samedi 10 mars 2012

L’amour d’un Père !

Carême 2. Samedi (Luc 15 1sv)

La parabole du Père de “l'enfant prodigue” est une bonne nouvelle, un “bourgeon d'espérance”, disait Péguy : Dieu restera toujours notre Père, quoi que nous fassions. Elle nous enseigne que tout n'est pas perdu.

Le plus jeune ne voulait plus être fils. Il est parti au loin. Pourtant, au fond de lui-même, il y avait toujours cette image du père, à la fine pointe de son être, presque inconsciente. Tombé dans le malheur, il aurait bien voulu redevenir fils, mais il en avait perdu toute dignité. Ne vivait-il pas comme les porcs ? Il se souvint cependant : “je retournerai vers mon père”.

Pendant ce temps, le père, lui, était resté père. Peut-être connaissez-vous le magnifique tableau de Rembrandt. Toute la lumière de cette toile vient du visage du Père, dont les yeux sont mi-clos, usés par la fatigue de l'attente. Il était orphelin de son fils et voilà qu'enfin il le retrouve.

Pour le fils à la tête de bagnard et aux sandales éculées par le long chemin, c'est une renaissance, une résurrection. Il est là, blotti contre son père, entre ses deux mains. On a commenté qu’il y a, sur le tableau, une main qui est masculine, tandis que l'autre est féminine. Dieu, un Père qui nous aime comme une mère, a-t-on dit. Aucune possession ni domination.

Une véritable re-création ! St Irénée parlait, lui, de Dieu le Père créant le monde de ses deux mains, le Fils et l'Esprit Saint. En tous les cas, dans ce tableau de Rembrandt, on dirait que le Père voûté s'appuie sur son fils revenu, et le fils se repose dans le sein de son père. Comme si Dieu avait besoin de l'homme pour se reposer tout comme l'homme a besoin du pardon de Dieu.

Mais la parabole continue. L'aîné, lui, était resté près du père. Il avait compris ses volontés, pensait-il. Toujours en règle, il travaillait fidèlement. Mais, hélas, en restant proche du père, il s'était éloigné de son frère. Celui-ci était définitivement oublié, rayé de sa mémoire. L'aîné avait, croyait-il, gardé la dignité de fils, en oubliant son frère ! Mais peut-on être fils sans être frère ?

On dirait parfois que ceux qui se croient les plus proches du Père sont en fait les plus éloignés. Celui qui n'était pas en règle rentrait dans la maison, et celui qui l'était restait dehors.

Cette parabole est donc une invitation à une conversion permanente ! Il nous faut apprendre que nous sommes aimés, que tout homme est aimé indépendamment de ses services, et donc que nous ne pouvons juger personne. L'amour de Dieu est gratuit. Dieu aime toujours l’homme, même lorsque sa liberté patauge lamentablement. Ce que Dieu aime en nous, ce n'est pas les services que nous lui rendons, mais tout simplement que nous sommes ses enfants. Le frère aîné avait oublié cela, il était devenu un banal serviteur. Le plus jeune, lui, n'avait pas oublié la bonté de son père... Quelle image nous faisons-nous donc de Dieu ? Un justicier ou un père ?

Le danger, en écoutant cette parabole, serait de mettre un nom sur le plus jeune et un autre sur l'aîné. En réalité, c'est en chacun d'entre nous qu'il y a un peu du prodigue et un peu de l'aîné. Lorsque nous avons de la peine à comprendre le plus jeune, et que nous avons envie de juger les autres, rappelons-nous cette part de nous-mêmes qui lui ressemble. Et lorsque nous avons de la peine à comprendre ceux que nous avons envie de qualifier de pharisiens, rappelons-nous cette part qui, en nous, ressemble à l'aîné.

De plus, ne peut-on voir, avec un peu d'audace, dans la figure du fils prodigue, celle de Jésus lui-même ? Lui, le Fils éternel, le premier-né de toute créature, ne s'est pas drapé de sa supériorité, mais il est allé rechercher ses frères puînés aussi loin qu'ils s'en étaient allés, il s'est identifié à eux, les invitant à revenir vers le Père. Sur la croix, il a été fait péché, nous dit S t Paul (2 Co V, 21). Il a vécu la solidarité jusqu'au bout avec toutes les victimes du péché. Or ces victimes, c'est chacun de nous.

La Passion selon St Luc se terminera par ces deux phrases de Jésus : “Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font - Père, entre tes mains je remets mon esprit” (Lc 23, 34-46). La parabole nous raconte le chemin pascal de Jésus, sa Pâque, son retour dans la gloire du Père, accompagné de tous les pécheurs qu'il était allé rejoindre dans leur déchéance. “Mon fils était mort et il est revenu à la vie !”. Joie pascale de Dieu au matin de Pâques.

Le rêve de tout père, c'est d'avoir ses enfants à la maison, non pour qu'ils en soient prisonniers, mais pour qu'ils puissent faire la fête. Dans cette parabole Dieu semble ne pas être exaucé.

Il nous est cependant permis de croire que Jésus n'a pas été jusqu'au bout de la parabole et, qu'un jour, à nouveau, les deux frères seront réunis autour de la table. C'est ce que nous célébrons dans toute Eucharistie. Tout à tour prodigue et fils aîné, nous sommes accueillis à la table eucharistique, avant-goût du festin du Royaume où, tous revenus dans la maison du Père, nous ferons sa joie éternelle.

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