dimanche 16 février 2014

L'Au-delà de la Loi : Sagesse d'Amour !

6ème T.O. Dimanche

Naguère, j'ai connu une famille nombreuse (9 enfants) qui avait établi la répartition de quelques charges domestiques au terme d'un long débat de négociations et d'explications appropriées. Chacun, selon son âge, sa compétence, son emploi du temps avait reçu sa part d’activités domestiques, pour un "mieux-être familial". Derrière la porte de la cuisine, était fixé un calendrier avec des rubriques : cuisine, pain, vaisselle…etc., et en face de chacune de ces rubriques, divers points de couleur correspondant à chaque membre de la famille. L'ensemble manifestait une séduisante organisation, respirait ordre et harmonie. Chacun, à sa place et avec sa compétence, collaborait ainsi au "bien-vivre familial" !

Un jour, étant invité à dîner, je faisais part de mon émerveillement devant une telle organisation et une telle prise en charge de chacun pour le bien de tous, d’autant que le “système” fonctionnait depuis longtemps déjà, selon lois et règlements qu'ensemble on s'était donné. Mais, "entre la poire et le fromage" comme l'on dit, un des grands a fait gentiment remarquer que tel service de tel jour avait laissé à désirer et qu'il avait dû y pourvoir, alors que ce n'était ni son jour, ni son tour ! Du coup, toutes les langues se délièrent pour souligner les différents points défectueux. Chaque délit recevait d'ailleurs une explication appropriée. Pour l'un, la grippe avait été la plus forte : délit d'impuissance ! Pour l'autre, le car avait eu du retard : délit de circonstance ! Pour un autre, le travail scolaire, en période d'examen, mangeait tout son temps... : délit honorable ! Pour tel autre enfin, un imprévu avait semé le désordre...

Bref, chaque défection était envisagée au regard de la loi-règlement qu'on s'était ensemble donné. Tous et chacun avaient quelques points de négligence et de culpabilité !

Mais mon émerveillement devenait encore plus grand, car tous ensembles ils se taquinaient, ils se parlaient, ils s'excusaient même, et ils se pardonnaient. Au-delà de la prise de conscience de leurs insuffisances et manquements, on percevait la circulation d'un même amour, le courant lumineux d'un "vivre ensemble" parce qu'on était de la même famille. Autrement dit, on se rendait compte qu’il fallait, certes, des principes, des obligations pour le "bien-vivre familial”, mais qu’il fallait surtout, pour la construction de cette harmonie, il fallait beaucoup plus que ses propres capacités techniques : la contagion d'un amour qu’inspire l’appartenance à une même famille, cet amour qui est capable de donner plus que ce qui est exigé par toutes les “bonnes lois” que l’on peut se donner.

Le Pape Jean-Paul II, dans son encyclique sur la miséricorde de Dieu, méditant sur l'amour que Dieu manifeste à l'homme, précise : (n° 12) : "La justice ne suffit pas à elle seule ; et même..., elle peut conduire à sa propre négation et à sa propre ruine si on ne permet pas à cette autre force plus profonde qu'est l'amour de façonner la vie humaine dans sers diverses dimensions".

Or, dans l’Evangile d’aujourd’hui sont signalées bon nombre de remarques sur la vie concrète, sur la vie en société, sur la vie d'Alliance avec Dieu. Et nous trouvons plus particulièrement la position de Jésus vis à vis de la Loi, de la Loi elle-même, mais aussi de l'ensemble des règlements, codes et conduites que scribes, pharisiens, spécialistes de la Loi donnaient comme interprétation authentique de la Loi.

La position de Jésus, c'est de dire : la loi est ce qu’elle est, et c'est elle - cette Loi reçue de Dieu - qui nous a permis de devenir et d'être ce que nous sommes : peuple choisi et aimé de Dieu. Mais il ne faut pas en rester à son application stricte. Votre justice, doit aller plus loin que la Loi.
La “Justice” au sens biblique du terme, c'est cette vertu qui permet une correspondance harmonieuse entre, d’une part, ce que Dieu est, ce qu'il désire, et ce qu'il désire pour notre bien, et, d’autre part, ce que réalise celui qui est aimé et qui aime. La véritable “justice” établit une libre réciprocité entre Dieu et l'homme, entre l'homme et Dieu. Aussi, Jésus semble dire : si vous en restez à l'application de la loi - qui est toujours nécessaire - cela ne suffit pas pour entrer dans le Royaume de Dieu !

