dimanche 13 février 2011

Morale !

6ème dimanche du T.O. 11/A

Aujourd’hui, la “morale“ n’a pas “bonne presse“ ! Au seul mot de “morale“, on éprouve le besoin de s’excuser : “Loin de moi l’idée de faire de la morale… !“. A tel point qu’on utilise désormais les mots de “éthique“ ou “déontologie“ : cela fait moins vieux jeu, plus savant ! Mais c’est plus hypocrite !

D’où vient ce discrédit de la morale ? Probablement de ce qu’on en a fait, trop souvent, une affaire d’interdits, de règlements, sans qu’on sache très bien pourquoi : “Tu ne feras pas ceci ! Tu dois faire cela ! - Mais pourquoi ? Parce que c’est comme cela ! C’est la tradition ! On a toujours fait comme cela ! Nous savons pourtant la différence entre “habitus“ et “habitude“. L’“habitus“ manifeste toujours une raison profonde de la manière de faire. Et pour nous, cette raison est l’imitation du Christ. Et ce n’est jamais une habitude !
Il est amusant de noter à ce propos que les Hébreux pratiquaient le calendrier lunaire que notre calendrier liturgique a suivi en grande part ! Pourquoi ? Parce que le soleil, c’est trop régulier ! On risque de s’habituer. La lune, elle, est plutôt fantasque ! On ne sait jamais très bien quand elle se couche, quand elle se lève… Elle est là parfois, en plein midi, on ne sait pourquoi. Bref, on ne peut s’habituer à la lune. Alors, on préfère le calendrier lunaire pour éviter l’habitude, la routine… Selon la tradition juive, ceux qui s’habituent, on les appelle : les “akoum“, ceux qui adorent le déterminisme du soleil et des étoiles… Ainsi, il y a une façon de s’habituer qui fait qu’on ne se reporte plus vers Dieu toujours en travail de création… “Mon Père travaille toujours ; et moi aussi je travaille !“ (Jn 5.17)

La jeunesse s’est révoltée contre l’habitude. Elle n’a pas eu tort : “Interdit d’interdire!“, a-t-elle dit. Malheureusement, comme souvent, on est tombé dans l’excès inverse : “Tout est permis !“. Et nous vivons encore, plus ou moins, sous ce régime de permissivité…

La seule “morale“ qui vaille, c’est, comme dit St Paul, de “revêtir“ le Christ (Rm 13.14 ; Gal 3.27). C’est vivre les mystères du Christ ! Dans la Tradition chrétienne, il y a un Saint qui, admirablement, a exprimé ce sens de la morale : St Jean Eudes : “Nous devons continuer et accomplir en nous, dit-il, les états et les mystères de Jésus, et le prier souvent qu’il les consomme et accomplisse en nous et en toute son Eglise. Car les mystères de Jésus ne sont pas encore dans leur entière perfection et accomplissement. Bien qu’ils soient parfaits et accomplis dans la personne de Jésus, ils ne sont pas néanmoins encore accomplis et parfaits en nous qui sommes ses membres, ni en son Eglise qui est son Corps mystique. Car le Fils de Dieu a dessein de mettre une participation et de faire comme une extension et une continuation de ses mystères en nous et en toute son Eglise, par les grâces qu’il veut nous communiquer et par les effets qu’il veut opérer en nous par ces mystères… C’est pourquoi St Paul dit (par exemple) qu’il accomplit dans son corps la passion de Jésus Christ…”.

Le Christ a déjà tout dit, tout fait. Mais il nous reste à vivre chrétiennement. Nous sommes chrétiens ; mais il nous reste encore à la devenir ! Et tous les siècles de l’histoire de l’Eglise démontrent que c’est difficile de vivre chrétiennement. Et actuellement, nous vivons dans un contexte de moralité aussi compliqué qu’au temps de Jésus. Aussi, nous avons à fixer constamment notre regard sur Jésus pour adopter des attitudes chrétiennes. Ce n’est pas tellement la référence à une casuistique plus ou moins subtile que nous serons véritablement chrétiens. Et l’exemple moral qui nous est donné n’est pas extérieur à nous ! Le Christ est en nous, espérance de gloire : nous sommes incorporés au Christ et appelés à vivre ses mystères. Tant que l’on n’a pas compris cela, on ne sait pas véritablement ce que c’est que la Morale chrétienne. C’est en laissant le Christ nous habiter que nous sommes capables d’affronter les réalités de l’existence. C’est important, cela, me semble-t-il …

Au temps de Jésus, ce n’était pas le régime de permissivité qui régnait, mais le régime de la Loi interprétée par les Scribes et les Pharisiens. Ceux-ci avaient dressé tout un catalogue de rites et d’interdictions qui rendaient la vie quotidienne presque impossible. Aussi, Jésus dénonce-t-il très souvent ces interdits qui dénaturent le vrai sens de la Loi de Dieu : Les Scribes et les Pharisiens ont lié de pesants fardeaux et les ont mis sur les épaules des hommes (Cf. Mth 23.4)… ! “Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau… Mettez-vous à mon école…, car mon joug, à moi, est facile à porter, et mon fardeau léger…“ ! (Mth 11.28-30)

