2e
Dimanche du "Temps Ordinaire" - 2014.A
Permettez-moi une simple remarque
liturgique : après les grandioses fêtes de Noël et de l’Epiphanie, nous entrons
dans le temps appelé “ordinaire”.
L’expression n’est pas satisfaisante, car, finalement, il n’y a ni “temps ordinaire”, ni “temps extraordinaire”.
Le temps est tissé d’instants ; et
chaque instant est l’instant de Dieu. Voilà l’ordinaire et l’extraordinaire
tout à la fois. Chaque jour est l’aujourd’hui de Dieu : “Aujourd’hui, écouterez-vous sa
voix… ?”, demande un psaume. Trop souvent, nous sommes dans le passé (Or Dieu n’est plus
dans notre passé),
ou dans le futur (et
Dieu n’est pas encore dans notre futur). Et l’on découvre toujours trop tard que
la merveille - la merveille de Dieu - est dans l’instant, sacrement
de la présence de Dieu.
C’est ce que les textes d’aujourd’hui nous
suggèrent : St Paul s’adresse aux Corinthiens. Il dirait aujourd’hui :
“Vous qui ici", en cet
instant (à
Vaas, Chateau-du-Loir ou dans les environs...), "vous êtes l’Eglise de Dieu…”. Quand l’apôtre écrit,
les termes n’étaient pas encore usés ; le mot “Eglise” n’était pas
rabaissé au sens d’institution sociale simplement. L’Eglise était l’Assemblée
des chrétiens célébrant chaque instant du jour comme une Eucharistie de la
présence de Dieu en notre monde. Elle était l’union de ceux que le Christ
transforme, à chaque instant, en son Corps ! Oui, à chaque instant, nous
devons former ce Corps dont le Christ veut disposer pour assurer sa présence
visible dans le monde jusqu'à la fin des temps.
Voilà pourquoi la Vierge Marie est et sera
toujours présente près de nous. Mère du Corps du Christ (à Bethléem et au
Calvaire : "Voici ton fils..."), elle est donc
notre mère, actuellement, en notre instant. - C’est notre
vocation : faire, avec Marie, le “Corps du Christ”. Et pour cela
nous sommes “appelés, dit St Paul, à être saints”, purs, transparents de la
présence du Christ. `
Quelle vocation ! C’est, par grâce
divine, notre ordinaire et notre extraordinaire, en chaque instant…
Aussi, Dieu, par la bouche du prophète Isaïe,
nous redit, en chaque instant, à nous
qui devons former le Corps du Christ dans notre aujourd’hui ordinaire et extraordinaire :
“Tu es mon serviteur… Je vais
faire de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne aux extrémités
de la terre”. C’était la mission du Christ ; c’est notre mission en
Jésus Christ !
Il ne faut donc pas évacuer la grandeur de
chaque instant de notre vie, en les cataloguant d’ordinaire ou
d’extraordinaire ! Sinon, on risque de se tromper…
Et d’abord sur soi-même. Il y a un bel
épisode d’un livre de Jean Sullivan (poète du 19ème siècle) : Assis au bord de
la mer, un cardinal d'Espagne regarde la vague marbrée dont l'écume s'éparpille
sur le rivage depuis des millénaires. Il vient de "prendre sa retraite",
après avoir été, pendant longtemps, chef et témoin d'Eglise. Soudain, devant l'indifférence
des flots, à cette extrémité de la terre et de sa vie, il a le vertige à la
pensée de ce que fut son existence : “J'étais
en représentation...”, constate-t-il avec un réalisme certainement exagéré.
Oui, il est vrai qu’on peut jouer un rôle
important, tenir une fonction élevée, etc… et s’apercevoir un jour qu’on n’a
pas véritablement vécu les instants de notre vie que Dieu voulait remplir de sa
présence. Et l’instant purificateur de notre mort sera, je crois, de
rencontrer sa propre image avec le sentiment de regarder un étranger que le
regard toujours aimant de Dieu voudra cependant transformer éternellement "à son image et à sa ressemblance".
