27e Dimanche du T.O. 12/B -
Ce passage
d’évangile est irritant. Il nous heurte, secoue nos inquiétudes comme nos
certitudes. “Ce que Dieu a uni, que
l’homme ne le sépare pas !”. Comment comprendre et appliquer ces
paroles aujourd’hui ?
D’abord, une remarque
: quand Jésus prononce ces paroles, il est précisé un peu plus loin : “comme
ils étaient en chemin, vers Jérusalem” (10.32). - “… En chemin… !”. Autrement dit,
nous ne pouvons pas comprendre en dix minutes ces affirmations de Jésus. Mais
accepter ces paroles qui nous jugent, ne pas s'en défendre, y trouver une
miséricorde, un sens de vie, cela peut demander
parfois des années. Peut-être même que la vie d'un homme jusqu'en sa mort ne
suffit-elle pas à épuiser une parole aussi riche, exigeante, déconcertante !
“Ils étaient en chemin”, dit l’évangile. Nous devons d’abord accepter
humblement la situation d’être “en
chemin” derrière Jésus. Et quand les disciples se mettent à le suivre,
ils sont stupéfaits de peur et d'incompréhension en découvrant le destin de
Jésus lui-même et… le leur, à sa suite ! Jésus monte vers Jérusalem pour
entrer en son mystère pascal de mort et de vie ! Il parlera souvent
de ce mystère et du sacrement qui le rappelle et que nous célébrons, l’Eucharistie,
et qui fait de nous ses disciples : “Il faut que le Fils de l’homme
soit tué ; trois jours après il ressuscitera… Faites cela en mémoire de
moi” ! L’Eucharistie nous invite, en cet instant même, à être “en chemin“ derrière Jésus en
son mystère de mort et de vie ! C’est exigeant
comme la parole de Jésus aujourd’hui !
Ne soyons donc
pas surpris si ces paroles suscitent étonnements, provoquent remous et combats,
soulèvent des obstacles en heurtant les domaines les plus fondamentaux de
l'existence et les plus sensibles, ceux de l’amour et du mariage. Vivre du
mystère pascal du Christ, ce n’est pas facile ni à comprendre ni à
accomplir ! Les apôtres eux-mêmes ont manifesté stupeur et embarras devant
les exigences de ces paroles. Alors, même chrétiens, ne soyons pas étonnés que ce
soit toujours d’actualité… !
Aussi, gardons-nous,
sous prétexte d'être gentils les uns pour les autres, d'amenuiser la parole du
Christ, de la raboter, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus rien dire du tout et
ne gène plus personne. Cela aussi, même pour un chrétien, est tentation
toujours d’actualité !
Au contraire,
il faut d’abord accepter peut-être de ne pas “comprendre” parfaitement la
parole de Jésus. Mais il faut que cette parole nous habite, que nous la
portions des semaines, des mois, des années peut-être… Nous sommes “en chemin“… ! L'homme qui nous est proposé en modèle, c’est
celui qui, dans la foule, suit Jésus, difficilement, mais qui le suit !
Le chemin du christ en nous, avec nous, c'est son œuvre en notre temps. C'est
l'œuvre de toute notre vie. Aussi, acceptions d’abord d’être en chemin !
Voilà donc dans
quelle attitude nous devons accueillir cette parole - nous mettre en chemin
-, écouter Jésus et lui demander d'ouvrir notre cœur à la compréhension de ce
qu'il dit et fait.
Après cette
remarque, une explication : quelle est donc la portée de ce débat sur le
mariage ? L'enjeu social, à l'époque biblique, est la protection de la femme.
Le législateur - Moïse - a voulu protéger la femme en empêchant qu'elle soit
arbitrairement répudiée. Mais cet éclaircissement ne nous permet pas d'aller au
fond ni du problème ni du sens de ces paroles. D’ailleurs, Jésus, dans ses
explications, rend la répudiation absolument symétrique : pour lui, il ne
s'agit plus seulement de protéger la femme, puisqu’il envisage le cas où
celle-ci pourrait, elle aussi, renvoyer son mari, hypothèse historiquement
étrange ! Jésus déborde donc complètement le cadre juridique tel qu'il
se présentait à son époque. Et là encore, c’est toujours d’actualité !
On ne résout pas certaines questions uniquement à coup de décrets !
Jésus vise donc
un autre niveau de la réalité. Lequel ? C’est celui des prophètes, des
porte-paroles de Dieu, tels Amos, Osée, Isaïe. Et voilà leur message
constant : la relation de l'époux et de l’épouse, ils ne l'envisagent
pas d'abord comme un problème social, un problème des droits de l'homme ou de
la femme, un problème juridique, mais
bien plutôt comme un problème spirituel qui trace les rapports de Dieu
et de son peuple, de Dieu et de chacun de nous ! C'est la relation à Dieu de chacun de nous qui va engager la manière de se comporter entre mari et
femme.
