dimanche 23 février 2014

Libérer l'Amour !

7ème T.O. Dimanche

Nous avons tendance - tous sans exception - à filtrer le message du Christ : nous laissons passer les paroles qui nous plaisent, qui nous sont favorables, qui sont en accord avec notre pensée ; et nous ignorons plus ou moins celles qui nous hérissent, nous étonnent en les passant sous silence. Ainsi les antithèses du "Discours de Jésus sur la montagne" selon St Matthieu, nous les admettons avec difficulté ; et elles nous semblent relever du Royaume de l'utopie.

Pourquoi Jésus insiste-t-il jusqu'à l'invraisemblance sur les thèmes du pardon et de la condescendance ?

C'est que, me semble-t-il, la société juive - en laquelle Jésus s'est pleinement incarnée, ne pouvant donc pas l'ignorer -, est une société éclatée, rongée par les rancœurs et les haines :
- Il y avait d'abord, bien sûr, la forte opposition entre les Juifs et l'Occupant romain dont la célèbre "Pax Romana" que celui-ci maintenait avec dureté n'était pas sans procédés arbitraires et outranciers : les exécutions capitales (crucifixions) n'étaient pas rares, ce qui provoquait séditions périodiques rapidement matées !
- De plus - chose plus grave encore -, le Peuple de Dieu lui-même offrait le triste spectacle de ses sectes, factions, clans tant sur le plan politique avec la dynastie hérodienne détestée que sur le plan religieux avec intrigues multiples !
- Et ces divers pouvoirs divergents - romain, hérodien, juif - s'entendaient cependant pour soulever des impôts exorbitants, si bien qu'au temps de Jésus, il y avait une assez forte émigration. On sait, par exemple, que les parents du futur St Paul quittèrent la Haute Galilée et s'installèrent à Tarse afin d'échapper à ces pressions fiscales et sociales, ruineuses pour un artisan commerçant !

Face à cette société éclatée - que Jésus pleinement homme ne pouvait ignorer -, quelle était sa position ? Par les formules antagonistes que nous rapporte St Matthieu, Notre Seigneur veut d'abord alerter l'opinion et tenter de promouvoir une société plus fraternelle avant qu'il ne soit trop tard. Et on sait que ce fut trop tard ! La chute de Jérusalem en 70 sera due autant par raison politique romaine que par les divisions extrêmes et cruelles qui régnaient alors dans la ville ! A l'avance, Jésus pleura sur Jérusalem !

Si je me suis un peu attardée sur le contexte social qui existait au temps de Jésus, c'est pour m'interroger : Cette société juive n'est-elle pas également la nôtre ?
Il nous suffit de regarder, d'écouter, de consulter les mass-médias pour constater que les rivalités d'idées - objectives parfois et nécessaires - entraînent souvent haine et divisions profondes. Inconsciemment, on veut l'anéantissement physique ou moral de ses ennemis. Et si Jésus, aujourd'hui comme en son temps, ne nous dit pas d'acquiescer à leurs idées ou opinions, de nous engager à leur côté pour une lutte que nous avons sans doute raison de rejeter, il nous dit cependant et simplement : au dessus des diversités de pensée et d'action, il y a l'amour de Dieu qui, lui, fait tomber ses bienfaits sur tous les hommes sans distinction. Il y a l'amour de Dieu qui toujours respecte l'homme.

D'ailleurs, les antithèses de Jésus portent moins sur l'opposition entre sa justice et celle des Juifs, entre la justice d'un chrétien et celle de celui qui ne l'est pas, qu'entre l'amour gratuit et l'amour intéressé.
Autrement dit, Jésus est venu libérer l'amour que tel ou tel système - celui des pharisiens ou le nôtre - peut parfois enfermer dans un espace plus retreint - social, voire parfois religieux -. Notre amour très légitime pour notre idéal de vie et pour ceux qui le partagent doit-il nous empêcher de regarder au-delà ? Le peuple d'Israël avait-il vocation de s'enfermer dans une terre, si sainte soit-elle ? Sa mission, d'après les Prophètes, n'était-elle pas de communiquer à la terre entière le message de Dieu qui lui était confié, son message d'amour pour tout homme ?

