28ème
Dim. T.O. 12/B
Notre époque honore et célèbre surtout ceux
et celles qui se sont distingués dans le registre de l’agir, de l’action :
registre des sciences (Einstein…), registre militaire
et politique (Lyautey,
De Gaulle…),
registre humanitaire (Vincent
de Paul, Mère Térésa…)…
Et c’est bien ! Cependant, l’Eglise propose souvent comme modèles, en les
élevant parfois à l’honneur des autels comme l’on dit, des hommes, des femmes
qui se sont fait remarquer non pas tant par ce qu’ils ont fait, mais pour ce
qu’ils ont été, non pour leur agir, … mais pour leur être !
Tout simplement !
Tel fut, me semble-t-il, St Benoît ;
tel fut, plus près de nous, Dom Guéranger… et à leur suite les moines, moniales
en particulier, les religieux, religieuses en général… et nombres de chrétiens
qui ont simplement témoigné de leur foi. Des hommes, des femmes qui
veulent cultiver, avant tout, ce qu’ils sont, ce qu’ils doivent être : des
chrétiens, des chrétiennes ! C’est leur identité. Et ils désirent
mettre en avant cette identité bien plus que ce qu’ils font ou pourraient
faire ! Le pape Benoît XVI mettait en avant, pour une “nouvelle
évangélisation“, cette disposition importante que doit avoir tout
chrétien : témoigner avant tout de ce qu’il est : le chrétien doit
transpirer de la vie du Christ en lui ! Ne pas en avoir peur !
Et puisque nous sommes dans un monastère,
et que les textes d’aujourd’hui m’y invitent, permettez-moi - une fois n’est
pas coutume - de parler de cet idéal : cette culture de ce que l’on
est, bien plus que de ce que l’on fait, cet idéal que St Benoît a imaginé,
décrit et vécu, cet idéal proposé aussi à tout chrétien, cet idéal que l’on
pourrait appeler à bon droit : un “humanisme chrétien“, expression
employée naguère par Jacques Maritain et reprise dernièrement par un membre du
Synode à Rome. Un idéal qui propose une vie profondément humaine et chrétienne
tout à la fois, et humaine parce que chrétienne. L'idéal monastique et
chrétien s’inscrit dans ce désir de trouver, de réaliser ce merveilleux
équilibre entre humanisme et christianisme. Cet idéal affirme fortement que
plus on est chrétien, plus on est homme : la foi chrétienne achève l'homme. N’est-ce
pas une des raisons pour laquelle St Benoît a été déclaré “Patron de l’Europe”.
Quelle est donc alors cette force “humanisante“
et civilisatrice de la foi chrétienne que St Benoît et beaucoup après lui ont
vécue et distillée en notre civilisation ?
Les trois lectures d’aujourd’hui nous le
disent amplement.
Le monachisme et donc la foi chrétienne
tout court sont une sagesse. C'est ce que nous dit la première
lecture. “J'ai prié et l'intelligence m'a
été donnée, j'ai supplié et l'esprit de sagesse est venu en moi... ; à
côté d'elle, j'ai tenu pour rien la richesse. Je ne l'ai pas mise en comparaison
avec les pierres précieuses ; tout l'or du monde auprès d'elle n'est que du
sable...”.
St Benoît et tous ses disciples ont voulu,
veulent cultiver cette sagesse de la sobriété, de l'oubli de soi, du
renoncement afin de mieux chercher la connaissance, le sens de l’existence, la
plénitude de la vie, non pas d’abord dans les sciences humaines qui engagent à
agir, mais dans la contemplation silencieuse des mystères du Christ.
Et cet idéal du moine - et donc aussi du
chrétien - s’exprime dans des livres d’une profonde sagesse, livres qui
s’écrivent avant tout dans le cœur de l’homme, avant de paraître éventuellement
sur du papier. Ces livres de sagesse chantent tous la Parole de Dieu, le
mystère pascal du Christ, Parole et mystères si inépuisables qu’ils peuvent conduire
jusqu’à un certain épuisement, s’il le faut : “J'ai aimé la sagesse plus que la santé”. Cette Sagesse qui est,
dans la Bible, Parole divine, s’est pleinement manifestée dans le Christ, “Verbe
de Dieu“ (Cf.
St Jean),
“Parole de Dieu“.