Et l'on comprend mieux alors ce que Notre Seigneur nous dit dans la suite du texte en associant les frères à Dieu lui-même ! Si tu es en désharmonie avec ton frère, tu ne peux prétendre être en harmonie avec Dieu. L'un et l'autre sont liés... Ils sont liés dans un même amour.

Jésus va même encore plus loin, en précisant que même si ce n'est pas de ton fait que tu sois en désaccord avec ton frère - "si tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi" -, il te faut rechercher cette concordance, cette harmonie, avant même de solliciter celle de ton Dieu !

Heureusement que nous savons que c'est Dieu, par Jésus Christ, qui a fait cette démarche de salut, cette démarche de justice qui nous "ajuste" à lui, finalement cette démarche d'amour et envers Dieu son Père et envers les hommes ses frères..

Tout l'Evangile est dans ce ton : accomplir la loi, certes, mais surtout, par amour, accomplir l'esprit de la loi qui nous pousse alors à un "au-delà" de la Loi !. L'esprit de la Loi réalise non seulement la Loi, mais se passe même de la Loi. L'esprit n'a pas besoin de codification, de serments et de règlements en forme de gigogne : décrets d'application, circulaires de précisions et multiple précisions plus détaillées les unes que les autres ! Il faut laisser cela pour les hommes de la loi ! Et, en ce sens, Jésus se met même à faire de l'esprit - un esprit un peu grinçant - en reprenant la rigidité des hommes de loi : si c'est le bras qui est coupable, il faut le couper ! C'est la Loi ! Si c'est l'œil, qui est coupable, il faut l'arracher ! C'est la Loi ! Dans nombre de ses lettres, St Paul reprendra cet argument !

Celui qui accepte que l'amour de Dieu soit sa “Justice”, répond à cet amour en vivant cette justice qui ne s'arrête pas aux lois et règlements, aux codes et aux principes, mais va au-delà. Il peut aller au-delà, parce que l'amour de Dieu va au-delà, parce que Jésus est allé au-delà dans ses dires et ses actes et dans l'acte final de sa vie.

Le Père Congar a une comparaison que j'aime bien : "Les lois que nous découvrons dans la Bible, dit-il, sont les mêmes que les lois que nous découvrons dans la nature. En gros, dans la nature, il y a d'abord des êtres n'ont rien de solide - les mollusques -, ensuite ils ont un solide, mais qui est à l'extérieur, comme les escargots, comme les tortues ; et au fur et à mesure que l'on avance dans l'évolution, le solide de l'extérieur passe vers l'intérieur, on arrive aux vertébrés… et alors les vertébrés, ils peuvent courir, sauter, danser, voler, s'ils ont des ailes !".

Voilà cette évolution que nous avons à faire : La Loi ne doit plus s'imposer à nous comme un sur-moi tyrannique, de l'extérieur : La Loi, de l'extérieur doit passer à l'intérieur pour que l'on puisse suivre la volonté de Dieu dans les spontanéités de la liberté. St Paul l'explique très bien (surtout dans sa lettre aux Romains) : il ne s'agit plus d'être des esclaves sous la Loi, mais des êtres libres dans un régime de grâce - "pulchritudinis amatores", des amoureux de la beauté spirituelle", disait St Augustin, ce qu'aimait reprendre Benoît XVI -.

Chacun peut s'interroger : Dans notre évolution spirituelle, nous avons tous à nous situer. Il y a des "chrétiens de l’Ancien Testament" comme disait Pascal. Ayant reçu peut-être une éducation plus ou moins rigide, ils se présentent avec une sorte de carapace. On peut caricaturer et en rire ; mais cette carapace permet au squelette de pousser à l'intérieur ; et, peu à peu, normalement, tous ces règlements de la Loi qui s'imposent de l'extérieur, deviennent comme une partition musicale, que nous sommes appelés à jouer dans les spontanéités de la liberté. Et alors on passe de la loi extérieure à la loi inscrite dans le cœur qui nous accorde à la volonté de Dieu. On obéit à Dieu, par amour, pour épanouir ce que, par amour divin, il a mis de meilleur en nous, quand il nous a créés "à son image et à sa ressemblance". La Loi devient alors comme la Sagesse qui joue devant Dieu et que nous sommes appelés aussi à jouer dans notre existence.

C'est cette Sagesse dont parlent la première lecture et le passage de la lettre de St Paul aux Corinthiens : sagesse souvent insensée aux yeux des hommes, mais sagesse divine que Jésus et son Esprit nous ont donnée. C'est dans cette mouvance, cette sagesse de l'amour, que, baptisés, nous sommes appelés à vivre, à créer et à croître.

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