26ème
T.O. - Samedi 12/B (Job 42.1sv)
Dieu avait demandé à Job : - “As-tu, une fois dans ta vie, commandé au
matin, assigné l’aurore à son poste ? (38.12)
- As-tu idée des étendues
terrestres ? (38.18) - Peux-tu
nouer les liens des pléiades…, connais-tu les lois des cieux ? (38.31,33) ?
A ces questions et à bien d’autres, Job
répond :
-
“J’ai parlé à la légère. Je mettrai plutôt ma main à ma bouche (40.4)
- “Je sais que tu es tout-puissant : ce
que tu conçois, tu peux le réaliser !“ (notre lecture).
Le grand mérite de Job, c’est d’avoir
cherché, malgré ses incompréhensions et révoltes. On le sait : l’homme intelligent
dans la Bible, c’est celui qui “cherche Dieu“ : “Des cieux, Dieu se penche vers les fils d’Adam, pour voir s’il n’y en
a pas un d’intelligent, un qui cherche Dieu“ (ps. 14.2), un “dorsheh“, du
verbe “darash“ (chercher). Et le “Midrash“
est l’activité de rechercher Dieu !
Depuis le paradis, Dieu “cherche“ Adam qui
se cache : “Adam, où es-tu ?“
(Gen
3.9) ;
et l’homme, à son tour, “cherche“ la face de Dieu : “Seigneur, ne me cache pas ta face !“ (ps. 143.7). - “L’homme cherche Dieu dès l’aurore, il
l’implore sur sa couche“ (ps. 63.7). Et l’homme cherche Dieu parce que Dieu
l’attire en se révélant à Lui !
Le Dieu auquel je m’adresse est le Dieu
qui se révèle ! Et il se révèle d’abord comme le “Tout-Puissant Créateur du ciel
et de la terre !“. C’est le premier langage divin. La première
phrase de notre “Credo“ est aussi celle par laquelle s’ouvre le livre de la Genèse :
“Au commencement, Dieu créa le ciel et la
terre“. (Gen
1.1). “Ce que tu conçois, tu peux le réaliser“,
disait Job !
Dieu est le Tout-Puissant : “Tout ce qu’il veut, il le fait“ (Ps 115.3). Il est “le Fort, le Vaillant“ (Ps 24.8-10) et il a “pitié de tous parce qu’il peut tout“ (Sg 11.23). Sa puissance se
manifeste par le fait qu’il a tout fait “de rien“. Théophile d’Antioche, un
Père de l’Eglise du 2ème siècle, écrit : “Quoi d’extraordinaire si Dieu avait tiré le monde d’une matière
préexistante ? Un artisan humain, quand on lui donne un matériau, en fait
tout ce qu’il veut ! Tandis que la puissance de Dieu se montre précisément
quand il part du néant pour faire tout ce qu’il veut !“ (A Autolycus
II.4.49).
Toute la création est un “livre de Dieu“ !
Il y a trois livres où l’on peut lire
Dieu : le livre du monde, le livre de la Bible et ce
Livre ouvert sur la croix qu’est Jésus-Christ Crucifié, “Livre de Dieu“ par
excellence, “Livre de vie“ ! (1)
Prenons donc d’abord “le livre du monde“,
puisque Dieu a tout créé “selon sa
sagesse“ (Sg
9.9.),
il a “tout disposé avec mesure, nombre et
poids“ (Sg
11.20).
“Que tes œuvres sont nombreuses,
Seigneur ! Toutes avec sagesse tu les fis“ (Ps 104.24). “Oui, tu aimes tout ce qui existe, et tu
n’as de dégoût pour rien de ce que tu as fait ; car si tu avais haï
quelque chose, tu ne l’aurais pas formé…“ (Sg 11.24sv). C’est cette
sagesse créatrice de Dieu que l’homme est invité à contempler, à aimer avant de le
reconnaître dans le Christ, Sagesse crucifiée !
