dimanche 10 mars 2013

Le Père de l'enfant prodique


4e Dim. de Carême. 13/C -

 Qu'un père de famille tressaille au coup de téléphone : “Tiens! C'est peut-être lui ! Et s'il annonçait son retour !” - Qu'il trie fébrilement le courrier pour trouver, - enfin ! - la lettre en laquelle son épouse et lui pourront lire : “Pardonnez-moi... J'ai fait une énorme gaffe !” - Ou encore qu'il attende impatiemment le retour de l’un de ses enfants qui s'en est allé brusquement, presque sans explications, avec cette simple réflexion : “Ras le bol ! Je m'en vais !” - A tout cela, rien d'étonnant. Ce fut hier ; c’est encore aujourd’hui ; et malheureusement, ce sera à nouveau demain !


Mais que ce même père, au retour de son fils, fasse une grande fête, alors qu'il conviendrait de l'accueillir avec discrétion, voilà de quoi, déjà, étonner quelque peu ! Quand même, on peut accueillir avec joie, mais on ne fait pas la fête pour une bêtise ! Enfin, on peut concevoir peut-être !


Mais qu'il demande à son aîné, resté à la maison, et qui a trimé dans les champs avec les ouvriers, de participer à des réjouissances pour accueillir son frère, alors c'est un comble ! Et pourtant, c'est à cela que Jésus nous convie : accueillir fraternellement ceux qui reviennent, ceux que l'on maintient généralement à distance en disant facilement d'eux : “Les autres”. C'est ce qua essayé de faire Benoît XVI en bien des circonstances ! Et avec quel humilité rempli d'amour !


Il n'était pas rare, au temps de Jésus, comme aujourd’hui malheureusement, que des jeunes aillent à l'étranger pour faire fortune, courir l'aventure ou simplement pour mieux gagner leur vie. Ce fut le cas, entre nombre d'exemples, des parents de St Paul qui habitant la Haute Galilée émigrèrent vers Tarse pour fuir les dures contraintes fiscales imposées et par Jérusalem, et par Hérode et par les Romains. La condition sociale était épouvantable au temps de Jésus, ce qui provoqua moult révoltes et non seulement parmi les zélotes !. Les historiens estiment à plus de quatre millions les juifs émigrés, au temps de Notre Seigneur, alors qu'il y en avait tout juste un demi-million en Palestine. Jésus prend donc son exemple, comme souvent, dans l'actualité : le cadet est un de ces nombreux expatriés assoiffés de vie et de plaisirs. Cependant son aventure “tourne mal”, comme on dit facilement.


Aussi - et c’est à remarquer -, parce que démuni de tout, il croit encore à l'amour du père qu'il avait un peu oublié. C'est d'abord la misère qui le pousse à revenir à la maison et non encore un repentir total. Un aspect qu'il faut bien souligner : Si le fils prodigue avait attendu d'avoir la contrition parfaite, il ne se serait jamais mis en route pour retourner vers son père. Il faut que la contrition imparfaite soit authentique - c'est souvent notre cas - ! Et alors, on se remet en route. Il faut le savoir en ce temps de carême. Et pour nous-mêmes et pour les autres !


Alors, à son égard, à l'égard de ce fils à la contrition imparfaite, deux attitudes s’opposent : celle du père qui accueille son fils en l'embrassant ; celle de l'aîné qui refuse de reconnaître son frère. Le père redonne au cadet sa place de fils, mais l'aîné ne consent même pas à l'appeler “frère”. Il dira, sur un ton que l'on devine : Ton fils que voici !”. C'est un langage encore courant : quand un enfant fait une grosse bêtise, facilement la mère dit au père qui rentre à la maison le soir : "ton fils ou ta fille a fait ceci, cela...!". Mais, en l'occurrence, le père répond à l'aîné : “Mon enfant... ton frère que voilà”. Autrement dit, s'il est mon fils, n'est-il pas ton frère ?