Et si cette Sagesse qui révèle les mystères
du Christ, s’exprime parfois dans des livres, c’est après qu’elle fut d’abord reçue,
méditée, vécue en des âmes… “Tous les
biens me sont venus par elle, et par les mains de la sagesse une richesse incalculable”.
… Et “Ce que j'ai appris avec simplicité,
j'en ai fait part sans réserve”. Et nous en faisons l’expérience : de
certaines personnes qui n’ont nullement été dans les “grandes écoles“ comme
l’on dit, qui ne manifestent aucune action extraordinaire, de ces personnes
cependant émane une Sagesse de vie que leur accorde la présence du Christ
en elles ! Le moine, le chrétien doivent être de ces sages selon la
sagesse même de Dieu qui nous est donnée par et dans le Christ ! Et ils en
rayonnent !
Et la deuxième lecture de ce jour en dit
tout autant sur cet “humanisme chrétien“ : c'est l'amour de la Parole de Dieu. “Elle est vivante, la Parole de Dieu, énergique et plus coupante qu'une
épée à deux tranchants ; elle pénètre jusqu'au fond de l'âme, jusqu'aux
jointures et pensées du cœur”.
À
une certaine époque où la littérature spirituelle avait presque oublié les
sources originelles et vives de la vie spirituelle, Dom Guéranger, par exemple,
a remis la littérature spirituelle dans son axe biblique et liturgique. De la
sorte, il a formé toute une génération et l'a sauvée des déviations piétistes
et mièvres, en remettant la littérature dans son ”lieu naturel” : la Parole de
Dieu et la liturgie.
Et Vatican II dont nous faisons
légitimement mémoire ces temps-ci a amplifié largement ce ressourcement pour
tous les chrétiens. Depuis lors, la spiritualité ne relève plus du subjectif,
mais du monde objectif de la Parole de Dieu et de la liturgie ; Cette
Parole de Dieu devient thérapeutique pour une génération qui préfère trop,
parfois, les émotions et les sentiments fugaces. Le moine et tout chrétien sont
épris, doivent être épris de la Parole de Dieu, Sagesse de Dieu.
Enfin, l'évangile nous révèle le dernier
secret de cet humanisme chrétien : le moine - et donc le chrétien aussi, selon
ses engagements divers - suit le
Christ en renonçant dans la joie à bien des choses… à tout le
reste s’il le faut.
Il a entendu les paroles de Jésus : “Va, vends tout, donne-le aux pauvres et
suis-moi”. Le moine doit montrer que le bonheur de l'homme ne se trouve pas
au bout de nos besoins premiers mais qu'il est objet d'un désir qui transcende
le bien-être immédiat. Le vrai disciple du Christ est un homme de désir ;
il a compris que ni les richesses, ni la sexualité, ni le pouvoir, ni
l'autonomie de soi… et que sais-je encore ne procurent le bonheur véritable.
C’est cela que le Christ est venu nous révéler par sa parole et par l'exemple
de sa vie.
Et tout disciple doit proclamer que ce
chemin qui semble parfois ardu, ce chemin de l'imitation du Christ ne tronque
pas l'homme, mais est un véritable humanisme. Il rend à l'homme sa véritable
image, tel qu'il est sorti des mains de Dieu lors de la création. C'est en
renonçant, parfois, à beaucoup de choses que l'homme gagne tout au centuple.
Jésus dit : “Vraiment, je vous le dis :
personne n'aura quitté, à cause de moi et de l'Evangile, une maison, des
frères, des sœurs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu'il
reçoive en ce temps déjà le centuple : maisons, frères, sœurs, mère, enfants et
terres, avec des persécutions, et dans le monde à venir, la vie éternelle”.
Il faut méditer ces paroles qui indiquent les chemins secrets du bonheur.
Sachons contempler cet
idéal qui est un appel à y répondre selon les modalités de vie de chacun, avec
aussi ses propres forces, humblement. Et bénissons le Seigneur d'avoir suscité
dans son Église, depuis des siècles, des hommes et des femmes sages de la sagesse
divine, avides de la Parole de Dieu et qui deviennent guides sur le chemin du
bonheur véritable. Ce sont de véritables “humanistes“ qui tentent, à travers
les vicissitudes de l'histoire de l'Église et de leurs propres faiblesses
individuelles et collectives, de restaurer l'image originelle de l'homme tel
que Dieu l'a imaginé à l'aube de sa création.
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