jeudi 6 mai 2010

Pâques 5 Jeudi – Concile de Jérusalem. - Ac 15, 7-21 - Ps 95 - Jn 15, 9-11

La lecture d’aujourd’hui nous plonge dans le 1er Concile de l’histoire de l’Eglise, qui a eu lieu à Jérusalem vers  48 ap. J.C.

St Luc montre, dans sa relation du Concile, la préoccupation qu’il a toujours de montrer que si Pierre, Jacques et Paul sont inséparables comme “colonnes de l’Eglise“, il faut mettre en valeur la primauté de Pierre.

Après la conversion de Paul sur le chemin de Damas, il avait fait “disparaître“ celui-ci une bonne dizaine d’années et avait concentré notre attention sur Pierre qui, profitant d’une période de tranquillité, avait évangélisé Lods et Jaffa, et baptisé le centurion Corneille, au cours d’une sorte de nouvelle “Pentecôte pour les païens“ :  "Peut-on refuser l'eau du baptême à ceux qui ont reçu l'Esprit Saint aussi bien que nous  ?"  (Ac 10,47). Dans la maison de Corneille, “Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint tombe sur tous ceux qui écoutaient la Parole… ; et tous les croyants circoncis qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de voir que le don du Saint Esprit avait été réparti aussi sur les païens“ (Ac 10,44).

C’est seulement après avoir montré cette primauté de Pierre que St Luc “remet en scène“ Paul que Barnabé va chercher à Tarse pour l’amener à Antioche de Syrie d’où partira le premier grand voyage missionnaire.

C’est encore à Pierre que St Luc donne de prendre la parole au Concile de Jérusalem. C’est Pierre qui a été choisi dès les premiers jours pour la prédication aux païens. “Dieu a donné l’Esprit Saint aux païens comme à nous, sans faire aucune distinction. Ce serait tenter Dieu que “de leur imposer un joug que ni nos pères, ni nous-mêmes n’avons eu la force de porter“. L’assemblée fait silence pour écouter Paul et Barnabé exposer ce qui s’était passé pendant les deux années de leur voyage missionnaire. Puis c’est Jacques qui prend la parole.

Il y a là une remarque très intéressante à faire, mais difficile de développer en quelques lignes. Jacques forme son argumentation à partir du prophète Osée qu’il doit aimer à cause de ses exigences et rigueurs spirituelles. Cependant, pour ce faire, il choisit la transcription des Septante (écrite deux siècles av. J.-C. à Alexandrie) : “…afin que le reste des hommes cherche le Seigneur ainsi que les nations païennes“. Le texte hébreu (de la tradition de Jérusalem qui sera figée au 9ème siècle, à Tibériade : la Massore), exprime, lui, une exaltation du peuple d’Israël qui doit conquérir toutes les nations : “…afin qu’ils conquièrent le reste d’Edom (l’ennemi traditionnel) et toutes les nations…“.

Il serait trop long d’expliquer ce changement de sens dû simplement au choix d’une vocalisation sur un mot (les voyelles ne sont pas précisées en hébreu) et à un ajout d’une seule consonne au verbe de la phrase (1).

Il suffit de remarquer l’esprit très ouvert, très universaliste des Septante. Or - et c’est capital -, c’est à cette tradition que Jacques se réfère, lui qui est qualifié souvent de “judéo-chrétien“ (on dirait aujourd’hui traditionaliste, voire progressiste !). C’est vite dit ! En fait, Jacques se montre très accueillant, moins que Paul et Barnabé peut-être (?), aux païens convertis. Avons-nous cette même ouverture, cet esprit d’universalité de l’Eglise du Christ ?

Jacques, me semble-t-il, est un “sage“ qui sait établir des tremplins afin d’éviter des ruptures.

Mais on devine qu’il y a du avoir de fortes tensions au sein de la Communauté chrétienne, lors de ce Concile de Jérusalem. St Luc, dans le livre des Actes, ne les dissimule pas. Elles ont existé tout au long de l’Ancien Testament… tout au long de l’histoire de l’Eglise. St Luc nous donne une bonne leçon aujourd’hui en nous présentant St Jacques, intelligent et pieux certainement ; il ouvre la porte de l’Eglise non avec fougue (comme l’aurait voulu Paul, peut-être), mais avec grande sagesse. Il ne fait pas de distinction entre les personnes.