Oui, “ le ciel et la terre clament qu’ils furent
faits“, dit St Augustin (Conf. XI c.4). Toute créature révèle Dieu tout en criant
que si elle “faite par Lui“, elle n’est pas Lui ! “J'ai interrogé la terre, ajoute St Augustin, et elle m'a dit : «Je ne suis point Dieu ». Tout ce qui s'y rencontre
m'a fait le même aveu. J'ai interrogé la mer et ses abîmes, les êtres vivants
qui s'y meuvent et ils m'ont répondu : «Nous ne sommes pas ton Dieu ; cherche
au-dessus de nous »… J'ai interrogé le
ciel, le soleil, la lune et les étoiles : « Nous ne sommes pas davantage le
Dieu que tu cherches », m'ont-ils déclaré. Et j'ai dit à tous les êtres qui
assaillent les portes de mes sens : « Entretenez-moi de mon Dieu, puisque vous
ne l'êtes point, dites-moi quelque chose de lui ». lls m'ont crié d'une voix éclatante : « C'est Lui qui nous a créés ! ». Pour
les interroger je n'avais qu'à les contempler, et leur réponse, c'était leur
beauté“.
Ainsi Dieu créa le
monde ; il le créa, est-il dit, en “six jours“. Et cette création s’achève
par le sabbat de Dieu et de tout en Dieu. La genèse du monde a
ainsi un sens liturgique : le sabbat, jour consacré à Dieu, est le
couronnement de la création, sa fin et son sens !
Les Pères de
l’Eglise ont interprété le récit de la Genèse dans un sens trinitaire. Dieu tel
un potier, a fabriqué, modelé ou façonné Adam et Eve avec “ses Mains“ que sont
le Verbe et l’Esprit. St Irénée d’écrire : “Dieu n’avait pas besoin des anges pour faire ce qu’en Lui-même il
avait d’avance décrété de faire. Comme s’il n’avait pas ses Mains à Lui !
Depuis toujours, en effet, il y a auprès de Lui le Verbe et l’Esprit. C’est par
eux et en eux qu’il a fait toutes choses, librement et en toute
indépendance ; et c’est à eux que le Père s’adresse lorsqu’il dit : « Faisons
l’homme à notre image et ressemblance ». C’est donc de Lui-même qu’il a
pris la substance des choses qui ont été créées, et le modèle des choses qui
ont été faites, et la forme des choses qui ont été ordonnées“ (Adv Hae. IV.20.1).
L’image des “Mains
de Dieu“ pétrissant l’homme se trouve déjà dans le livre de Job : “Tes mains m'ont façonné, créé ; … tu m'as
fait comme on pétrit l'argile ; et tu me renverrais à la poussière ?“
(Jb
10.8-9 ; cf. 14.15).
Dieu
est le “potier“, le “façonneur“ (“Yosér“). Ce titre se retrouve dans la première
bénédiction de la prière juive du matin avant le “Shema Israël“ en laquelle
Dieu dit : “C’est moi qui
« façonne » tout cela !“. Et Dieu, là, parle au présent car
il s’agit d’une création continue. Et j’aime alors à penser que Jésus récitait
cette prière ; et j’aime à penser à ce beau commentaire de
Tertullien : “Les mains de Dieu
étaient à l’ouvrage : elles touchaient, pétrissaient, étiraient,
façonnaient la glaise qui ne cessait de s’ennoblir à chaque impression des
mains divines. Imagine-toi Dieu occupé, appliqué tout entier à cette
création : mains, esprit, activité, conseil, sagesse, providence, amour
surtout orientaient son travail ! C’est qu’à travers ce limon qu’il
pétrissait, Dieu entrevoyait déjà le Christ qui un jour serait homme :
Verbe fait chair, comme cette terre qu’il avait entre les mains !”. Il
entrevoyait déjà ce Livre ouvert sur une croix que sera Jésus-Christ
Crucifié, “Livre de vie“ ! Dieu se révèle ainsi ! (2)
Oui,
le monde créé est le premier langage de Dieu, son premier “livre“ que tout
homme peut lire pour reconnaître le Créateur dans la contemplation de ses œuvres !