Il nous faut donc vivre chaque instant
comme ordinaire et extraordinaire sous le regard de Dieu. C’est ainsi encore
que l’on peut véritablement découvrir nos frères : Ils sont ordinaires,
certes, mais extraordinaires aussi. Sinon on risque de ne les connaître
vraiment qu’après leur disparition, n’ayant pas vécu avec eux chaque instant
de leur vie sous le regard de Dieu.
Ainsi donc, si on ne vit pas la profondeur
de l’instant présent, on en arrive facilement à se tromper sur soi (jouant plus ou
moins sa vie),
à se tromper sur les autres (par un regard trop réducteur), et à se
tromper sur Dieu, sur Jésus lui-même !
C’est ce qui faillit arriver à
Jean-Baptiste (Ev.). Nostalgique d’un
passé révolu, imaginant l’action de Dieu dans le futur, ne vivant pas
suffisamment l’instant de la présence de Dieu, il avait annoncé le Messie à sa
façon : comme un bûcheron dont la cognée allait frapper les arbres stériles,
comme le moissonneur qui allait trier le grain et brûler la balle.
Or, voilà que Jésus se laisse inviter par
des gens de piètre réputation : il mange, boit avec eux ; parle de la
tendresse de Dieu ! Jean-Baptiste, l'ascète du désert, attendant un Messie
de vengeance, a dû se cabrer !
Mais cet homme de feu qui ne cessait de
scruter les venues brûlantes de Dieu tout au long de l’histoire, les a vu
soudainement se concentrer en son instant présent en lequel il reconnaît
la réalité d’un vieux poème insolite, égaré dans le livre d'Isaïe : “Voici mon serviteur bien-aimé...
Comme l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir, il n'ouvre pas la bouche...”
(Is.
53,7).
Ainsi, Jean-Baptiste comprend : Jésus ne serait
pas celui qu'on imaginait, le Messie politique, le Messie casseur d'un monde.
Au contraire, il allait ouvrir son chemin inouï dans le prolongement de cet
oracle étrange ; “comme l'agneau qui se
laisse mener à l'abattoir”...
Alors, il confessa humblement : "‘Voici l’Agneau de Dieu !’. Je ne
le connaissais pas. Mais celui qui m’a envoyé m’a dit : ‘L’homme sur qui
tu verras l’Esprit descendre, c’est celui-là qui baptise dans l’Esprit Saint’”.
Et pendant la vie si brève de Jésus, on ne
cessera pas de faire erreur sur lui. Même ses amis rêveront jusqu'au bout de
lui voir exercer quelque pouvoir fracassant. Pourtant, beaucoup pressentaient
qu'un maître sans pareil était là, au milieu d'eux, à chaque instant, et
qu'une vie prodigieuse - la Vie - était concentrée en lui. Mais il faudra qu'il
meure pour que des multitudes, de siècle en siècle, commencent à découvrir qui
était Jésus… !
Ainsi, comme Jean-Baptiste et beaucoup
d’autres, il nous faut vivre pleinement l’instant présent où Dieu ne cesse
de se manifester… Aujourd'hui même, en chaque instant de nos vies, Jésus
est-il connu d'une connaissance qui transforme notre existence ? Mieux que
d’imaginer sa venue, il faut vivre l’instant de la présence permanente de
Dieu à l’homme.
Oui, on peut se tromper sur la vie, sur
soi, sur les autres. On peut aussi se tromper sur Jésus. Et sur Dieu lui-même.
Il ne s’agit pas, par exemple, de suivre Pierre, Apollos ou Paul comme disait
l’Apôtre aux Corinthiens ; il s’agit de suivre le Christ en chacun de
nos instants !
Il ne s’agit pas, par exemple, d’être
spécialement à la remorque de tel ou tel mouvement, il ne s’agit pas d’être
intégristes ou progressistes ; il s’agit d’être, en chaque instant, des "progressant"
en la vie même de Dieu que Jésus ne cesse de manifester en notre présent.
Alors, on pourra s’exclamer avec le livre
de la Sagesse : “Dieu m’a donné une
connaissance exacte du réel... Il m’a appris le commencement, la fin et le
milieu des temps” (Sg
7.18-19)
qui se contractent tous dans l’instant de notre présent, prélude de
l’instant éternel de la gloire du Ressuscité.
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