Oui, mettons-nous à l’école de Jésus ! Que nous dit-il aujourd’hui. Ecoutons-le avec l’oreille intérieure de la foi : “je ne suis pas venu abolir la Loi de Moïse. Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir !“ “Accomplir“ signifie ici “parfaire“ ! Et parfaire en nous, comme disait St Jean Eudes ! Tout ce qui était déjà dans l’Ancien Testament était comme en attente, comme une plante est, aux premiers rayons du soleil de printemps, en attente de sa floraison. La Loi de Moïse venait de Dieu ; elle était sainte ! Avec Jésus, elle n’est donc pas périmée ; elle attend au contraire son plein accomplisse-ment. Les “dix commandements“ ne sont pas remplacés par autre chose ; ils sont approfondis par Jésus qui est venu nous révéler la “Sagesse du Mystère de Dieu“, autrement dit le projet de Dieu sur l’homme !

Et ce projet de Dieu sur nous, c’est de nous initier à sa propre vie, c’est de nous donner son Esprit qui nous transformera et fera de nous ses enfants. Dieu est notre Père ! La paternité aimante de Dieu est au centre du message de Jésus !

Il n’est donc plus question désormais de pratiquer la “Loi de Dieu“ comme on applique des consignes, des règlements. Il faut vivre dans un esprit filial à son égard, agir en toutes choses par amour pour Dieu, notre Père ! “Celui qui m’a envoyé est avec moi… parce que je fais toujours ce qui luis plaît“, disait Jésus (Jn 8.29). Telle était sa “Morale“ ! Il doit en être de même pour nous. Il s’agit de dépasser toutes les réglementations des moralistes, et de nous dépasser nous-mêmes !
Comme on est loin alors de la “bonne conscience“ des pharisiens pour qui la “Loi de Dieu“ était surtout affaire de rites et d’obligations extérieurs à observer. Vivre en face de Dieu comme un enfant en face de son père, cela change tout !

Et Jésus de prendre quelques exemples :
- “On vous a dit : « Tu ne tueras pas ! ». Bien sûr ! Mais moi, je vous dis : ne vous mettez même pas en colère contre vos frères, car vous êtes tous frères, tous fils de Dieu. Faites-vous donc les uns pour les autres, un cœur semblable à celui de votre Père du ciel. - Si vous venez apporter votre offrande à l’autel (participer à l’Eucharistie), tout en entretenant dans votre cœur un grief contre votre voisin, ne voyez-vous pas à quel point votre démarche est fausse et mensongère ? Allez donc vite vous réconcilier afin de vous remettre à l’unisson du cœur de Dieu ! (Cf. Mth. 5.23sv)
- “On vous a dit : « Tu ne commettras pas d’adultère ! ». Bien sûr ! Mais l’adultère, ce n’est pas simplement l’acte extérieur. Il a son origine dans les désirs, dans les pensées, dans le cœur ! Encore là, c’est votre cœur qu’il faut guérir et purifier. Car Dieu voit le fond de votre cœur (Cf. Mth 6). Que vos cœurs soient parfaitement purs et transparents comme le cœur même de Dieu !
- On vous a dit : “Tu respecteras l’étranger !“. Qu’il vienne de loin ou de la ville voisine… Bien sûr ! Mais non seulement le respecter, mais le faire proche de toi, comme le bon Samaritain s’est fait proche de l’homme sur le bord du chemin ! Le traiter comme un frère, car lui aussi est “fils de Dieu“, aimé de Dieu comme toi !

“La vraie Morale se moque de la morale“, écrivait Pascal. La Morale de Jésus se moque de la morale des Scribes et des Pharisiens, car celle-ci n’était qu’une affaire de consignes et de règlements à observer, comme si Dieu était un gendarme ou un adjudant.

Quant on aime, on ne connaît plus d’autre Loi que celle de l’amour ; et l’on éprouve alors la vraie Liberté, la liberté des enfants de Dieu qui n’agissent plus par contrainte, comme des esclaves timorés, mais librement, joyeusement, par amour ! “Là où est l’Esprit du Seigneur, l’Esprit d’amour, là est la Liberté !“. (2 Co 3.17).

Avec le Christ, c’est donc bien un monde nouveau qui commence : c’est le Royaume de Dieu comme on disait à son époque, c’est-à-dire le monde dont Dieu rêve depuis le matin de la création, un monde ou on ne se contente plus de fidélité extérieure, mais un monde où l’ont vit dans l’amour fraternel et dans l’amour filial pour Dieu, un monde où l’on vit sous le règne de l’Esprit de Dieu qui est Amour !
C’est ce monde-là que Jésus nous invite à bâtir avec lui, jour après jour, animés de son Esprit.

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