C’est ce qu’affirment le livre de la Sagesse et St Paul (aux Romains). Les païens, dit
le livre de la Sagesse (13.1-9), en contemplant
les merveilles du monde, auraient dû être conduits à en reconnaître le Créateur
(l’“artisan“). Or, ils ont
dépensé des trésors de science à se pencher sur la création et sur ses mystères
célestes pour les déifier ; mais le Dieu créateur, ils n’ont pas voulu le
connaître. Aussi sont-ils inexcusables dans leur folie. Ils se sont arrêtés au
visible, le monde des apparences, sans reconnaître le Dieu invisible qui en est
le principe et le fondement.
La
lettre aux Hébreux conclura : “Par
la foi, nous comprenons que les mondes ont été formés par la parole de Dieu, de
sorte que ce que l'on voit provient de ce qui n'est pas apparent“, Dieu
lui-même !
Et
St Paul de préciser : “car ce qu'on
peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. En
effet, ce qu'il a d'invisible depuis la création du monde se laisse voir à
l'intelligence à travers ses œuvres, - son éternelle puissance et sa divinité
-, en sorte qu'ils sont inexcusables, puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont
pas rendu comme à un Dieu gloire ou actions de grâces“ (Rm 1.19-20).
“Per visibilia ad
invisibilia“ :
ce passage du visible à l’invisible, du monde visible au Dieu invisible (Cf. Col 1.15) suppose une
pureté de vue - “un œil pur et un
regard fixe voient toutes choses devenir transparentes“, disait Claudel -,
une pureté de vue que l’homme pécheur a perdue : “Ils ont des yeux et ne voient pas“, dit le prophète Isaïe (Is 6.9-10 cité en
Mth 13.14-15).
C’est pourquoi peu de gens parviennent à cette connaissance de Dieu par la “lumière
naturelle“ qui est pourtant affirmée par les conciles Vatican I et II. Dieu se
manifeste à nous en transformant notre regard : “Il mit sa lumière (son œil) dans leur cœur pour leur montrer la grandeur de ses œuvres“ (Ecclé. 17.8). Et l’œil par lequel l’homme voit
Dieu est l’amour : “Ipsa caritas
est oculus quo videtur Deus“ - La
Charité est l’œil qui permet de voir Dieu !“ -, dit Guillaume de
Saint-Thierry. Et je pense que St Bruno que nous fêtons avait cet œil perçant
de la charité !
J’arrête
là mon écrit. Car devant un tel mystère - j’en ai bien conscience -, je
suis un peu comme Job : j’ai parlé trop à la légère. Je vais mettre ma
main à ma bouche, non sans répéter au Seigneur cependant : “Je
sais que tu es tout-puissant : ce que tu conçois, tu peux le
réaliser !“
(1) On peut donc découvrir la Sagesse
divine dans la création, dans l’histoire tumultueuse des hommes
en laquelle se déroule l’Histoire Sainte d’Israël et de l’Eglise, et sur la
face du Christ, face de Dieu tournée vers nous !
(2)
Le Créateur a tout créé par sa Parole ! Cette affirmation est répétée dans
les psaumes : “Par sa parole, les
cieux ont été faits“ (33.6). “Il envoie ses ordres à la terre, et aussitôt
court sa parole“ (147.15). Et les livres
sapientiels : “Par ses paroles le
Seigneur a fait ses œuvres et la création obéit à sa volonté. Le soleil qui
brille regarde toutes choses et l’œuvre du Seigneur est pleine de sa gloire“. (Si 42.15-16). “Par ta parole,
as fait l'univers, toi qui, par ta Sagesse, as formé l'homme“ (Sg 9.1,2).
Il
y a une course de la Parole qui exécute les ordres de Dieu ; elle court
comme le soleil, d’un bout à l’autre de l’univers : “Alors qu'un silence paisible enveloppait toutes choses et que la nuit
parvenait au milieu de sa course rapide, du haut des cieux, ta Parole
toute-puissante s'élança du trône royal, guerrier inexorable“ (Sg 18.14.16), (ce que la liturgie
de Noël rappelle).
St
Jean résumera en parlant du Verbe : “Tout
fut par lui, et sans lui rien ne fut“. (Jn 1.3). Le “commencement“
(“in principio“) dans lequel le
ciel et la terre ont été créés est le Verbe
de Dieu “qui était au commencement auprès
de Dieu“. Le mystère du commencement du monde nous renvoie au mystère du
Verbe qui est le principe de tout ce qui est !
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