dimanche 19 janvier 2014

Temps ordinaire et extraordinaire !

2e Dimanche du "Temps Ordinaire" - 2014.A 

Permettez-moi une simple remarque liturgique : après les grandioses fêtes de Noël et de l’Epiphanie, nous entrons dans le temps appelé “ordinaire”. L’expression n’est pas satisfaisante, car, finalement, il n’y a ni “temps ordinaire”, ni “temps extraordinaire”.
Le temps est tissé d’instants ; et chaque instant est l’instant de Dieu. Voilà l’ordinaire et l’extraordinaire tout à la fois. Chaque jour est l’aujourd’hui de Dieu : “Aujourd’hui, écouterez-vous sa voix… ?”, demande un psaume. Trop souvent, nous sommes dans le passé (Or Dieu n’est plus dans notre passé), ou dans le futur (et Dieu n’est pas encore dans notre futur). Et l’on découvre toujours trop tard que la merveille - la merveille de Dieu - est dans l’instant, sacrement de la présence de Dieu.

C’est ce que les textes d’aujourd’hui nous suggèrent : St Paul s’adresse aux Corinthiens. Il dirait aujourd’hui : “Vous qui ici", en cet instant (à Vaas, Chateau-du-Loir ou dans les environs...), "vous êtes l’Eglise de Dieu…”. Quand l’apôtre écrit, les termes n’étaient pas encore usés ; le mot “Eglise” n’était pas rabaissé au sens d’institution sociale simplement. L’Eglise était l’Assemblée des chrétiens célébrant chaque instant du jour comme une Eucharistie de la présence de Dieu en notre monde. Elle était l’union de ceux que le Christ transforme, à chaque instant, en son Corps ! Oui, à chaque instant, nous devons former ce Corps dont le Christ veut disposer pour assurer sa présence visible dans le monde jusqu'à la fin des temps.

Voilà pourquoi la Vierge Marie est et sera toujours présente près de nous. Mère du Corps du Christ (à Bethléem et au Calvaire : "Voici ton fils..."), elle est donc notre mère, actuellement, en notre instant. - C’est notre vocation : faire, avec Marie, le “Corps du Christ”. Et pour cela nous sommes “appelés, dit St Paul, à être saints”, purs, transparents de la présence du Christ. `

Quelle vocation ! C’est, par grâce divine, notre ordinaire et notre extraordinaire, en chaque instant…
Aussi, Dieu, par la bouche du prophète Isaïe, nous redit, en chaque instant,  à nous qui devons former le Corps du Christ dans notre aujourd’hui ordinaire et extraordinaire : “Tu es mon serviteur… Je vais faire de toi la lumière des nations pour que mon salut parvienne aux extrémités de la terre”. C’était la mission du Christ ; c’est notre mission en Jésus Christ !

Il ne faut donc pas évacuer la grandeur de chaque instant de notre vie, en les cataloguant d’ordinaire ou d’extraordinaire ! Sinon, on risque de se tromper…

Et d’abord sur soi-même. Il y a un bel épisode d’un livre de Jean Sullivan (poète du 19ème siècle) : Assis au bord de la mer, un cardinal d'Espagne regarde la vague marbrée dont l'écume s'éparpille sur le rivage depuis des millénaires. Il vient de "prendre sa retraite", après avoir été, pendant longtemps, chef et témoin d'Eglise. Soudain, devant l'indifférence des flots, à cette extrémité de la terre et de sa vie, il a le vertige à la pensée de ce que fut son existence : “J'étais en représentation...”, constate-t-il avec un réalisme certainement exagéré.

Oui, il est vrai qu’on peut jouer un rôle important, tenir une fonction élevée, etc… et s’apercevoir un jour qu’on n’a pas véritablement vécu les instants de notre vie que Dieu voulait remplir de sa présence. Et l’instant purificateur de notre mort sera, je crois, de rencontrer sa propre image avec le sentiment de regarder un étranger que le regard toujours aimant de Dieu voudra cependant transformer éternellement "à son image et à sa ressemblance".