L'aîné ne tolère donc pas l'attitude de son père. Ne serait-il pas tout prêt de dénoncer son injustice : Lui a été fidèle ; le cadet ne l'a pas été. Alors ? Mais, fidèle à qui, à quoi ? Si vraiment il avait été fidèle à ce qu’il y a de plus grand dans la vie, à l'amour qui emplit le cœur de son père, comment ne reconnaîtrait-il pas dans le fils cadet son propre frère ? Il reconnaîtrait l’amour du père pour tous ses enfants. Et n’est-ce pas cela l’important ?


Jésus racontait cette parabole à des gens qui ressemblaient au fils aîné. Ses adversaires habituels, - certains scribes et pharisiens - n'appréciaient guère sa fréquentation “des collecteurs d'impôts et des pécheurs” qu'ils rejetaient, eux, au nom d'une certaine fidélité. Pourtant, voilà ce qu'est l'amour de Dieu-Père pour ses enfants.


En racontant la “parabole du Père de l'enfant prodigue”, Jésus rappelle que tous les hommes sont invités au banquet de la fraternité, parce que tous aimés du même Père. Nous n'avons aucune raison de voir Dieu-Père comme quelqu'un de sévère, mais plutôt comme celui qui se penche sur notre misère et n'a qu'un seul désir, nous communiquer sa propre vie. Mystère de gratuité divine.


C'est cela qui scandalise le fils aîné. Il vit dans un monde où la stricte justice - la fameuse justice distributive - est l’idéal. Il ne voit pas que ce qui est important, c'est l'amour qui transforme tout. “Toi, mon fils, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Et ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie”, à cette vie d’amour du Père !


D’ailleurs le Christ désigne toujours sa mission par ces mots : “sauver ce qui était perdu”. Mais ici, ce n'est pas le Christ qui est au premier plan, c'est son Père qui est, dira-t-il, son Père et notre Père, c'est Dieu-Père qui, de toute éternité, a décidé de nous sauver en son Fils. C'est le Père qui nous aime et le Christ nous renvoie à son Père. Il est tout regard vers son Père ; son œuvre n'est pas son œuvre, sa doctrine n'est pas sa doctrine, ce sont celles de son Père. Le Christ nous renvoie toujours à son Père pour nous dévoiler que la source et le principe de tout résident dans la décision éternelle du Père de nous aimer en son Fils.


Et St Paul ne fait que reprendre cet enseignement dans la seconde lecture, d’une façon peut-être plus intellectuelle, mais tout aussi forte ! “Tout vient de Dieu ! dit-il. Il nous a réconciliés avec lui par le Christ et il nous a donné pour ministère de travailler à cette réconciliation”. Alors l’apôtre s’écrie : “Laissez-vous réconcilier avec Dieu”. Que cette parole étonnante de Paul résonne en nos cœurs ! “Celui qui n'a pas connu le péché, Dieu l'a pour nous identifié au péché des hommes afin que, grâce à lui, nous soyons identifiés à la justice de Dieu”. Que cette parole accueillie en notre cœur l'ouvre, le brise si c'est nécessaire, pour que l'amour de Dieu soit en nous tous.


Tout cela ne diminue pas les exigences que le Seigneur nous demande ; car il veut nous engager à participer à son propre ministère de réconciliation. Il l’a fait par son mystère pascal. Et St Paul le savait parfaitement ! Sa vie fut une vie à la fois crucifiée et glorieuse, à l’exemple du Seigneur. Et pour nous aussi, le mystère de Pâques (que nous allons célébrer prochainement) est le chemin de toute réconciliation. Nous avons à nous laisser prendre par ce mystère de réconciliation pascale ; nous avons à être des réconciliés et des réconciliateurs, des ambassadeurs du Christ pour appeler tous les hommes au salut.


Demandons au Seigneur d'entrer dans cette aventure qui est l’aventure de la rencontre avec Dieu, Père de tous, rencontre manifestée dans le mystère pascal de son Fils. Que Dieu nous donne d'être des épiphanies (manifestations) de l'amour de Dieu, comme le Christ est l'épiphanie (la  manifestation) de l'amour de Dieu, son Père et notre Père.   


C’est cela l’important ; le reste - visible ou invisible - est secondaire. Personne ne doit juger son frère ; car chacun doit être réconcilié avec Dieu-Père. St Jean l’avait bien compris : “Celui qui dit n’avoir pas de péché est un menteur !”

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