Il demande simplement aux convertis du paganisme de s’abstenir des idoles (des habitudes idolâtriques), des unions illégitimes et des viandes étouffées et du sang (le sang est le symbole de la vie ; et la vie vient de Dieu !). Après tout, il n’est pas interdit de rappeler ces paroles en notre temps, en notre monde oublieux de Dieu, où tout est soumis à l’idole de l’Economie, où on mange  n’importe quoi, n’importe comment et n’importe quand, et où on donne un statut légal au mariage homosexuel !

  1. Pour ceux que cela intéresse :    Actes 15. 13 sv.

Jacques choisit de s’inspirer du prophète Amos. Le prophète Amos est peut-être le plus sévère de tous les prophètes de l’A.T. Il va jusqu’à mettre en question l’élection du peuple élu : “Je n’ai connu que vous de toutes les familles de la terres ; c’est pourquoi je vous châtierai pour toutes vos fautes“ (Am. 3.2).

St Jacques est peut-être dans la même ligne, sévère, exigeant, rigoriste. Il écrira par exemple  : “A quoi cela sert-il que quelqu’un dise : « J’ai la foi » s’il n’a pas les œuvres ? ….Comme le corps sans l’âme est mort ; de même aussi, sans les œuvres, la foi est morte“.

Par la suite, on a éprouvé le besoin, dans les écoles de scribes, de tempérer la sévérité du prophète Amos en terminant son livre par un paragraphe plus rassurant : “Je rebâtirai (la hutte branlante de David) comme aux jours d’autrefois afin qu’ils possèdent le reste d’Edom et toutes les nations qui furent appelé de mon Nom (= sur lesquelles mon Nom a été prononcé)“ (Am. 9.11-12).
  • “Edom“, dans la tradition juive, évoque le reste d’ennemi traditionnel. La restauration d’Israël est conçue comme une revanche sur cet ennemi traditionnel.
  • Revanche qui est signifié par le verbe traduit par “posséder“ (“rache“ : “conquérir“).

Mais on ne connaît le texte hébreu que par la Massore (tradition de Jérusalem) qui ne prit sa forme définitive qu’au 9ème siècle ap. J.C.

La traduction grecque des Septante qui, elle, fut faite au 2ème siècle av. J.C., à Alexandrie, transcrit : “Le reste des hommes cherche le Seigneur ainsi que les nations païennes sur lesquelles mon Nom a été prononcées“.

Un sens grandement différent dû à deux petits changements :
  • “Edom“ est devenu “Adam“. (il suffit de changer la prononciation sous la même consonne). L’ennemi traditionnel est devenu l’humanité : le reste des “Adam“, des hommes !
  • Et devant le verbe “posséder“, “conquérir“ (“rache“), on a ajoute seulement une consonne, un daleth (d), ce qui donne “drache“ qui veut dire chercher (d’où dérive le mot plus connu “midrash“, chercher Dieu !) .

Quelle ouverture ! Quel changement : on est passé d’une revanche sur l’ennemi traditionnel à une vocation adressée à toute l’humanité pour partager la connaissance - réservée jusque là au peuple élu - du seul Dieu vivant et vrai ! C’est toute l’humanité qui se met à chercher le Dieu d’Israël et non plus Israël qui prend sa revanche contre son ennemi traditionnel !

En citant Osée d’après la tradition  des Septante, Jacques souligne une ouverture : cette possibilité qu’a tout homme (même païen) d’entrer en relation avec le Dieu Unique !

Mais on devine qu’il y a du avoir de fortes tensions au sein de la Communauté chrétienne, lors de ce Concile de Jérusalem. St Luc, dans le livre des Actes, ne les dissimule pas… Et St Jacques en parlant comme il l’a fait s’est montré certainement un grand modérateur !

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