! »“. Ainsi, par votre enseignement, d’un converti, “vous en faites un homme de perdition !“ (Mth 23.16). Faire de son frère un homme de perdition ! Question grave quand même…, mais toujours actuelle ! Aussi, aujourd’hui, Jésus leur rappelle sèchement les paroles que le prophète Isaïe prononçait au nom de Dieu : “Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi…”, en expliquant : “Vous laissez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes”.

Le débat est d’importance et il s'est élargi singulièrement. Certes, nous sommes loin des mains lavées ou non. Comprenons bien le reproche de Jésus. Il dénonce la prétention de ces hommes dont la suffisance les a conduits à s'isoler en se croyant toujours, en se déclarant être du “côté de Dieu“ ! Evidemment ! En bons religieux, si je puis dire ! En réalité leur “tradition” est souvent une échappatoire pour fuir le Dieu Vivant ! Jésus leur dit à peu près : “Vous vous êtes finalement protégés de Dieu lui-même en bâtissant un système d'observances qui vous rend, pensez-vous, justes devant Dieu, obligatoirement. En fait, vous vous êtes enfermés en vos actes extérieurs au lieu de regarder en vous où Dieu veut être présent. C’est pourtant cela l’essentiel : cette présence de Dieu qui traverse l'homme jusqu'au creux de son cœur”. “Crée en moi un cœur pur“, priait David. C’est bien autre chose ! 

Si Jésus attaque brutalement ce système d'exigences rituelles et morales, c'est pour que l’homme ne pense pas avoir des droits sur Dieu après avoir accompli des prestations extérieures. Il doit toujours être pauvre et disponible devant Dieu ! De plus, Jésus refuse que l’homme s’enlise dans des comportements ; toujours, il veut l’ouvrir à la simplicité brûlante du Dieu qui n'est pas un code, mais un Vivant. Jésus ne veut pas s’arrêter à la surface de l'homme ; Il creuse bien au-delà des pratiques religieuses et morales… Il veut même “déchirer l’enveloppe de son cœur“, dit le prophète Osée (13 8), pour lui parler cœur à cœur (Cf. Os. 2.16).

Certes, Jésus dira : “Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais la conduire à son accomplissement” (Mt 5,17). Car la Loi est bien un don précieux de Dieu. Elle nous protège de nos libertinages. Mais, à elle seule, elle ne suffit pas. Au jeune homme qui proclamait fièrement observer tous les commandements, Jésus rétorque qu'il lui manque encore quelque chose (Mc 10, 20-21). Non seulement la bonne observance ne suffit pas, mais elle peut se refermer comme un piège sur celui qui croit pouvoir s’en glorifier. C'est le piège des pharisiens de tous les temps. Et Jésus se montre très sévère à leur égard. Car non seulement, l'essentiel leur fera défaut, mais leur autosatisfaction, en les repliant sur une rigoureuse observance, risque de les fourvoyer et de tromper : ce n'est pas le pharisien, si content de lui-même, qui rentrera chez lui justifié, mais le publicain, si pauvre en observance, dira un jour Jésus !

En suivant la logique des pharisiens, on en arrive à pervertir la Loi, la réduire à ne plus être qu'une “tradition des hommes”, un édifice de rites extérieurs, une casuistique qui ne donne pas la vie, qui devient même, paradoxalement, mortifère, dira St Paul. “La lettre tue, seul l'Esprit donne la vie” (2 Co 3.6). Cet ancien “pharisien, fils de pharisien“ (Ac. 23.6) sera, lui aussi, très sévère à ce sujet dans sa lettre aux Galates et surtout en celle des Romains.

Certes, dira-t-il, le commandement est nécessaire. D'abord, il nous protège de nos libertinages. Mais ce n'est pas là le plus important. Au début, le commandement fait mal, contraint, semble même nous réduire en esclavage. Salutaires blessures que St Benoît soulignera magnifiquement. Car elles peuvent creuser en nous un désir secret et neuf, le désir d'être libérés de l'esclavage de la Loi, non pour retomber dans le libertinage (tentation permanente), mais pour être en mesure d'aller au-delà de la Loi, ce désir d'être aspiré au-delà par l'Esprit Saint pour trouver enfin la vraie liberté. C'est en ce sens que St Paul dit de la Loi qu'elle peut devenir un pédagogue vers la liberté, lorsqu'elle nous conduit au-delà d'elle-même (Ga 3,24-25).

