mercredi 12 mai 2010

Ascension

A vous tous, à chacun , sainte FÊTE !

Au début de sa vie publique, Jésus avait appelé ses disciples : “Venez, suivez-moi !“ - Et ils l'avaient suivi ! A la fin de sa vie terrestre, il les envoie : “Allez dans le monde entier !“. Et ils étaient partis !

Venez !“ – “Allez !“ : c'est là le rythme de toute relation du chrétien avec le Christ : il appelle et il envoie en même temps ! Et ces deux temps sont inséparables comme les deux temps d’une même respiration. “Venez !“-“Allez !“… Et : “Allez !“-“Venez !“. Car,
  • Il n'y a pas de vocation sans envoi ! {Nul n'est une île!}
  • Et il n'y a pas de mission sans vocation, sans appel, {sinon on risque d'être missionnaire de son propre caprice !}

Aussi la question est permanente : répondons-nous à l'appel du Christ et en même temps à son envoi ?

“Venez !“–“Allez !“. Aller et retour ! - Toute la vie du Christ lui-même reflète ce mouvement qu’il veut imprimer en l’existence de tout baptisé ! Il est venu du Père, dit St Jean, et retourne vers le Père, sa mission accomplie ; et, dans ce retour, il veut nous conduire vers le Père “de qui tout vient et vers qui nous allons“, dira St Paul (I Co. 8.6) ! (Ne parlons-nous, parfois, lors d’un décès, d’un “retour“ à Dieu !).

Oui, le Christ veut que nous allions vers le Père, lui qui, “au commencement, écrira St Jean, était tourné vers le Père“ (1,8), …“tourné vers le Père“. L’expression grecque (pros théon) marque un élan, un mouvement d’aller et retour, comme dans une respiration d’amour, car “Dieu est Amour !“.

En remontant ainsi jusqu’à ce mouvement de vie au cœur même de Dieu, St Jean y trouve cet autre élan qui nous conduit tous vers Dieu, en cet “aller-retour“, en ce mouvement d’amour que s’échangent le Père et le Fils dans le souffle de leur Esprit commun.

Jésus n’avait-il pas dit : “Le Père lui-même vous aime, parce que vous m'aimez… Or, je suis sorti d'auprès de Dieu” (16,27). “Et je retourne vers le Père”. - “Je pars, mais je reviendrai vous prendre avec moi. Et là où je suis, vous y serez aussi“, en cette respiration d’amour de Dieu lui-même ! Cette notre vocation de baptisés de “fils de Dieu“ !

Autrement dit, la montée au ciel de Jésus, son Ascension, n'est pas simplement un heureux dénouement d'une histoire tragique. Elle est l'aboutissement du mystère du Fils de Dieu fait homme. La destinée de Jésus est la nôtre. Par le baptême, dit St Paul, nous sommes déjà unis au Christ dans cet incessant mouvement “aller-retour‘‘ de vie divine : “Dieu nous a vivifiés-avec le Christ, nous a ressuscitês-avec lui et nous a assis-avec lui dans les cieux” (Ep 2,4-6 ; cf Rm 6,48).

Assis avec lui dans les cieux“. Retenons aujourd’hui cette affirmation : notre sort final est donc celui de Jésus, “assis à la droite de Dieu”. L’oraison de la fête le souligne : “L’Ascension de ton Fils est déjà notre victoire : nous sommes les membres de son Corps ; il nous a précédés dans la gloire auprès de toi, et c'est là que nous vivons en espérance”.

Et quand St Paul parle du baptême, il dit : “vous êtes morts” ; il ne dit pas : “considérez comme si vous étiez morts, comme si vous étiez ressuscités” ; il dit : “vous êtes morts et vous êtes ressuscités avec le Christ”. Déjà !

{De même, Jésus n’a pas dit : “Considérez ceci comme si c’était mon corps” ; il a dit : “Ceci EST mon corps”. Ne rabaissons pas le réalisme des sacrements qui véhiculent à travers temps et espace la réalité même de ce qu'ils signifient : un incessant “aller-retour“ dans la vie même de Dieu avec le Christ}

Vous êtes déjà avec le Christ ! Or, trop souvent, nous n’en prenons pas conscience et nous cherchons le Christ là où il n’est pas !
  • “Pourquoi cherchez-vous parmi les morts Celui qui est vivant ?“, disait l'ange de Pâques !
  • “Pourquoi restez-vous à regarder le ciel ?“, demandait l'ange de l'Ascension ! Le Christ n'est ni dans les tombeaux, ni dans les nuages !
    • Il n'est pas dans les tombeaux ! Or, souvent, nous lui rendons un culte nostalgique, comme à un cher disparu. Nous croyons bien qu'il vit, certes ! Mais si loin de nous ! Et nous sommes attristés de ne pas le trouver, comme Marie-Madeleine, au matin de Pâques !
    • Et le Christ n'est pas davantage dans les nuages ! Or, notre pensée du Christ est souvent une évasion hors du réel, un refuge à notre mélancolie : “Comment peux-tu dire que tu aimes Dieu que tu ne vois pas, si tu ne sais pas aimer ton frère que tu vois“, demandait St Jean (I Jn 4/20).

Venez ! “, dit Jésus ! Alors, où donc le trouver ? Jésus est bien monté au ciel. Mais le ciel que rejoint le Christ, c'est ce mouvement d’intimité entre le Père et le Fils dans l'Esprit-Saint ; c'est l'univers de la charité que s'échangent les trois Personnes divines.

Cet Univers est hors de l'espace, hors du temps, c’est-à-dire que cet univers est présent à tous les espaces, à tous les temps. Il m'est donc présent, cet Univers, aujourd'hui ! Et c'est pour me l'apprendre que Dieu s'est fait homme en Jésus qui nous a transmis son élan - son incessant “aller-retour d’amour“ -, sa respiration d’amour divin !