Pour comprendre
ce que Jésus dit au sujet du mariage et de la fidélité, nous ne devons donc pas
partir du point de vue de l'expérience sociale.
D’ailleurs, de
ce point de vue, on le sait, lorsque la loi est contraignante, l’histoire
prouve qu'à côté d'avantages certains il y a aussi des inconvénients. Les
infidélités sont toujours présentes et les souffrances ne sont pas moins grandes.
Sans parler de l'hypocrisie. Et puis, on ne peut pas obliger les hommes et les
femmes, par contraintes légales, à la fidélité. Le maintien de l'ordre n'a
jamais suffi à rendre les gens vertueux.
A l'inverse, si
le législateur devient tolérant, ce n'est pas pour autant que les relations soient
plus humaines, meilleures, et que les êtres humains se fassent moins souffrir. Il
faut être réaliste !
Jésus se place
donc à un autre point de vue, celui qui
nous projette dans le mystère de l'amour tel que Dieu lui-même le propose à son
peuple, à chacun de nous. Il invite hommes et femmes qui veulent répondre à son
alliance divine, à rendre leur union humaine semblable à la sienne : lui,
l’Epoux divin a conclu avec Israël, son Epouse, - avec chacun de nous par le
baptême - une alliance indéfectible. Aussi, que l’union de l’homme et de la
femme soit signe de cet Amour divin indéfectible, manifesté aux hommes pour le
salut de tous.
Pour le
chrétien, il s'agit d'entrer dans la compréhension d'un mystère. Dieu, Époux,
va-t-il rompre son alliance et renvoyer son peuple parce qu'il n'a pas été
totalement fidèle à son amour ? Dieu, lui, pardonne toujours, son amour
est sans limites, irrévocable.
Voilà le “commencement“,
“ce qui était au commencement“ ! C'est donc ce mystère divin de fidélité,
de pardon, de miséricorde qui permet de comprendre ce qui était à l'origine. Ce
qui est à l'origine, c’est la fidélité absolue de Dieu qui crée l'homme à son
image et propose à l'homme et à la femme de faire de leur union le signe
visible et la manifestation de l'amour indéfectible de Dieu. Ce qui est une
manière proprement divine de vivre. Ce qui est impossible à l'homme sans la
force de Dieu. Et c’est toujours d’actualité pour un chrétien !
Une telle
exigence au sujet du mariage ne peut être comprise que dans ce climat qui
englobe la miséricorde divine, comme le fait Jésus devant la Samaritaine ou la
femme outrageusement appelée adultère. Selon la loi, elle doit être lapidée.
Jésus, en silence, la délivre de toute accusation : “Femme, où sont tes accusateurs ? ”. C'est un mystère de
miséricorde en même temps qu'un appel à la sainteté : “Va, désormais ne pèche plus.”
Et ce mystère
de miséricorde ne se comprend que parce que l'Amour divin est livré aux hommes
dans le mystère pascal du Christ que rappelle l’Eucharistie. En ce sacrement,
la fidélité divine est renouvelée. En ce sacrement, le peuple chrétien, malgré
son incompréhension, ses faiblesses, est appelé à cette vocation divine de
mettre en ce monde la présence du sacrement de l'Amour divin et indéfectible.
Dieu fait toujours alliance ! Mais
redisons-le : nous sommes “en
chemin“, chemin difficile ; mais restons en chemin, avec le
Christ. Que cette persévérance soit notre consolation !
Aussi, je
terminerai par un regard particulier sur ceux ou celles qu'un échec conjugal a
meurtris, sur ceux et celles qui se sentent, pour diverses raisons, éloignés de cet idéal
proposé par Notre Seigneur. Au milieu même de grandes difficultés, il reste toujours un sens profond à toute
vie. Si une union brisée, par exemple, ne peut plus signifier l'amour du Christ
pour l'Eglise, de Dieu pour l'homme, la réalité de cet amour du Seigneur
demeure : "Il a aimé l'Eglise et
s'est livré pour elle", il aime l'Eglise, Il aime chacun de nous et
tout particulièrement ceux qui connaissent de dures épreuves ! - Les solutions
ne se trouvent que très rarement sur un plan purement humain, “sociétal“, comme
l’on dit. D’ailleurs, sur ce plan comme sur bien d’autres, le chrétien ne peut
qu’affirmer : “Je suis en chemin !“.
Et ce chemin est le mystère pascal du Christ ! Et le Christ est là sur ce
chemin, avec nous !
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