Cet au-delà de la Loi est en fait un au-dedans. C'est le message de l'évangile d'aujourd'hui. Le vrai bien et le vrai mal ne sont pas à l'extérieur de nous, ils sont au-dedans de nous. La Loi véritable, celle qui, un jour, rendra tous les commandements caducs et superflus,  est dans notre cœur : elle est l'amour, “répandu en nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné“ (Rom 5,5). Car “l’amour, dit encore St Paul, est le plein accomplissement de la Loi“ (Rm 13.10). Là où est l'Esprit d’amour, là aussi est la parfaite liberté qui nous mène au-delà de la Loi (Cf. 2 Co 3,17). Liberté de l'amour, liberté unique qui nous fait agir avec aisance, avec joie et avec une extrême douceur, et par laquelle tout ce que nous faisons de bien coule de source, de cette source qu'est l'Esprit Saint en nous. C’est ainsi que St Augustin pourra dire : “Aime et fais ce que tu veux !“.

Le P. Congar a une belle comparaison : “Dans les lois que nous découvrons dans la Bible, les évolutions sont, en gros, les mêmes que dans la nature : Dans la nature, il y a d’abord les êtres qui n'ont rien de solide, les mollusques. Puis ils acquièrent une solidité, mais qui est à l’extérieur d’eux-mêmes (comme les escargots). Au fur et à mesure que l’on avance dans l’évolution, le solide passe de l’extérieur vers l’intérieur ; on en arrive aux vertébrés qui peuvent courir, sauter, danser ou voler même.

                Et bien, dans l’évolution spirituelle, nous avons tous à nous situer, mais de façon toujours dynamique ! Il y a peut-être encore des “chrétiens de l’A.T.“, comme disait Pascal, ces chrétiens qui manifestent une éducation traditionnelle reçue un peu comme une sorte de carapace extérieure. On peut facilement la caricaturer, en rire. Cependant, normalement - et c’est la grande question -, cette carapace peut, doit permettre au squelette de se former à l’intérieur, si je puis dire. Et peu à peu la Loi qui s’imposait de l’extérieur, tous ces règlements divers deviennent comme une partition musicale que nous sommes appelés à jouer dans les spontanéités de la liberté de l’amour, cette partition musicale qui épanouit ce qu’il y a de meilleur en nous quand Dieu nous a créés “à son image et ressemblance“. La Loi devient, par l’Esprit d’Amour en nous, cette Sagesse qui joue en présence de Dieu Créateur (Cf. Pr 8.30), cette Sagesse qui, en nous, devient “le livre des commandements de Dieu“ (Ba 4.1) !
  
                 Je terminerai ce propos difficile, en remarquant que dans la Bible, c’est l’Esprit-Saint qui est toujours à l’origine de l’Institution, de la structuration du peuple et même de la construction du temple en tous ses détails. Mais l’Esprit d’amour qui est à l’origine de l’Institution ne veut absolument pas lui-même en être prisonnier. On dirait qu’il prend plaisir parfois au cours de l’histoire à intervenir de l’extérieur pour nous bousculer et nous faire toujours mieux réfléchir au sens de l’Institution, des observances diverses.

                Le premier à en faire l’expérience dès le Nouveau Testament, c’est St Pierre, le chef de l’Institution nouvelle qu’est l’Eglise. Après le songe gastronomique qu’il a, lorsqu’il méditait à Joppé, sur la terrasse chez un certain Simon le corroyeur…, il se rend alors chez Corneille à Césarée sur qui il voit l’Esprit Saint tomber. Aussi, a-t-il cette réflexion : “Peut-on refuser le baptême à ceux qui ont reçu l’Esprit Saint, comme à nous ? “. Et il baptise Corneille sans souci de rituel, d’observances. Il faudra qu’il s’en explique, le pauvre St Pierre, devant l’Eglise naissante ! Cela doit nous faire réfléchir. Et chacun peut faire des applications… !

            Certes, les lois, les observances sont bonnes, nécessaires à condition qu’elles nous conduisent là où il n’y aura plus ni observances, ni lois, mais l’Amour seul, ce que n’arrive pas à comprendre les pharisiens au temps de Notre Seigneur, les pharisiens de tout temps et de tout pays.


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