7ème
T.O. Dimanche
Nous avons tendance - tous sans exception -
à filtrer le message du Christ : nous laissons passer les paroles qui
nous plaisent, qui nous sont favorables, qui sont en accord avec notre pensée ;
et nous ignorons plus ou moins celles qui nous hérissent, nous étonnent en les
passant sous silence. Ainsi les antithèses du "Discours de Jésus sur la
montagne" selon St Matthieu, nous les admettons avec difficulté ; et elles
nous semblent relever du Royaume de l'utopie.
Pourquoi Jésus insiste-t-il jusqu'à
l'invraisemblance sur les thèmes du pardon et de la condescendance ?
C'est que, me semble-t-il, la société juive
- en laquelle Jésus s'est pleinement incarnée, ne pouvant donc pas
l'ignorer -, est une société éclatée, rongée par les rancœurs et les haines :
- Il y avait d'abord, bien sûr, la forte opposition
entre les Juifs et l'Occupant romain dont la célèbre "Pax Romana" que
celui-ci maintenait avec dureté n'était pas sans procédés arbitraires et
outranciers : les exécutions capitales (crucifixions) n'étaient pas
rares, ce qui provoquait séditions périodiques rapidement matées !
- De plus - chose plus grave encore -, le
Peuple de Dieu lui-même offrait le triste spectacle de ses sectes, factions,
clans tant sur le plan politique avec la dynastie hérodienne détestée
que sur le plan religieux avec intrigues multiples !
- Et ces divers pouvoirs divergents -
romain, hérodien, juif - s'entendaient cependant pour soulever des impôts
exorbitants, si bien qu'au temps de Jésus, il y avait une assez forte
émigration. On sait, par exemple, que les parents du futur St Paul quittèrent
la Haute Galilée et s'installèrent à Tarse afin d'échapper à ces pressions
fiscales et sociales, ruineuses pour un artisan commerçant !
Face à cette société éclatée - que Jésus
pleinement homme ne pouvait ignorer -, quelle était sa position ? Par les
formules antagonistes que nous rapporte St Matthieu, Notre Seigneur veut
d'abord alerter l'opinion et tenter de promouvoir une société plus
fraternelle avant qu'il ne soit trop tard. Et on sait que ce fut trop tard
! La chute de Jérusalem en 70 sera due autant par raison politique romaine que
par les divisions extrêmes et cruelles qui régnaient alors dans la ville ! A l'avance, Jésus pleura sur Jérusalem !
Si je me suis un peu attardée sur le
contexte social qui existait au temps de Jésus, c'est pour m'interroger : Cette
société juive n'est-elle pas également la nôtre ?
Il nous suffit de regarder, d'écouter, de
consulter les mass-médias pour constater que les rivalités d'idées - objectives
parfois et nécessaires - entraînent souvent haine et divisions profondes.
Inconsciemment, on veut l'anéantissement physique ou moral de ses ennemis. Et
si Jésus, aujourd'hui comme en son temps, ne nous dit pas d'acquiescer à leurs
idées ou opinions, de nous engager à leur côté pour une lutte que nous avons
sans doute raison de rejeter, il nous dit cependant et simplement : au
dessus des diversités de pensée et d'action, il y a l'amour de Dieu qui, lui, fait tomber ses bienfaits
sur tous les hommes sans distinction. Il y a l'amour de Dieu qui toujours respecte
l'homme.
D'ailleurs, les antithèses de Jésus portent
moins sur l'opposition entre sa justice et celle des Juifs, entre la justice
d'un chrétien et celle de celui qui ne l'est pas, qu'entre l'amour gratuit
et l'amour intéressé.
Autrement dit, Jésus est venu libérer l'amour que tel ou tel
système - celui des pharisiens ou le nôtre - peut parfois enfermer dans un
espace plus retreint - social, voire parfois religieux -. Notre amour très
légitime pour notre idéal de vie et pour ceux qui le partagent doit-il nous
empêcher de regarder au-delà ? Le peuple d'Israël avait-il vocation de
s'enfermer dans une terre, si sainte soit-elle ? Sa mission, d'après les
Prophètes, n'était-elle pas de communiquer à la terre entière le message
de Dieu qui lui était confié, son message d'amour pour tout homme ?