Ainsi, Jésus vient élargir les frontières de la Terre Sainte jusqu'à lui faire recouvrir la terre entière.
Il veut libérer l'amour !
Et libérer l'amour, c'est lui donner comme espace toute l'humanité, adversaires et ennemis compris.
Libérer l'amour, c'est l'arracher à toute limitation !
Pour Jésus, l'Amour ne jaillit ni de la chair ni du sang, ni d'une volonté d'homme, mais d'un cœur habité par l'Esprit de Dieu.
Aussi, Jésus ne parle que de l'imitation de Dieu et, mieux encore, de la communion avec Dieu. Si je crois en Jésus Christ, je ne puis que me laisser posséder par lui et me lancer avec lui sur les sentiers de la charité, à l'exemple d'un St Paul, par exemple ! "L'Amour du Christ nous étreint", disait-il (2 Co. 514). "Revêtez-vous de l'Amour" (Col 3.14), de cet "amour qui se met toujours en peine" (I Thess. 1.3) pour tout homme !
Et revêtir cet Amour peut nous mener très loin, jusqu'au bout du monde et même au martyre, comme St Siméon Berneux, ce natif de Chateau du Loir que nous fêterons prochainement dans le Diocèse. Cet Amour peut nous mener jusqu'au bout de soi-même !

Et nous voyons, tout au long de l'Evangile, qu'avec Notre Seigneur, la notion de prochain ne cesse de s'élargir. Pour le Juif, c'est tout autre Juif ou sympathisant religieux. Pour Jésus, c'est aussi un Samaritain, à la fois un étranger et un hérétique.
En tous les cas, Jésus porte l'insistance sur la nécessité de briser et de dépasser le cercle étroit que tout cœur d'homme estime ne pas pouvoir franchir sans inquiétude. Et cependant Jésus sait qu'un cœur d'homme est capable d'aimer jusque là ! Il n'y a pas de limites à l'amour. Mais pour en arriver là, il faut connaître ce dont est capable le cœur de Dieu révélé en celui de son Fils : "Père, pardonne-leur !". Il n'est d'amour des ennemis que si le Père nous accorde ce "don du pardon". Il ne le refuse pas à celui qui le lui demande, qui le lui demande sincèrement.

Oui, Jésus nous engage aujourd'hui à nous poser cette question : avons-nous le souci de pardonner ? Ne gardons-nous pas finalement rancune ? A la fin de cette messe, au moment où nous allons nous apprêter à nous unir au Christ, saurons-nous dire avec une sincérité entière : "Pardonne-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ?".

Et pour illustrer mon propos, je me permets de vous transmettre l'anecdote d'un religieux dominicain que j'estime bien, le P. Gérard Bessière : "J'avais, disait-il naguère - j'ai toujours et à jamais, au grand pays de Dieu - une jolie vieille amie de 76 ans. Une ou deux fois pas an, elle envoyait un mot et venait faire un brin de causette. Toujours bien mise, bien peignée... On aurait dit une poupée de sa Bretagne natale qu'elle aimait retrouver chaque été.
Ce matin-là, on m'a téléphoné qu'elle attendait en bas. Que se passait-il pour qu'elle arrive sans prévenir ? Je suis descendu bien vite. Un rien de désordre dans ses vêtements. Elle m'a expliqué : elle venait d'être molestée par quelques jeunes, dans le métro. Elle a raconté, avec des yeux de petite fille étonnée, puis elle a sorti une enveloppe de son sac à main : « Voici, Père, c'est une petite charité... Vous la donnerez à une œuvre qui s'occupe de jeunes... Vous voyez bien qu'il faut les aider, ces pauvres jeunes !». Pas un mot de colère ou de haine. Le réflexe de l'amour !

Un émerveillement silencieux m'a rempli le cœur. Elle n'avait sans doute même pas pensé aux paroles de Jésus : « Moi je vous dis de ne pas riposter au méchant... aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent !»".

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