dimanche 25 mars 2012

Voir Jésus !

5ème Dimanche de Carême 12/B

“Nous voulons voir Jésus !”.

C'est avec ces paroles que quelques Grecs païens, sympathisants de la religion juive, harcèlent les disciples. Ce Jésus, dont ils ont tant entendu parler, dont ils imaginent sans doute la personnalité d’après de qu’ils ont entendu dire de son enseignement, de ses actions, de ses miracles…, ils voudraient maintenant le “voir“ de leurs propres yeux.

Oui, ils le verront, en effet, mais tel quel, si je puis dire, dans sa brutale réalité d'homme, non pas encore le Jésus de la gloire qu’ils voudraient contempler, mais le Jésus du trouble et de la tentation.

Car ce passage de l'évangile de St Jean raconte en fait l'ultime tentation de Jésus. Jean, nous le savons, n'a pas repris le récit de l'agonie dans le Jardin des Oliviers. Il le remplace par celui que nous venons d'entendre, comme une autre tentation et une autre agonie.

Ce récit avait cependant débuté par la solennelle annonce de l'heure, dont Jésus proclame qu'elle est désormais là : “L’heure est venue pour le Fils de l'homme d'être glorifié”. Et cette glorification - Jésus n'en doute pas un instant - passera nécessairement par la mort : “Oui, vraiment, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit”.

Mais soudain, le discours de Jésus s'arrête là.
Un bref silence, mais qui semble une éternité !
Et Jésus reprend sur un ton qui trahit une forte émotion, une sorte de panique presque : “Maintenant je suis bouleversé. Que puis-je dire ? Père, délivre-moi de cette heure ?”.

Jésus bouleversé ! Désemparé ! Troublé ! Comment est-ce possible ? Que se passe-t-il en lui ? - “Mon âme est triste à en mourir”, avait-il dit au jardin des oliviers, selon St Matthieu (Mt 26,38). C'est du même trouble qu'il s'agit ici, et de la même tentation, Et comme dans les trois récits de la tentation de Gethsémani, ici encore, Jésus supplie son Père pour que cette heure et ce calice lui soient épargnés : “Père, délivre-moi de cette heure !“. Mais, comme à Gethsémani encore, Jésus se reprend aussitôt, pour s'abandonner à la douce volonté de son Père : “Mais non ! C'est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom !”. En d'autres mots : que ta volonté soit faite, non la mienne !

“Nous voulons voir Jésus !”, demandaient ces quelques hommes, païens sans doute, mais chercheurs de Dieu ! “Nous voulons voir…“ ! Comme nous-mêmes ! Mais le seul Jésus que nous pouvons voir ici-bas est
un Jésus en route vers sa Passion et sa mort, un Jésus qui a peur, comme nous aurions peur à sa place,
un Jésus du trouble et de la tentation,
un Jésus à qui - malgré ses grands cris et ses larmes que la deuxième lecture nous a rappelés -, aucune épreuve d'homme ne fut épargnée, surtout pas la mort.

Mais, justement, c'est bien pour cela, pour cette heure-là, et pour ce trouble-là, et pour cette mort-là, que Jésus est venu auprès de nous : pour nous sauver une fois pour toutes de la tentation et de la mort.
Mais comment cela ? En nous invitant à marcher à sa suite, comme lui, avec lui, en lui, sur le même chemin inéluctable d'une même Passion et aussi - soyons-en certains - d'une même Pâque.

Après avoir parlé du grain qui doit mourir sous peine de rester seul, Jésus ajoute, en effet : “Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur”. Comme pour Jésus, aucun de ces troubles, aucune de ces tentations, rien ne sera épargné au serviteur qui veut véritablement le suivre.

C'est pour cela que les apôtres tout d’abord et que tout vrai disciple de Jésus, ensuite, s'est un jour laissé saisir par le Christ pour traverser toute mort quelle qu’elle soit, la traverser vers la lumière divine de Pâques ! C'est pour cela qu'il a décidé de marcher à sa suite.

Ce choix fondamental - je dirais baptismal - que partagent tous les chrétiens témoigne par là du peu de différences réelles entre les vrais disciples de Jésus. Le chemin du chrétien au monastère est à peine plus difficile que celui qui est dans le monde. Et celui du chrétien dans le monde est à peine plus facile que celui qui est au monastère. Si leur chemin est simplement différent, la direction, elle, est absolument la même, comme aussi son aboutissement : la Pâque du Christ.

Et aucun disciple de Jésus ne sera jamais dispensé de suivre - déjà dans les diverses tribulations de la vie comme à celle du dernier instant ici-bas… - …de suivre le Maître jusque-là,
jusqu'à l'étroit passage,
jusqu’au détroit pascal,
ces gorges de la tentation et de la mort,
dans lesquelles nous entrons sans cesse pour faire jaillir - dès ici-bas et au jour éternel - la lumière du matin de Pâques sur nous-mêmes et sur le monde.

Et c’est à travers toutes ces tentations, à travers toutes ces morts de notre vie - nous ne pouvons en douter désormais - que Jésus nous sauve, nous sauvera. Car c'est pour cette heure de trouble, et en même temps d'immense confiance, que, nous aussi, nous sommes là, priant à tout instant, comme Jésus : “Père, glorifie ton Nom !“ En nous-mêmes comme en ton Fils ! En ton Fils qui est désormais en ta gloire divine, cette gloire qu’il veut nous prodiguer. Car c’est pour cela qu’il est venu parmi nous, qu’il est toujours parmi nous, l’“Emmanuel“ !

“Nous voudrions voir Jésus !”, demandaient ces Grecs de Jérusalem. Nous aussi, nous voulons voir Jésus. Redisons avec ceux qui traversent grandes épreuves et la mort même : voir, connaître Jésus implique de passer par où Jésus est passé, de traverser la même épreuve en nous abandonnant à l’amour indéfectible de Dieu, Père : “Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur”.

Ne doutons pas du terme où Jésus nous attend,
ici-bas déjà par la force d’amour qu’il nous donne
et à notre jour pascal…, éternel !

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