samedi 31 octobre 2015

Ils se sont tant aimés !


Toussaint 2015 - Ils se sont tant aimés !

“Mon père, je lui parle... ! Est-ce ridicule ?”. Et cette question d'une épouse qui vient de perdre son mari s’achève parfois dans un sanglot étouffé ! Ils se sont tant aimés ! On ne peut se faire à cette idée : être séparé à jamais !
Et puis encore : quand l’esprit, buriné par les épreuves des années, ne sait plus "à quel saint... se vouer", comme l'on dit, il se surprend à parler à tel ou tel défunt, un père, une mère décédés depuis longtemps ! Comme si le seul recours à nos chagrins de grands enfants prolongés se trouvait dans la tendresse que nous avons pu connaître ici-bas. Tendresse qui apparaît alors comme un avant-goût de paradis. 
Du sentiment tout cela, dira-t-on ! Et alors ? Pourquoi en avoir honte ?

Car la Toussaint, c'est tellement humain ! 
La Toussaint, c'est peut-être d'abord ce besoin de toucher du doigt que l'amour ne meurt pas, ne peut pas mourir. Combien de gens, ne partageant pas la foi chrétienne, ont cette conviction profondément ancrée en eux-mêmes : “Il n’est pas possible que ce qui a été le plus extraordinaire dans la vie - aimer - puisse se terminer en poussière”. Oui, pressentiment irrépressible : “Nous nous retrouverons tous un jour !”

Demeure cependant une sourde angoisse que St Augustin a bien exprimée : “Tant qu'ils (nos défunts) n'ont pas trouvé en Dieu le repos, nos cœurs demeurent dans l'inquiétude”. Aussi l'Eglise, dans sa sollicitude, a voulu nous rassurer en instituant cette fête de la Toussaint qui est tellement humaine parce que tellement chrétienne aussi. 

Car cette fête se fonde sur la foi en la Résurrection qui nous ouvre les portes de la Vie en plénitude. Vie éternelle qui n'est pas à concevoir sur un mode individuel - on l’imagine souvent ainsi -, où chacun serait dans son coin de bonheur ! Et l'on pose naïvement la question : "Quel est ce lieu où chacun trouvera place parmi tant et tant de monde ?".
C'est mal poser la question ! Et la fête de la Toussaint nous propose déjà une communion les uns avec les autres, communion qui sera tellement forte puisqu’elle ne pourra subsister au ciel que dans la Communion que s’échangent les trois Personnes divines, Père, Fils, Esprit-Saint qui ne font cependant qu’un seul et unique Dieu
Les neuf béatitudes que proclame l’Evangile récapitulent finalement l'unique “Béatitude” céleste : le bonheur d’une union avec Dieu qui entraînera une parfaite communion les uns avec les autres ! En Dieu !

Certes, ce n'est peut-être pas évident d'espérer ce ravissement. ! Pourquoi ? Parce que - soyons honnêtes - si Dieu est théoriquement premier pour un chrétien, il n’est pas toujours premier dans tout le déroulement de sa vie. 
Certes, nous savons plus ou moins communiquer avec Dieu par ce que l'on appelle la prière, quelle qu'elle soit. Mais nous n’en sommes pas encore à une parfaite union avec Lui, ce que certains Saints ont pourtant quelque peu expérimentée dès ici-bas comme St Paul qui écrivait : "Je connais un homme, qui - était-ce dans son corps, hors de son corps, je ne sais, Dieu le sait -, cet homme-là fut enlevé jusqu'au paradis et entendit des paroles inexprimables qu'il n'est pas permis (possible) à l'homme de redire..." (2 Cor. 12.2-4).
Et nous mêmes, nous aspirons à cette union inexprimable avec Dieu ; et cette union avec Dieu engendrera une totale communion les uns avec les autres, ce que l’on appelle déjà “communion des saints”. 
Et cela, grâce au Christ qui - homme, lui aussi - est remonté, ressuscité, dans la gloire de son Père ! "Par Lui, avec Lui, en Lui !". Comme en l'Eucharistie que nous allons célébrer et qui est déjà, si nous le voulons, anticipation de la communion avec Dieu et avec tous nos frères !

A notre époque, on parle beaucoup de communication. Il faut communiquer ! Et le pape François a insisté, au cours du Synode romain, sur l'importance de la communication, même et surtout dans l'affrontement des opinions différentes. Il faut communiquer ! Mais à une seule condition. Car la communication n'est pas un but en soi, sinon elle devient - c'est fréquent - logomachie, logorrhée, verbalisme. La communication n'a qu'un but : la communion, l'union entre les hommes. Sans ce désir de communion, elle est inutile ! Mais malheur aussi à ceux qui ne savent pas ou qui ne veulent pas communiquer. Il leur sera toujours difficile de communier avec autrui.

