dimanche 27 février 2011

Argent

8e Dimanche 2011/A

Il paraît qu’entre Suisses - mais il y a de tels Suisses partout -, on parle souvent d’argent ; mais on se garde bien de citer des chiffres précis, même s’il s’agit de les inscrire sur sa feuille d’impôts. Notre pudeur n’est plus aujourd’hui sentimentale - on peut parfois le regretter -, mais bien plutôt financière !

Et à entendre les “conversations d’affaires“ - et j’en ai eues -, on a toujours l’impression qu’il y a deux catégories de citoyens :
- Certains ont trop d’argent ; mais ils refusent de l’avouer. On les accuse même de gloutonnerie, car ils en veulent toujours davantage, tant l’argent attire l’argent… Et ils vont s’enlisant, inconsciemment parfois, dans un matérialisme épais au point d’étouffer sous l’édredon de leur confort insolent.
- D’autres, par contre, croient ne pas avoir assez de ressources, sans savoir pour autant s’ils les utilisent convenablement, tant il est vrai qu’être bon comptable ne signifie pas être bon gestionnaire ! Et ils sont rongés par les soucis du lendemain, obsédés par les fins de mois et les dettes à rembourser !
Bref, à écouter à droite et à gauche, on peut se dire que nul n’est heureux avec son porte-monnaie, soit parce qu’il pèse trop lourd, soit parce qu’il est trop plat !

Or Jésus nous dit aujourd’hui que pour servir Dieu - et c’est bien l’essentiel de notre vie, à nous chrétiens -, il faut avoir une liberté intérieure à l’égard des richesses surtout, mais à l’égard également de tout le reste. Habituellement le religieux a fait vœu de pauvreté… Mais, en ce domaine, il faut se souvenir de l’enseignement de Cassien qui rapporte celui de plus anciens : un oiseau ne peut pas s’envoler s’il est entravé ; mais qu’il soit retenu par une corde ou par un simple fil, peu importe. Or, on le sait bien, dans la vie religieuse, on peut devenir riche d’un simple stylo, d’un emploi que l’on a confié et que l’on accomplit de façon individualiste, par des manières de faire qui ne peuvent qu’être qu’invariables… et que sais-je encore ? On dit, chez nous, à Solesmes, par paradoxe évidemment, qu’il est plus facile de demander à un moine de changer de monastère que de changer de cellule… tant d’un rien du tout, on peut se faire une richesse. Et si ce rien vient à manquer, c’est pire qu’une crise financière ; c’est un tsunami qui peut tout détruire ! Bref, au-delà de ces plaisanteries, il faut se souvenir que “la racine de tous les maux, comme dit St Paul, c’est l’amour de l’argent (I Tm 6.10). Le service de Dieu doit être sans partage.

Bien sûr, on va s’écrier : la leçon des oiseaux qui trouvent nourriture sans autre effort que de picorer ça et là, et ces fleurs qui tissent leur robe de parade en flirtant aves le soleil et la rosée, n’est-ce pas là un évangile de clochards ? N’est-ce pas vouloir transformer les hommes en cigales imprévoyantes ?

Sans doute, Notre Seigneur parle par paradoxe. Car lui-même qui fut pauvre n’a jamais canonisé la misère ni exalté l’indigence qui sont, la plupart du temps, les fruits de l’injustice et les causes de la deshumanisation. Et là, nous avons le devoir - un devoir strict - de lutter contre ! A ce sujet, il y aurait beaucoup à dire aujourd’hui, en un temps où bien des hommes n’ont pas de quoi vivre honnêtement. C'est une honte pour l'humanité, pour nous! La misère est inadmissible, surtout quand elle n’est pas le résultat d’une négligence chez ceux qui la subissent !
Mais l’évangile d’aujourd’hui s’adresse plutôt à ceux qui possèdent suffisamment et qui pourtant doivent se poser la question de l’utilisation de leurs richesses quelles qu’elles soient.

Pour ceux-là les paroles de Notre Seigneur sont à prendre comme des coups de poing sur la table, par lesquels le Maître réveille l’attention de ses élèves. St Paul l’avait bien compris, lui qui affirmait que l’important est d’être de ceux “qui usent de ce monde comme s’ils n’en usaient pas véritablement“ (I co. 7.31).

Autrement dit, il nous faut accueillir cet évangile des oiseaux et des fleurs comme une contestation de notre société de consommation qui transmet à quiconque, riches ou plus démunis, la contagion de la possession. Jésus sait trop combien est dangereux le piège qui enferme notre vie dans la cage plus ou moins dorée des propriétés et surtout de l’égoïsme, source d’inquiétude pour ce que l’on a, ce que l’on est, source d’accaparement, d’oppressions multiples, d’envies incessantes. Tel est le cancer de la civilisation occidentale en laquelle on peut vendre facilement son âme pour quelques pièces d’argent supplémentaires.

Mais alors quel remède à tout ce matérialisme qui gangrène nos cœurs, nos familles, des peuples entiers ? Comment soigner ceux qui ont fait de l’agent, de l’avoir, la pire des drogues ? - Jésus répond : “Cherchez d’abord le Royaume et sa justice ; et tout le reste vous sera donné par surcroît“. Autrement dit, il nous faut nous comporter avec les biens de ce monde en fils de Dieu et non en esclaves de Mammon, de l’argent, de l’égoïsme. Nous devons nous comporter avec les biens de ce monde comme des enfants de Dieu. Et voilà qui change tout : notre regard, notre cœur, notre conduite !

C’est dire : quel temps, quelle attention, quels moyens consacrons-nous à la recherche du Royaume de Dieu en comparaison de ceux que nous vouons à la quête du bien-être et de l’enrichissement. Franchement, quel est mon maître ? A quel trésor mon cœur est-il attaché ; qu’est-ce qui le fait battre ? Où mène mon existence. A l’abri trompeur de mon bien-être ou dans la sécurité du Royaume des Cieux, là où nous serons pauvres de tout parce que riches de Dieu seul dont la vie même sera partagée entre tous pour la joie éternelle de chacun.

Notre Seigneur nous dit aujourd’hui : Prenez mon évangile de ce dimanche dans une main et un billet de banque dans l’autre main. Lisez, méditez, priez surtout. Peut-être que les lis des champs et les oiseaux du ciel vont-ils vous paraître plus évangéliques que l’image chiffrée de votre matérialisme.

Nous allons prochainement entrer en carême, période de réflexion par excellence. Alors réfléchissons :
- combien de temps consacrons-nous à Dieu par la prière : quelques secondes par jour, à la dérobée, quelques minutes le dimanche accordées parcimonieusement…
- combien de temps consacrons-nous à nos semblables en comparaison du temps que nous réservons à notre bien-être. Et pourtant, c’est avec eux que nous jouirons un jour d’un même et seul Bien : Dieu, et Dieu seul !

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