Voilà le ciel où le Christ est monté ! Le Ciel, c'est l'Amour triomphant de tout mal et qui, en nous, aura sa plénitude au-delà de la mort que le Christ a vaincu au matin de Pâques ! Et, déjà, ce ciel, cet Amour divin est plus fort que la mort en nous : “Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde“.

Mais, trop souvent, les nuages du mal, du péché, de la souffrance nous voilent ce ciel divin d’où le Christ en sa gloire divine nous appelle et nous envoie.

Aussi, je me permets, pour terminer, d’évoquer le message d’un grand prophète, assez original, Ezéchiel ! C’est est un grand visionnaire ; il va de vision en vision. Avec lui, on ne sait jamais s’il est éveillé ou en train de dormir, tant son imagination est fertile. Mais Dieu oriente, parfois, son imagination, cette vulnérabilité mentale particulière.

C’est un homme d’une grande sensibilité : il souffre avec les souffrants ! Il est en exil avec les exilés ! Et quand on souffre, il est bien permis de rêver… à Dieu apparemment absent ! Et Ezéchiel rêve…, il rêve de la gloire de Dieu, chantée, célébrée naguère dans le temple de Jérusalem !

Alors, soudain, il voit une espèce de chariot qu’il décrit curieusement au début de son livre (1.4 sv), ce chariot avec des anges et des roues, et qui avait des yeux partout, et qui allait dans tous les sens, etc. - c’est le chariot de la gloire divine (gloire en hébreu = manifestation !). Soudain, ce chariot sort du temple par la porte occidentale (c’est la porte de tous les exils !) et il se dirige vers la grande vallée où se trouvent les exilés. Dès lors, pour Ezéchiel, c’est évident : le Seigneur est “motorisé” en quelque sorte. Dieu n’est pas “stabilisé” une bonne fois pour toutes dans un temple ou dans un ciel très lointain.

Et si, malheureusement, on va en exil (en un lieu, en un temps de souffrance), et bien, ce n’est pas obligatoirement : “adieu, mon Dieu !”. Non ce n’est pas du tout “adieu au Bon Dieu” quand on va en exil, quand on souffre. Absolument pas ! Le Seigneur nous y précède. Oui, Dieu se déplace ! Et il peut choisir, Lui aussi, d’être en exil (comme en un lieu de crucifixion), pour rejoindre les exilés…, alors même que ceux-ci ne le voient pas avec évidence…

Oui, la gloire de Dieu quitte le temple comme elle quittera le ciel en Jésus. Elle vient sur la montagne qui est à l’Orient de la ville, le Mont des Oliviers. Elle part en exil !

Et avec ce grand visionnaire qu’est Ezéchiel, le retour de Dieu dans le temple de Jérusalem est affirmé avec autant de force que son départ : La gloire de Dieu revient d’exil par le Mont des Oliviers.

Ce rythme décrit par Ezéchiel - exil et retour - était manifestement dans l’esprit de St Luc lorsqu’il parle, par deux fois, de l’Ascension : “Jésus emmena ses apôtres sur le mont des Oliviers… Il fut emporté au ciel“. Et on annonce : “Celui qui vous a été enlevé, ce même Jésus, reviendra comme cela, de la même manière dont vous l'avez vu s'en aller vers le ciel". Comme le chariot de la gloire de Dieu, chez Ezéchiel !

Et c’est alors que ce grand visionnaire voit toutes les tribus du peuple élu se restructurer autour du temple reconstruit, autour de la présence de Dieu. Aussi termine-t-il son livre comme par un coup de gong : “Dieu est là !“ - “Adonaï shamma“ (48:35). Et comme le mot “Sham“, évoque Jérusalem (Yerushalaim), St Jean, après avoir décrit la ”Jérusalem nouvelle” dans son Apocalypse, fait dire au Christ glorieux : “Oui, je viens bientôt !“. Je suis là ! Dieu est là !

Ainsi, le rythme de notre vie chrétienne - “Venez-Allez“, “Allez-Venez“ - doit toujours se maintenir dans une attitude d’attente, entre l’exil et le retour, à l’exemple du Christ ! (Le P. Congar disait qu’en bonne théologie, si un problème était posé en dehors de cette attitude d’attente entre l’exil et le retour, ce n’était pas la peine de l’étudier… )

Dans l’attente du retour final du Seigneur, vivons avec espérance au rythme de notre respiration à la fois physique et spirituelle. Le psaume 104 le dit merveilleusement :
  • "Tu leur reprends le souffle, ils expirent (ils semblent mourir)
  • Tu envoies ton souffle, ils sont créés, (ils revivent)
  • et tu renouvelles la face de la terre" (V/29-30).

A chaque moment on inspire, on reçoit la vie ; à chaque moment, on expire. Viendra un moment où on rendra notre dernier souffle - comme le Christ en croix - mais dans la certitude que Dieu à qui on remet notre souffle peut nous le rendre. Car pour Dieu, ce n'est pas plus difficile de re-créer que de créer : "…et tu renouvelles la face de la terre !"

Ainsi, la certitude de la résurrection, d'un Dieu qui mène par-delà la mort, ce n'est pas une idée abstraite ; c'est une certitude perçue déjà dans le réalisme de l’Histoire Sainte, manifestée au radieux matin de Pâques ; et elle émerge de notre propre cheminement avec le Christ qui nous dit sans cesse et sans relâche : “Allez-Venez ! “. Venez vers mon Père et votre Père. Allez vers vos frères dans l’attente de mon retour !

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