Il nous faut donc vivre chaque instant comme ordinaire et extraordinaire sous le regard de Dieu. C’est ainsi encore que l’on peut véritablement découvrir nos frères : Ils sont ordinaires, certes, mais extraordinaires aussi. Sinon on risque de ne les connaître vraiment qu’après leur disparition, n’ayant pas vécu avec eux chaque instant de leur vie sous le regard de Dieu.

Ainsi donc, si on ne vit pas la profondeur de l’instant présent, on en arrive facilement à se tromper sur soi (jouant plus ou moins sa vie), à se tromper sur les autres (par un regard trop réducteur), et à se tromper sur Dieu, sur Jésus lui-même ! 

C’est ce qui faillit arriver à Jean-Baptiste (Ev.). Nostalgique d’un passé révolu, imaginant l’action de Dieu dans le futur, ne vivant pas suffisamment l’instant de la présence de Dieu, il avait annoncé le Messie à sa façon : comme un bûcheron dont la cognée allait frapper les arbres stériles, comme le moissonneur qui allait trier le grain et brûler la balle.
Or, voilà que Jésus se laisse inviter par des gens de piètre réputation : il mange, boit avec eux ; parle de la tendresse de Dieu ! Jean-Baptiste, l'ascète du désert, attendant un Messie de vengeance, a dû se cabrer !
Mais cet homme de feu qui ne cessait de scruter les venues brûlantes de Dieu tout au long de l’histoire, les a vu soudainement se concentrer en son instant présent en lequel il reconnaît la réalité d’un vieux poème insolite, égaré dans le livre d'Isaïe : “Voici mon serviteur bien-aimé... Comme l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir, il n'ouvre pas la bouche...” (Is. 53,7).

Ainsi, Jean-Baptiste comprend : Jésus ne serait pas celui qu'on imaginait, le Messie politique, le Messie casseur d'un monde. Au contraire, il allait ouvrir son chemin inouï dans le prolongement de cet oracle étrange ; “comme l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir”...
Alors, il confessa humblement : "‘Voici l’Agneau de Dieu !’. Je ne le connaissais pas. Mais celui qui m’a envoyé m’a dit : ‘L’homme sur qui tu verras l’Esprit descendre, c’est celui-là qui baptise dans l’Esprit Saint’”.

Et pendant la vie si brève de Jésus, on ne cessera pas de faire erreur sur lui. Même ses amis rêveront jusqu'au bout de lui voir exercer quelque pouvoir fracassant. Pourtant, beaucoup pressentaient qu'un maître sans pareil était là, au milieu d'eux, à chaque instant, et qu'une vie prodigieuse - la Vie - était concentrée en lui. Mais il faudra qu'il meure pour que des multitudes, de siècle en siècle, commencent à découvrir qui était Jésus… !

Ainsi, comme Jean-Baptiste et beaucoup d’autres, il nous faut vivre pleinement l’instant présent où Dieu ne cesse de se manifester… Aujourd'hui même, en chaque instant de nos vies, Jésus est-il connu d'une connaissance qui transforme notre existence ? Mieux que d’imaginer sa venue, il faut vivre l’instant de la présence permanente de Dieu à l’homme.

Oui, on peut se tromper sur la vie, sur soi, sur les autres. On peut aussi se tromper sur Jésus. Et sur Dieu lui-même. Il ne s’agit pas, par exemple, de suivre Pierre, Apollos ou Paul comme disait l’Apôtre aux Corinthiens ; il s’agit de suivre le Christ en chacun de nos instants !
Il ne s’agit pas, par exemple, d’être spécialement à la remorque de tel ou tel mouvement, il ne s’agit pas d’être intégristes ou progressistes ; il s’agit d’être, en chaque instant, des "progressant" en la vie même de Dieu que Jésus ne cesse de manifester en notre présent.

Alors, on pourra s’exclamer avec le livre de la Sagesse : “Dieu m’a donné une connaissance exacte du réel... Il m’a appris le commencement, la fin et le milieu des temps” (Sg 7.18-19) qui se contractent tous dans l’instant de notre présent, prélude de l’instant éternel de la gloire du Ressuscité.

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