Ainsi, Jésus vient élargir les frontières
de la Terre Sainte jusqu'à lui faire recouvrir la terre entière.
Il
veut libérer l'amour !
Et libérer l'amour, c'est lui donner comme
espace toute l'humanité, adversaires et ennemis compris.
Libérer l'amour, c'est l'arracher à toute
limitation !
Pour Jésus, l'Amour ne jaillit ni de la
chair ni du sang, ni d'une volonté d'homme, mais d'un cœur habité par l'Esprit
de Dieu.
Aussi, Jésus ne parle que de l'imitation
de Dieu et, mieux encore, de la communion avec Dieu. Si je crois en
Jésus Christ, je ne puis que me laisser posséder par lui et me lancer avec lui
sur les sentiers de la charité, à l'exemple d'un St Paul, par exemple ! "L'Amour du Christ nous étreint",
disait-il (2
Co. 514).
"Revêtez-vous de l'Amour" (Col 3.14), de cet "amour qui se met toujours en
peine" (I
Thess. 1.3)
pour tout homme !
Et revêtir cet Amour peut nous mener très
loin, jusqu'au bout du monde et même au martyre, comme St Siméon Berneux, ce
natif de Chateau du Loir que nous fêterons prochainement dans le Diocèse. Cet
Amour peut nous mener jusqu'au bout de soi-même !
Et nous voyons, tout au long de l'Evangile,
qu'avec Notre Seigneur, la notion de prochain ne cesse de s'élargir.
Pour le Juif, c'est tout autre Juif ou sympathisant religieux. Pour Jésus,
c'est aussi un Samaritain, à la fois un étranger et un hérétique.
En tous les cas, Jésus porte l'insistance
sur la nécessité de briser et de dépasser le cercle étroit que tout cœur
d'homme estime ne pas pouvoir franchir sans inquiétude. Et cependant Jésus sait
qu'un cœur d'homme est capable d'aimer jusque là ! Il n'y a pas de limites à
l'amour. Mais pour en arriver là, il faut connaître ce dont est capable le
cœur de Dieu révélé en celui de son Fils : "Père,
pardonne-leur !". Il n'est d'amour des ennemis que si le Père nous
accorde ce "don du pardon". Il ne le refuse pas à celui qui le lui
demande, qui le lui demande sincèrement.
Oui, Jésus nous engage aujourd'hui à nous
poser cette question : avons-nous le souci de pardonner ? Ne
gardons-nous pas finalement rancune ? A la fin de cette messe, au moment où
nous allons nous apprêter à nous unir au Christ, saurons-nous dire avec une
sincérité entière : "Pardonne-nous
comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ?".
Et pour illustrer mon propos, je me permets
de vous transmettre l'anecdote d'un religieux dominicain que j'estime bien, le
P. Gérard Bessière : "J'avais,
disait-il naguère - j'ai toujours et à jamais, au
grand pays de Dieu - une jolie vieille amie de 76 ans. Une ou deux fois pas an,
elle envoyait un mot et venait faire un brin de causette. Toujours bien mise,
bien peignée... On aurait dit une poupée de sa Bretagne natale qu'elle aimait
retrouver chaque été.
Ce
matin-là, on m'a téléphoné qu'elle attendait en bas. Que se passait-il pour
qu'elle arrive sans prévenir ? Je suis descendu bien vite. Un rien de désordre
dans ses vêtements. Elle m'a expliqué : elle venait d'être molestée par
quelques jeunes, dans le métro. Elle a raconté, avec des yeux de petite fille
étonnée, puis elle a sorti une enveloppe de son sac à main : « Voici, Père,
c'est une petite charité... Vous la donnerez à une œuvre qui s'occupe de
jeunes... Vous voyez bien qu'il faut les aider, ces pauvres jeunes !». Pas un
mot de colère ou de haine. Le réflexe de l'amour !
Un
émerveillement silencieux m'a rempli le cœur. Elle n'avait sans doute même pas
pensé aux paroles de Jésus : « Moi je vous dis de ne pas riposter au méchant...
aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent !»".
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