Tel est encore le sens chrétien de la fête de la Toussaint qui nous permet de communiquer pour mieux affirmer, dans la joie, que la communion est possible et qu’elle sera parfaite au jour éternel ! 
Nous proclamons, nous chantons, nous nous communiquons, nous nous félicitons - verbe qui signifie “être heureux” -, de pouvoir célébrer nos parfaits "communiants” du ciel, tous ceux, célèbres ou non, qui nous précèdent dans cette “communion des saints” !
Par cette fête, nous pouvons communiquer avec eux, nous pouvons les prier, afin de creuser en nous le désir de Dieu, notre désir d'union à Dieu, pour mieux évangéliser notre imagination en recherche de cette jubilation d'être “avec Dieu pour toujours”, au cœur de cette “communion des saints”. 

Mais resurgit alors la question de cette épouse meurtrie par la mort de son mari : “Quelle trace d'amour retrouverons-nous de ce que nous avons semé sur terre ? Que restera-t-il de nos affections, de nos amours… ?".
Rappelons-nous le piège tendu à Jésus au sujet de cette femme qui avait eu sept maris. “De qui, lui demande-t-on, sera-t-elle l'épouse ?”. Jésus, comme toujours, élève le débat. La solution n'est pas humaine mais divine. “Dans le Royaume des Cieux, il n'y a ni époux, ni épouse. Vous serez comme des Anges”. Que veut dire Jésus, souvent quelque peu provocateur ?
Jésus veut éclairer le mode de relation que nous aurons en son le Royaume. Certes, nous nous retrouverons parfaitement, mais transfigurés. Comme Jésus lui-même lors de sa résurrection ! Nous nous reconnaîtrons, nous serons bien les mêmes et, en même temps, tout autres. Comme des anges !
L'ancien monde aura disparu, dira St Jean. C’est-à-dire : ici-bas nos rapports avec autrui passent inévitablement par la médiation de nos corps souvent fatigués, de nos intelligences souvent embuées, de nos sensibilités parfois exacerbées ; là-haut, au ciel, toutes nos limites éclateront. Jamais notre prochain ne sera aussi proche, car notre vie ne sera plus embrumée par ce qui la rend souvent opaque ici-bas. Cette “communion des saints” sera le lieu par excellence de la transparence. “Comme pour les anges !”
Et Jésus d'affirmer par ailleurs : “Il y a plusieurs demeures dans la maison du Père” ! C'est dire que chacun, chacune seront bien reconnus dans leur originalité, leur différence, leur personnalité unique, irréductible aux autres ?

Peut-être allez-vous rétorquer : qu'en savez-vous, vous qui semblez parler en spécialiste des choses jamais vues, de ce que personne n'a pu constater ?
C’est vrai ! Mais Jésus, lui, sait de quoi il parle. Et ses paroles sont des indices qui ne trompent pas. Outre ses paroles sur le mariage, il y a cette phrase lapidaire et lumineuse : “Il n'y a rien de secret qui, un jour, ne doive être dévoilé”. Chacun sera vu comme Dieu le voit de toute éternité; et il sera vu dans sa sainte originalité voulue par Dieu Créateur ! En pleine lumière ! 
Et prendre conscience que nous sommes vus de Dieu de toute éternité est le commencement de notre vision de Dieu. C’est l’un des grands leitmotivs de toute la Bible : "Serait-ce donc que j'ai vu Celui qui me voit?", se demandait déjà Agar, servante d'Abraham qui, dans le désert, avait comme rencontré Dieu au "puits du Dieu qui voit" (Gen. 16.13) ! Du Dieu qui voit de toute éternité.
Et St Jean de la croix de répondre pour nous : “Cela aura lieu quand vous m’aurez transformé, Seigneur, en votre beauté ; Alors, je me verrai en vous dans votre beauté. En votre beauté, je serrai vous. En votre beauté, vous serez moi, parce que votre beauté même sera mienne”

En célébrant la Toussaint, l'Eglise nous appelle à l’union avec Dieu. Elle chante son Cantique des cantiques : “L'Amour est plus fort que la mort”. Elle envoie au monde entier son faire-part des noces éternelles dans la “communion des saints”. Et nous y sommes tous invités ! TOUS ! Même les estropiés, les boiteux, les aveugles, disait dernièrement le pape François. Comme cet aveugle de Jéricho dont il était question dans l'évangile de dimanche dernier. Jésus le met debout ; il le met "voyant", mais "voyant" pour "voir" Dieu !

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